Guilty Pleasure : « Toute Première Fois » par Jeanne Mas (1984)

La Jeanne Mas / Photo : Chan Masson
La Jeanne Mas / Photo : Chan Masson

Mais qu’est-ce donc qu’un guilty pleasure ? Notion éminemment variable selon les goûts, l’éducation, l’époque – ce qui passait pour un guilty pleasure dans les 80s sera peut-être considéré comme un tube quarante ans plus tard. La musique suit les aléas de la mode : qui aurait parié sur le retour de la coupe mulet ou de la moustache façon acteur porno des 70s, hein ?

Suivant le principe qu’il n’y a jamais de mal à se faire du bien, la notion « guilty » ne m’est donc pas familière et j’ai longuement cherchée. Avant de fixer mon choix sur Jeanne Mas et sa Toute Première Fois. Pourquoi ? Oui, il y a une histoire derrière ce choix. Mais déjà, quelques mots pour re-situer la chanson.

Le 45T sort en février 84 chez EMI et Toute Première Fois sera le Tout Premier Succès de Jeanne Mas. C’est le fruit d’une collaboration avec Romano Musumarra, prolifique musicien italien, qui fut le clavier du groupe La Bottega Dell’Arte, fan d’électro et de synthés. Il avait écrit la chanson en italien, Jeanne Mas a refait un texte en français et le refrain Tu tu non sai, tu tu tu non sai est devenu Toute première fois – l’histoire ne nous dira pas s’il aurait été plus pertinent de garder la version italienne. Il existe même un remix anglais, ce qui donne Into the night, do you feel the fight / You run with the night, into the night. Mais bon, on ne va pas s’éterniser sur les paroles en français quelque peu grandiloquentes, l’intérêt étant la musique qui conjugue le drama à l’acidulé. N’oublions pas que Mussumara est aujourd’hui considéré comme un des rares contributeurs en France de la vague italo disco. Et qu’il fut une mine inépuisable de guilty pleasures grâce à ses collaborations qui vont de Stéphanie de Monaco, Céline Dion, Sylvie Vartan à Demis Roussos, Régine etc…

La Jeanne Mas / Photo : Chan Masson
La Jeanne Mas (en pied, c’est encore mieux) / Photo : Chan Masson

Et mon histoire derrière tout ça ? Dans les années 80, Dijon roupillait tranquillement et la vie nocturne était réduite aux fêtes qu’on organisait. Mais il y avait un bar extraordinaire, l’Inoxydable, devenu ensuite le Shaker, le seul à accepter les punks, et où l’on retrouvait des jeunes, des vieux, des gens un peu cassés, une faune joyeuse et colorée – enfin colorée, au niveau fringues on était plutôt habillés en noir. Et parmi les habitués, il y avait ce garçon qui se faisait appeler La Jeanne Mas parce qu’il était fan absolu et lui ressemblait pas mal. Un garçon qui galérait un peu, flamboyant mais fauché et avec un sens certain de l’humour. « Nan mais c’est dingue, je suis allé à l’ANPE aujourd’hui, il m’ont demandé dans quel secteur je travaillais, j’ai répondu : travesti, et ils m’ont dit que ça ne figurait pas dans leur nomenclature, qu’est-ce que j’y peux moi ?! ». Un soir, le patron du bar a organisé une fête spéciale pour lui : « La Jeanne Mas, ses baskets prennent l’eau et on est en hiver, on va lui demander de faire un show et on filera tous des sous pour acheter des baskets neuves ». La fête fut grandiose, le show parfait, j’ai aidé La Jeanne Mas à s’habiller et se maquiller dans les toilettes du bar (photo jointe) et on a récolté largement assez de fric pour des magnifiques baskets neuves.

Depuis ce soir-là, j’écoute différemment Jeanne Mas (l’originale), même si je préférerai toujours La Jeanne Mas. Toute Première fois, c’est une Madeleine de Proust sans doute kitsch pour certains, mais qui donne irrésistiblement envie de danser et faire la fête, sans discrimination(s), et à ce titre, elle ne peut être complètement guilty.


NDLR : En bonus, deux photos de Dijon la nuit à cette époque par Chan Masson.

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