Los Vidrios Quebrados, Fictions (UES Producciones, 1967)

Du Chili de la fin des années 60, nous connaissons surtout le contexte politique. Le pays est alors en proie à une certaine instabilité, en partie à cause des États-Unis qui gardent un œil attentif sur la région, craignant un basculement socialiste. Comme ses voisins péruviens (Los Shain’s, Los Saicos) et argentins (Los Gatos), la jeunesse chilienne s’éprend des rythmes du garage-rock nord-américain et de la musique beat britannique. Plus que le rock & roll d’Elvis Presley, la musique pop des Beatles fait du rock une langue universelle.

Los Vidrios Quebrados
Los Vidrios Quebrados

Au Chili, les Mac’s et surtout Los Vidrios Quebrados apportent la bonne parole. Ils succèdent à une première génération d’artistes, qui firent pas mal parler d’eux en Amérique du Sud : la Nueva Ola ChilenaCependant ces chanteurs ne résistèrent guère à l’arrivée de ses nouvelles formations plus modernes, matures et ambitieuses. Fictions des Vidrios Quebrados, est, à ce titre, emblématique du passage de relais. Le groupe, originaire de la capitale Santiago, chante en Anglais et compose ses propres chansons. Ils évoquent ainsi le parcours d’un autre groupe sud-américain : les Shakers uruguayens. Comme leurs camarades, les Vidrios Quebrados ne se contentent pas de singer et reprendre les tubes du moment mais imprègnent leur musique de références personnelles, notamment littéraires. La magnifique Oscar Wilde et ses étonnantes mélodies entrelacées de guitares ouvre le disque et donne le ton, le titre de l’album est d’ailleurs peut-être lui même une référence à l’auteur (argentin) Borges.

Selon la légende, Hector Sepulveda, Juan Mateo O’Brien, Cristián Larrain et Juan Enrique Garces construisirent eux mêmes leurs guitares. L’histoire est belle, peut-être trop, mais elle n’efface pas le sentiment mystérieux qui émane des meilleurs morceaux de l’album. Celui-ci est court (moins d’une demi-heure) mais suffisant pour développer un univers singulier et captivant. Le groupe n’est pas exempt d’influences externes. Time is Out of Question, Of Life and Guidance ou Fictions déroulent un garage-rock franc du collier à défaut d’être particulièrement piquant. Les Vidrios Quebrados font d’avantage merveille dans un registre plus pop et délicat. Inside Your Eyes est une merveille de folk-rock jangly à faire se pâmer les amateurs des Byrds. Le travail harmonique, comme les guitares, sont extrêmement aboutis pour un groupe ayant accès à des ressources aussi limitées pour jouer et enregistrer. Miss L.O’B. Spring est une autre perle au raffinement fortuit. Les Vidrios Quebrados vont encore plus loin sur la face B. Concert In A Minor Opus 3 et We Can Hear The Steps s’éprennent de l’esprit de la baroque pop avec un travail remarquable en terme d’arrangements. En plus de deux morceaux plus garage (et moins intéressants), deux balades (Both Sides of Love et la très charmante Introduction to Life as Told by Uncle John) aux accents liverpuldiens complètent cette solide deuxième partie. Fictions propose ainsi un disque varié mais cohérent. Los Vidrios Quebrados témoignent du savoir faire des formations en dehors des nations les plus connues du rock. Ils s’inspirent des références contemporaines mais en proposent une interprétation personnelle et originale. Dans ses moments les plus beaux, Fictions possède réellement des qualités qui lui appartiennent.


Fictions par Los Vidrios Quebrados est sorti en 1967 chez UES Producciones, et a été réédité l’an dernier chez RCA Victor / A.R.C.I Music ChileM&E.

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