Joni Île, Sémaphore (Bruit Blanc)

« Est-ce que tu crois que c’est moi qui délire ? »

L’été 2022, Joni Île jouait dans une grande salle, près de la maison. Elle avait décroché la première partie de Courtney Barnett, une de ses chanteuses préférées, je crois. Devant un parterre nombreux de fans de la rockeuse australienne, impatients, Marion a arrêté un peu le temps, et en 2/2 avec sa guitare, sa voix et pas grand chose d’autre, elle a captivé le public avec ses miniatures exécutées avec retenue, toujours, et avec cette décontraction à la fois timide et assurée qui fascine.

Joni Île
Joni Île

Quelques mois plus tard, Joni Île était de retour pour jouer dans une médiathèque près de la maison, encore, c’était pour l’ouverture d’une minuscule expo de fanzines. Il y avait des familles, des gens de passage, et dans ce lieu très légèrement éclairé, Marion a déroulé ses chansons, en créant à nouveau cette bulle, la même qu’elle peut créer, que ce soit devant 6 personnes dans une cave, ou devant 30 000 personnes, prenons les paris que  ça puisse lui arriver un jour.

Sorti en juin dernier, le nouvel album de Joni Île marque une étape dans la constitution d’un corpus de chansons tout à fait personnelles et originales. Sémaphore fait suite à Météorage (2022) qui donnait déjà des indices forts des talents de Marion dans le domaine croisé de la chanson française et de la pop à guitare, ce mélange qui est une sorte de quête, ici. La chanteuse de Lille maîtrise cet équilibre en funambule : les mots s’enfilent comme des perles, comme on joue au marabout, et cette écriture de sonorités crée un espace parfait pour l’auditeur, à même de se plonger dans cette légère mélancolie de la voix, sans souffrir d’un sens trop imposé. C’est très beau, comme dans la chanson centrale 18h : « Il est 18h, dis lui toi que je l’attends sous mon toit, depuis toute la vie, ça fait longtemps déjà, presque 23 ans… ».

Les mots, enfilés comme des perles, s’ancrent aussi dans la rythmique, en créant des patterns dans les patterns, grâce à des syllabes répétées ou des petits gimmicks vocaux dont Marion a le secret. La dynamique des chansons (et du disque entier) ne vacille  ainsi jamais : ce côté motorique (pas la berline allemande, plutôt la petite Clio) permet à la mélancolie de se porter comme un petit bijou pas relou, avec harmonies, arrangements, comme dans un monument ample et gracieux, construit en balsa.

Marion est aussi une guitariste hors pair qui crée des motifs de guitare toujours légers et à propos. Même si dans son trio de concert, elle s’est étrangement replacée à la batterie. Enfin pas si étrangement que ça, peut-être que les très bons guitaristes sont avant tout des batteurs nés ?

Sémaphore est un petit voyage intérieur, plein de surprises et de variations, riche en émotion, avec des chansons qui vous hanteront longtemps (Autoroute). Sans se la raconter, Marion poursuit son chemin, tranquille. Et on sera là pour la suivre longtemps.

« Souvent je pars et en fous partout »


Sémaphore par Joni Île est disponible sur le label Bruit Blanc.

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