Si mon amour buté pour la musique des Trash Can Sinatras a probablement fleuri sur le bois tendre de The Perfect Reminder, virgule acoustique plantée comme une petite cuillère dans de la crème au lait sur le deuxième album du groupe (I’ve Seen Everything, paru en 1993), c’est une bonne décennie plus tard que ces Ecossais en retard sur leur époque d’un millier de rapides Glasgow-Londres – et d’autant de bandwagons – m’ont permis de raccrocher le train de ma propre existence. De faire le grand sot, guitare à la main, en espérant rattraper un peu du temps que j’imaginais alors avoir perdu à écrire le genre d’âneries que vous êtes justement en train de lire – ou de faire l’une des plus grosses bêtises de ma vie. Continuer la lecture de « Weightlifting – The Trash Can Sinatras »
La musique pop est un réservoir illimité de légendes, rumeurs, histoires invérifiables et invérifiées qui excitent notre cerveau de fan, à la fois, ou tour à tour, celui d’historien minutieux, d’archiviste fétichiste, de voyeur insatiable et de complotiste à la petite semaine. C’est dans cet univers fantasmatique que se situe la plupart des épisodes de la série Urban Myths, dont la deuxième saison est diffusée actuellement sur la chaîne britannique Sky Arts. Continuer la lecture de « Histoires (à peu près) vraies »
Il y a vingt-et-un ans, un fou de musique publie à 300 exemplaires un premier album qui n’a pour ambition que de faire copuler les fans du label Mo’Wax et ceux de Thrill Jockey. Sa sortie ne passe pas inaperçue et, porté par une critique dithyrambique, Supermalprodelica est courtisé par les labels. La filiale française d’une multinationale mise sur lui. Et alors qu’un avenir radieux lui semble promis, l’affaire s’enlise… Supermalprodelica ne donnera plus de nouvelles pendant 10 ans, silence auquel Michel Wisniewski mit un terme en lançant son propre label. Continuer la lecture de « Supermal II »
Pourquoi j’adore et je déteste Peter Saville (comment je me suis disputée)
26. Le décompte était inexorable et nombre s’est soudain fait chair. Il fallait lui donner une forme, vite, bonne, belle. L’atmosphère était frondeuse et ça aurait pu être « Fact–ion » mais ce fut « Section ». Section-vingt-six, comme Section-Twenty-Five-Le-Groupe. En effet, quoi de plus naturel que d’aller puiser pour étendard une référence évidente dans l’entre-soi d’un catalogue pop moderne par excellence : Factory Records.
Le logo section25+1, ça commence donc à peu près comme ça, avec un pastiche de pastiche, avec le jaune et le noir, et surtout avec des mots fleuris de poète, comme un manifeste donc : « Nous, c’est Factory, et eux, c’est de la merde ». Continuer la lecture de « Always Now, section 2[6] & moi »
Beaucoup en ont rêvé, mais Stéphane Récrosio l’a fait. Au début des années 2000, il a mis en pratique les idées qu’il avait exprimées à travers ses fanzines et son label Orgasm Records en ouvrant, dans le douzième arrondissement de Paris, un disquaire dédié au rock indé : Festen, situé au 78 boulevard Diderot. L’époque était encore au CD et le vinyle n’avait pas amorcé son retour. L’aventure durera trois ans. Sans le moindre soupçon de nostalgie, il a accepté de la raconter.
Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge (détail).
Je n’avais jamais vraiment pensé à la mort avant d’entendre Feeling Yourself Disintegrate, la chanson qui clôt l’album que les Flaming Lips ont publié en 1999, The Soft Bulletin. Enfin, pas à la mienne, et pas de cette façon : au son d’un morceau qui continue de m’évoquer la version musicale d’un tableau de Fra Angelico qu’aurait réinterprété Moebius. Encore aujourd’hui, c’est pourtant bien vers la prescience d’une fin de moi que dérivent mes pensées lorsque se conclut le deuxième refrain et que la voix de Wayne Coyne, fragmentée, réverbérée et démultipliée, disparaît derrière un rideau de chœurs épais comme de la bure pour laisser sa place à ce que je tiens pour l’un des plus émouvants solos de guitare qu’il m’ait été donné d’entendre, tous genres et époques confondus. Rien que ça. Un chapelet de quoi ? Dix, quinze notes trébuchantes arrachées à des cordes raides comme les tables de la loi, mais dont la force et l’évidence renvoient à leurs rosaires tous les pontifes de la gamme pentatonique. Et fait immanquablement monter à mes yeux tout le sel de la Mer rouge. Un solo qui, alors que le chant des anges vient soudainement allumer le ciel et qu’au loin tintent les cloches du jugement dernier sous les marteaux d’un xylophone, s’envole avec un glissé héroïque pour s’écraser aussitôt sur un petit motif têtu, presque enfantin, que Steven Drozd, le batteur-guitariste du groupe, va répéter pendant presque une minute, jusqu’à ce que la nuit ait tout englouti. Plus un anti-solo, d’ailleurs, où ne s’exprimeraient que fragilité et impuissance résignée. Une sorte de mot d’excuse, comme une façon de dire : « J’ai fait de mon mieux, les gars, mais ce ne sera que ça. » Voilà le « doux bulletin » qu’adressaient à la postérité les Flaming Lips en 1999 : une ballade solaire sur la finitude de toute chose et la faillibilité de l’homme, cette machine à disparaître. On a appris, plus tard, que le chanteur Wayne Coyne avait perdu son père peu de temps avant d’écrire les paroles de Feeling Yourself Disintegrate, et qu’il lui était encore douloureux de l’interpréter en public. On a également appris que ces quelques secondes vers lesquelles semblent tendre tous les morceaux de The Soft Bulletin, et, a posteriori, toute la carrière d’un groupe dont la musique n’a plus jamais atteint ce pic d’intensité, avaient jailli d’une main qu’on avait, quelques semaines plus tôt, failli amputer. Un mois après la sortie de l’album, j’achetais donc ma première guitare électrique, une acquisition que j’avais maintes fois repoussée. Et j’adressais à mes voisins mes premiers doux bulletins.