Il peut paraître trop évident d’évoquer, à propos de l’œuvre de Phill Niblock (1933-2024), certains grands noms de l’abstraction picturale américaine de ces 60 dernières années : les monochromes de Robert Ryman ou de Barnett Newman, par leur profondeur et puissance, rejoignant en effet la densité texturale de ses pièces sonores. L’impression surtout d’un travail ancré dans une séquence très précisément délimitée : celle du minimalisme new-yorkais, de la scène des lofts, de la « new music » de Downtown à Manhattan, etc. Mais ce serait aussi réduire la portée d’un travail qui s’est échelonné pendant plus de 60 ans et qui a irrigué toute une internationale expérimentale. Continuer la lecture de « Phill Niblock (1933-2024) »
Auteur : Vincent Chanson
Catégories chronique nouveauté
Alexandre Bazin, Therapy (Important Records)
Therapy et I Wish I Pas, les deux titres ouvrent la nouvelle cassette d’Alexandre Bazin, mobilisent respectivement un Synthi A et un Buchla Music Easel. Deux synthétiseurs historiques, constitutifs d’un son, celui d’une early electronic immédiatement identifiable. Il y a toujours quelque chose d’étrange à constater à quel point le charme de cette esthétique opère. Comme si la nostalgie, ou le retrofuturisme, constituaient les principales modalités d’une musique pourtant initialement caractérisée par le goût du futur. Continuer la lecture de « Alexandre Bazin, Therapy (Important Records) »
Catégories chronique nouveauté
Suzanne Ciani et Jonathan Fitoussi, Golden Apples of the Sun (Transversales / Obliques / Atmosepheric)
Dès les premiers instants de Golden Apples of the Sun, un constat s’impose : une forme de classicisme synth porté à sa perfection. Par deux figures aujourd’hui incontournables de la scène néo-ambient : Suzanne Ciani, évidemment, pionnière de la synthèse et du sound design sur système Buchla, et Jonathan Fitoussi, représentant d’une nouvelle garde de musiciens soucieuse de se réapproprier l’âge héroïque de la lutherie électronique – de EMS à Buchla, en passant bien évidemment par Moog ou ARP. Une collaboration qui prend toute sa signification par la manière dont elle réinvestit les codes esthétiques d’un genre emblématique, celui d’une early electronic minimaliste qui, à la différence des avant-gardes, aura toujours assumé un compagnonnage avec le modernisme pop. Continuer la lecture de « Suzanne Ciani et Jonathan Fitoussi, Golden Apples of the Sun (Transversales / Obliques / Atmosepheric) »
Catégories chronique nouveauté
Will Samson, Harp Swells (12K)
Les sorties récentes de Selected Works de Sarah Davachi ou de Does Spring Hide Its Joy de Malone/O’Malley/Railton confirment le caractère incontournable d’une scène au croisement de l’ambient et des musiques minimalistes-répétitives. Comme si il s’agissait d’opérer un pas de côté concernant l’élan accélérationniste de musiques électroniques très largement dominées par le fonctionnalisme rythmique. Mais un pas de côté qui irait moins chercher du côté de la déconstruction post-club (comme ce qui a pu être le cas avec une certaine IDM) que du réinvestissement d’une tradition très largement redevable du moment Kosmische-Eno. Continuer la lecture de « Will Samson, Harp Swells (12K) »
Catégories séries
Machines #10 : ARP 2500, matrice analogique
Dans un entretien avec Julia Eckhardt, l’artiste sonore et compositrice Éliane Radigue explique en ces termes sa passion pour le synthétiseur ARP 2500 : « Le jour où je suis tombée sur l’ARP, c’était évident. Je n’avais plus à chercher. (…) le top du top du synthétiseur ARP 2500 était sa « voix » reconnaissable entre toutes, si délicate. C’est ce qui a déterminé mon choix. » Un éloge d’un instrument mythique par l’une de ses praticiennes les plus importantes qui souligne le caractère profondément singulier de son timbre, sa sophistication et richesse légendaires. Les travaux électroniques de Radigue, basés sur la pratique du son tenu et de la micro-tonalité, n’auraient à coup sûr pas pu atteindre la même rigueur formelle ni la même intensité sans l’architecture et la matrice de modulation particulièrement originales du synthétiseur. Continuer la lecture de « Machines #10 : ARP 2500, matrice analogique »
Catégories chronique nouveauté
Sister Iodine, Hollozone (Nashazphone)
On se souvient d’un concert de Sister Iodine aux Instants Chavirés vers la fin des années 2000, qui nous avait totalement chamboulé : la puissance cathartique de la prestation du power trio avant-noise, sa radicalité et l’extrême sophistication de sa déconstruction de l’héritage no-wave, nous avait définitivement convaincu de son importance au sein du paysage des musiques expérimentales. Véritable chainon manquant entre un rock bruitiste — axe Glenn Branca/Sonic Youth (période Bad Moon Rising) — et l’abstract noise électronique — axe Mego/Pan Sonic/Wolf Eyes — , Sister Iodine fait figure de point d’ancrage pour toute une scène française et internationale. Actifs depuis 1992, Lionel Fernandez, Erik Minkkinen et Nicolas Mazet ont en effet élaboré une œuvre à la radicale insularité : formes et formats dont il s’agit de dissoudre les cadres trop établis et contraints, en hybridant d’une manière totalement libre noise, post-rock, power electronic, hardcore ou encore électro-acoustique. Continuer la lecture de « Sister Iodine, Hollozone (Nashazphone) »
Catégories chronique nouveauté
Kali Malone, Stephen O’Malley et Lucy Railton, Does Spring Hide Its Joy (Ideologic Organ)
Living Torch, son précédent disque paru en 2022 , nous avait définitivement convaincu de l’importance de l’œuvre de Kali Malone. Sa prestation au festival Akousma x Présences électronique en 2021 aussi, impressionnante par sa manière de s’approprier le double héritage des musiques électro-acoustiques et du minimalisme drone. Une inscription revendiquée au sein d’une filiation précisément déterminée : on pense à La Monte Young évidemment, mais aussi à Eliane Radigue et Phill Niblock, comme trois figures matricielles d’un travail autour du son et de son étirement temporel. Et c’est ce qui frappe lorsque l’on aborde les pièces de la compositrice et musiciennes américaine, aujourd’hui établie entre la Suède et la France, à savoir la radicalité d’une approche visant une certaine sensibilité méditative. Continuer la lecture de « Kali Malone, Stephen O’Malley et Lucy Railton, Does Spring Hide Its Joy (Ideologic Organ) »
Catégories livres
Simon Reynolds, Hardcore (Éditions Audimat)
L’underground dance électronique UK a toujours été marqué par un certain nombre de caractéristiques saillantes : science du breakbeat, usage des basses et infrabasses, importance du MC, influences dub et dancehall, pratique du rewind, etc. Le tout croisé avec le canon techno/house en provenance des USA, conférant à cette une scène une véritable insularité générique : des premiers productions bleeps aux formes les plus contemporaines de bass music, en passant bien évidemment par le hardcore UK, la jungle, le UK Garage, le grime ou le dubstep, une certaine logique de continuité peut en effet être repérée, par-delà les mutations inhérentes à la succession de ces différents courants ou sous-courants. C’est tout l’objet d’une série d’articles[1] rédigés en quasi- temps réel par Simon Reynolds pour Wire tout au long des années 1990, avec une conclusion en 2005 à propos des scènes grime et dubstep. L’occasion pour lui d’y forger une hypothèse théorique forte, celle d’un continuum hardcore qui lui permet précisément de saisir l’unité esthétique, matérielle, sociologique et géographique de tout un pan de la rave et post-rave UK. « (…) une généalogie musicale apparue à la fin des années 1980 qui, dans les années 1990 et 2000, a subi de rapides mutations et donné lieu à une succession de genres de dance music (…) c’est aussi une subculture, une sorte de macroscène qui tire sa cohésion d’une infrastructure durable composée de radios pirates, de clubs, de promoteurs de raves et de disquaires spécialisés, mais aussi de rituels et de procédures (…) pour la plupart hérités de la culture des sound systems jamaïcains (…). » Continuer la lecture de « Simon Reynolds, Hardcore (Éditions Audimat) »