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Traiter du désespoir – Roberto Bolaño, The Flaming Lips et François Truffaut

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Fanny Ardant
Fanny Ardant chez François Truffaut

On peut pendant, longtemps, mal recevoir et mal traduire une livre, un film ou un disque. Un malentendu, comme l’on dit souvent. Notre époque n’en manque pas. C’était l’une des obsessions de Roberto Bolaño, régler son compte à toutes formes de langage « mauvais », ce langage articulé pour désinformer, pour créer le vide. L’auteur de 2666 s’est souvent amusé à reproduire une scène littéraire – celle que l’on peut discerner à chaque automne, ici, en France avec toujours les mêmes noms et visages – en y montrant toute la vanité de ces éternels ambitieux du moindre prix. Continuer la lecture de « Traiter du désespoir – Roberto Bolaño, The Flaming Lips et François Truffaut »

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Feeling Yourself Disintegrate – The Flaming Lips

17 secondes qui ont changé ma vie

Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge (détail).

Je n’avais jamais vraiment pensé à la mort avant d’entendre Feeling Yourself Disintegrate, la chanson qui clôt l’album que les Flaming Lips ont publié en 1999, The Soft Bulletin. Enfin, pas à la mienne, et pas de cette façon : au son d’un morceau qui continue de m’évoquer la version musicale d’un tableau de Fra Angelico qu’aurait réinterprété Moebius.
Encore aujourd’hui, c’est pourtant bien vers la prescience d’une fin de moi que dérivent mes pensées lorsque se conclut le deuxième refrain et que la voix de Wayne Coyne, fragmentée, réverbérée et démultipliée, disparaît derrière un rideau de chœurs épais comme de la bure pour laisser sa place à ce que je tiens pour l’un des plus émouvants solos de guitare qu’il m’ait été donné d’entendre, tous genres et époques confondus. Rien que ça. Un chapelet de quoi ? Dix, quinze notes trébuchantes arrachées à des cordes raides comme les tables de la loi, mais dont la force et l’évidence renvoient à leurs rosaires tous les pontifes de la gamme pentatonique. Et fait immanquablement monter à mes yeux tout le sel de la Mer rouge. Un solo qui, alors que le chant des anges vient soudainement allumer le ciel et qu’au loin tintent les cloches du jugement dernier sous les marteaux d’un xylophone, s’envole avec un glissé héroïque pour s’écraser aussitôt sur un petit motif têtu, presque enfantin, que Steven Drozd, le batteur-guitariste du groupe, va répéter pendant presque une minute, jusqu’à ce que la nuit ait tout englouti. Plus un anti-solo, d’ailleurs, où ne s’exprimeraient que fragilité et impuissance résignée. Une sorte de mot d’excuse, comme une façon de dire : « J’ai fait de mon mieux, les gars, mais ce ne sera que ça. » Voilà le « doux bulletin » qu’adressaient à la postérité les Flaming Lips en 1999 : une ballade solaire sur la finitude de toute chose et la faillibilité de l’homme, cette machine à disparaître. On a appris, plus tard, que le chanteur Wayne Coyne avait perdu son père peu de temps avant d’écrire les paroles de Feeling Yourself Disintegrate, et qu’il lui était encore douloureux de l’interpréter en public. On a également appris que ces quelques secondes vers lesquelles semblent tendre tous les morceaux de The Soft Bulletin, et, a posteriori, toute la carrière d’un groupe dont la musique n’a plus jamais atteint ce pic d’intensité, avaient jailli d’une main qu’on avait, quelques semaines plus tôt, failli amputer. Un mois après la sortie de l’album, j’achetais donc ma première guitare électrique, une acquisition que j’avais maintes fois repoussée. Et j’adressais à mes voisins mes premiers doux bulletins.