Cléa Vincent, Ad vitam ærtenamour (Midnight Special Records)

« Comme un voyage en avion,
un séjour en apesanteur
« 

Cléa Vincent, la femme aux mille visages, revient et reprend le fil de sa belle discographie officielle. Exit les aventures tropicalistes (Tropi-Cléa 1, 2 et 3), les addenda inattendus sous la forme de petits 45t pirate (Kim et Cléa, Quelque chose qui me chiffone), les projets de côté qui prennent la lumière (Les Clopes où Laurence Inutile, son alias, chante et compose des hymnes mélancolo-rigolo comme Eternellement Schlag), les disques pour enfants (Chansons douces et 36 touches avec à chérir pour toujours les petits bijoux Ecole militaire et Askip), exit tout ça. On oublie sans doute d’autres chemins de traverses tant la musicienne, productrice (on attend la suite des Sessions du carreau notamment) sait se démultiplier dans une histoire dense et déjà sertie de petites légendes : ce n’est pas donné à tout le monde de commencer sa carrière par un album « perdu » qui s’échange encore sous le manteau, ou d’animer un show vidéo qui revisitait avec bonheur les cases variétés TV, le fameux et malheureusement abandonné Soooo Pop, en accueillant Katerine, Christophe, Lio, et les nouvelles pousses de la chansons françaises.

Bref, retour à la discographie « officielle » de Cléa Vincent, avec Ad vitam ærtenamour, troisième album si on a bien compté, après Retiens mon désir (2016) et Nuits sans sommeil (2019). Officielle, on s’en fiche, mais ce qui nous retient ici, c’est d’approcher la véritable identité de la chanteuse, de découvrir quels sont les produits (dans le sens mathématique) de toutes ses expériences et de toutes ses rencontres. Y a-t-il UNE Cléa Vincent irréductible dont le style éclaire tous ses essais parallèles ? Bien sûr que oui, et Ad vitam ærtenamour (à quelques voyelles d’une autre sortie poids lourd, celle de Booba et son Ad vitam ærtenam, on a bien rigolé) le montre : Cléa Vincent excelle dans la mélodie et le texte mélancolique, une sorte de réel cotonneux accentué par les manteaux  électroniques dont elle revêt ses chansons, comme des protections. Amours qui naissent et qui meurent, questions en suspens entre les deux, le disque voyage dans une utopie contemporaine, synthèse de chanson française (la période 1980) et d’eurodance du futur.

On sait à travers les entretiens de la musicienne combien l’album de Paradis (Recto Verso, 2016) a été pour elle (et pour beaucoup) un nouveau point zéro de la musique pop d’ici, et ça s’entend notamment sur les petites ritournelles de C’est OK ou de Tombé du ciel : même volonté d’organiser les machines, de s’y abandonner (on est d’ailleurs pas surpris d’y retrouver le pixie des pixels, Jacques, en duo sur Etat Second), d’essayer de faire couler la cire des émotions entre les 0 et 1, de parer de larmes les boules à facette, de marcher sur les sables d’Ibiza avec un walkman. Sans se départir de toutes l’expérience accumulée, Cléa Vincent maîtrise cette impression de pop rêvée à l’intérieur d’un avion de ligne, entre jet lag cotonneux et nostalgie de la terre ferme, la chanson comme une parenthèse, souvenir fantasmé d’une boîte de nuit éclairée de lumières chaudes et réminiscences de tubes (de la Lio des débuts aux Pirouettes de la fin). Il y a aussi une façon de manier les syllabes, d’entrer dans une écriture de chansons simples sans jamais verser dans le déjà-vu d’un classicisme ronron. Au contraire, les changements de rythmes de la diction donnent une belle énergie, comme deux-trois expressions lancées façon trap (Relire entre les lignes / Les signes de notre avenir / Il n’y a pas de hasard / Retrouvons-nous) qui laissent la place à une phrase plus longue dévalée à toute vitesse (Qu’importe le temps que ça prendra ça dépendra /…/ Qu’importe le vent qui nous pousse à la dérive) dans la chanson Se laisser partirtroublé par la présence d’un vocoder. Il y a de la matière à explorer, ça c’est sûr. Et je ne sais pas si c’est le fait que Cléa est pianiste, mais il y a toujours ce petit nuage de parfum Berger-Legrand vaporisé dans un coin, du jazz (d’Yves Saint-Laurent) pianoté par une house-girl à casquette, un peu, tiens, on dira…

Il faut un peu de temps et plusieurs écoutes pour casser un peu la glace, comme pas mal d’objets pop récents, mais une fois la vibration acceptée, Ad Vitam ærtenamour et Cléa Vincent, c’est tout un monde à explorer, t’as capté.


Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *