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Joy Division Unknown Pleasures
« Unknown Pleasures » sur la platine de Christophe Basterra, ce matin.

Ce n’est pas un jour à récrire l’histoire. À faire croire que… alors que non, bien sûr, je n’ai pas acheté Unknown Pleasures le jour, ni même l’année de sa sortie. En 1979, j’écoutais le top d’Europe 1Making Plans For Nigel était bien classé – et j’avais les deux premiers albums de The Police en cassette, qui tournait en boucle dans mon petit magnétophone portable. C’est même un jour à redire à quel point je préfère le groupe d’après. Mais peu importe.

Unknown Pleasures, ce n’est même pas le premier disque que j’ai acheté de Joy Division – ce doit être le maxi de Love Will Tear Us Apart. Ce n’est même pas un disque que j’ai écouté ad lib et usé jusqu’à la corde (pardon). J’ai surtout été impressionné par la rugosité de la pochette. Par ce dessin dont je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il pouvait représenter – mais bien sûr, j’avais acheté le tee-shirt aux Puces de Clignancourt (on achetait souvent nos tee-shirts à Clignancourt).
Et puis, j’ai surtout été impressionné par trois chansons : la rage froide de Shadowplay, la plénitude presque pop de Disorder et la précision clinique de She’s Lost Control – dont je découvrirai plus tard les effets dévastateurs qu’elle pourrait avoir sur des filles au milieu d’une piste de danse (et pas n’importe quelles filles).

Unknown Pleasures n’a pas changé ma vie. Ian Curtis non plus. New Order, certainement. Si j’habite aujourd’hui à côté de Clermont Ferrand, ville jumelée avec Salford, ça n’a rien à voir avec tout ça. Mais quand même. Unknown Pleasures : il suffisait de s’arrêter au titre pour comprendre qu’après ça, plus rien ne serait pareil.

BONUS  : une chronique de l’album, pour le factuel.

Joy Division, Unknown Pleasures (Factory)

Un concert peut-il changer le cours d’une vie ? À Manchester, le 20 juillet 1976, ils sont une quarantaine à assister à celui des Sex Pistols au Free Trade Hall. Mais dans la maigre assistance, se trouvent la plupart de ceux qui vont métamorphoser une ville quasi-fantôme, frappée de plein de fouet par la crise industrielle, en l’une des capitales de la musique moderne. Ainsi, Peter Hook (basse), Bernard Sumner (alias Albrecht – guitare) et Ian Curtis (chant, danse) forment en 1977 les Stiff Kittens. Vite rejoints par un batteur digne de ce nom, Stephen Morris, ils deviennent Warsaw, puis Joy Division – un nom lié à l’une des pages les plus sombres de l’histoire : ces divisions de la joie étaient constituées de femmes déportées réservées aux plaisirs sexuels des soldats allemands. Influencé par les suspects habituels – Iggy, le Velvet (celui de “White Light White Heat” plus que tout autre), mais aussi Kraftwerk et le krautrock –, doté d’une personnalité plus forte que la moyenne, le groupe profite du génie de son entourage – son manager Rob Gretton, le cofondateur de Factory Records Anthony Wilson, le producteur Martin Hannett et le graphiste Peter Saville. Car la somme de ces talents concourt à offrir une autre dimension à des compositions dont les versions scéniques, fricotant parfois avec la violence pure, n’ont que peu à voir avec celles qui voient le jour sur un premier album judicieusement baptisé Unknown Pleasures. Après deux ans d’un parcours ascendant, un EP autoproduit (le mythique An Ideal For Living) et des titres disséminés ici et là, Joy Division signe un disque fascinant, viscéralement lié à une période où tout semble foutre le camp. Bande-originale d’un futur drapé de noir – comme cette pochette granuleuse et énigmatique –, magistralement mise en son par Hannett, la musique, sévère et tendue, refuse de s’offrir trop facilement à l’auditeur. Le son clinique de la batterie – en particulier sur l’étourdissant She’s Lost Control –, la basse en apnée, les guitares à l’agressivité latente ajoutent à la dimension oppressante de ces chansons monochromes (le final angoissant I Remember Nothing), parfait écrin pour la voix blanche de Curtis, qu’on ne devine pas encore martyr. Entre la dimension pop de Disorder et les riffs métalliques de l’obsédant Shadowplay, Joy Division laisse poindre une force de frappe à nulle autre pareille. Personne n’en sortira indemne.

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