Pour contrebalancer l’anéantissement provisoirement contraint de la cueillette du muguet ou des grandes escapades printanières, nous sommes quelques-uns à avoir au moins pu nous délecter de l’événement majeur de ce week-end dernier. Au beau milieu d’un pseudo- pont du 1er mai qui s’est contenté d’enjamber les deux rives tristement identiques d’un long fleuve d’ennui, la diffusion gratuite pendant quelques jours de Teenage Superstars (2017) brillant documentaire consacré par Grant McPhee à l’émergence de la scène indie-pop écossaise tout au long des années 1980, a offert aux amateurs – mais qui donc songerait à ne pas l’être ?- quelques heures privilégiées de délectation nostalgique et de souvenirs partagés en compagnie de ces quelques tout jeunes hommes de plus de cinquante ans nommés Duglas T. Stewart, Eugene Kelly, Norman Blake ou Stephen McRobbie – on en passe, mais peu de meilleurs. Dans une séquence pré-générique introductive, le leader des Pastels raconte ainsi comment sa conversion au punk a débuté par un passage chez le coiffeur et lui a couté, quelques heures plus tard, un cuisant coup de soleil sur ses oreilles peu habituées à une exposition si intense aux rayonnements. D’emblée, la souffrance presque dérisoire associée à l’exaltation de la liberté fraîchement conquise : au-delà même de la métaphore ou de l’anecdote, il y a quelque chose d’une vérité profonde qui semble traverser les époques et s’inscrire durablement dans les prolongements de cette tradition musicale dont les Vaselines ou les BMX Bandits ont constitué les maillons si vitaux. Continuer la lecture de « R. E. Seraphin, Tiny Shapes (Paisley Shirt Records) »
Étiquette : Lieu : Etats Unis
Catégories 45 tours de confinement, Non classé
#44 : The Nails, 88 Lines About 44 Women (Jimboco & City Beat / Rough Trade, 1982/1992)

44 disques, 44 posts, mais certainement pas 8800 signes sur ce trésor (bien) caché qui connut plusieurs versions, toutes par le même groupe, The Nails.
A l’automne 1991, Rough Trade décida de lancer un Singles Club, sans faire mystère d’avoir piqué l’idée à Sub Pop. Vous contractiez un abonnement pour six mois ou un an et receviez par la poste un nouveau 45 tours chaque mois – vous pouviez également tenter de le choper chez votre disquaire.
Levitation, le groupe post-House of Love de Terry Bickers, fut la première référence, en octobre. Le single des Nails apparut en février 92, précédant d’un mois un chouette Mercury Rev – une reprise du If You Want Me To Stay de Sly and the Family Stone. La 16ème référence est évidemment chère à mon cœur puisqu’il s’agit de A Marriage Made In Heaven des Tindersticks, la version originale avec Niki Sin de Blood Sausage, pas celle avec Isabella Rossellini.
Bon, 88 Lines About 44 Women dans ma boîte à lettres, ce fut autant énigmatique qu’addictif. Continuer la lecture de « #44 : The Nails, 88 Lines About 44 Women (Jimboco & City Beat / Rough Trade, 1982/1992) »
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Car Seat Headrest, Making a door less open (Matador)
I believe that thoughts can change my body, répète Will Toledo sur son morceau d’ouverture, Weightlifters. De là à imaginer l’adolescent chétif des Twin Fantasy (2011) en culturiste, il y a un monde. Will Toledo a quelque chose d’un rapport conflictuel au corps (euphémisme) : « Don’t you realize our bodies could fall apart any second ? » disait-il y a encore peu dans un autre titre, intitulé… Bodys.
Débarrassons-nous immédiatement du narratif qu’il a décidé de construire pour la sortie de son deuxième album chez Matador – en ne comptant pas le ré-enregistrement de Twin Fantasy : il a exprimé le souhait de porter un masque façon jeu vidéo afin de dissimuler son visage, amoindrir le poids du corps. Le narratif bégaie devant le Covid-19, il faut bien le dire. Toledo n’aura pas de concert à tenir avant quelques mois, on verra alors ce qu’il reste de cette décision. Continuer la lecture de « Car Seat Headrest, Making a door less open (Matador) »
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B.C. Camplight, Shortly After Takeoff (Bella Union/PIAS)
Soy Tonto!, proclamait-il déjà haut il y a bientôt treize ans sur l’un des titres de son deuxième album, Blink Of A Nihilist (2007). Nul besoin, en effet, de posséder un diplôme de troisième cycle en psychologie pour comprendre qu’il règne encore et toujours une agitation inhabituelle sous le chapeau melon de Brian Christinzio. Sa biographie officielle n’en a d’ailleurs jamais fait mystère en évoquant régulièrement quelques séjours en établissements spécialisés. Et pourtant, l’admiration que suscite une fois de plus l’homme-orchestre qui se dissimule derrière le pseudonyme de B.C. Camplight n’a pas grand-chose à voir avec la fascination un peu malsaine qu’entretiennent la plupart des autres grands givrés de l’histoire de la pop – de Roky Erickson à Daniel Johnston, la liste est longue. Nulle trace ici de délire paranoïaque ou d’exposition obscène de pathologies psychotiques. Il s’agit plutôt d’une folie douce, d’une fantaisie extrême et non dénuée d’humour. Continuer la lecture de « B.C. Camplight, Shortly After Takeoff (Bella Union/PIAS) »
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#42 : Seam, Look Back In Anger (City Slang, 1992)

colère, colère, colère,
tu me prends à revers,
colère, colère,
du terrain tu gagnes, du terrain je perds
(Bertrand Betsch, 1997)
N’en déplaise aux dylanophiles, l’injonction ou mesure barrière Don’t look back, titre du fameux documentaire que D.A. Pennebaker consacra à la tournée anglaise ’65 du Zim, n’aura été que trop peu suivie. Combien de fois se sera-t-on retourné tout au long de cette série ? Sur des disques principalement, parfois oubliés, sortant miraculeusement des boîtes où ils prenaient la poussière. Sur quelques concerts et rencontres. Sur notre jeunesse, nos erreurs, nos errements et nos actes manqués (arrête couillon, on dirait du Goldman). Sur notre mémoire surtout, parfois encore vive, le plus souvent lacunaire, vagabonde voire déficiente. Au moins aura-ton tenté de le faire avec une certaine retenue. Sans déverser sa bile ou envoyer valser à travers la pièce son bol de soupe à la grimace. Il y avait de quoi pourtant, face à la parole des Tartuffes officiels ou de certains journalistes, cette cacophonie où on percevait très distinctement le son des coutures qui craquent, à force de vestes maintes fois retournées. Continuer la lecture de « #42 : Seam, Look Back In Anger (City Slang, 1992) »
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Red Skylark, Collection 1 (Kool Kat Musik)
Les vertus auditives et indirectes du confinement continuent, à juste titre, d’être suffisamment soulignées pour que l’on s’attarde un instant sur le revers de la médaille. Alors que le temps s’étiole et se fige, l’investigation archéologico-réflexive des vestiges de nos propres passions musicales ne cesse d’apparaître comme un dérivatif captivant à la circularité de l’ennui. Comme autant de Xavier de Maistre de fortune, contraints de tirer le moins mauvais parti possible de l’autarcie provisoire, nous voyageons autour de nos discothèques pour y redécouvrir des mondes oubliés. Les souvenirs réconfortent ; les oublis se réparent : tout cela est bel et bon mais laisse peu de place, paradoxalement, à l’irruption de la nouveauté. Alors que les sources d’approvisionnement en musique fraîche tendent à se tarir et que les sorties attendues sont souvent différées aux calendes automnales déconfinées, la pénurie et la profusion œuvrent ainsi de pair. Pourquoi risquer de perdre son temps, même dilué, à explorer le superflu et l’incertain quand l’essentiel est en permanence à portée de mains et d’oreilles ? Continuer la lecture de « Red Skylark, Collection 1 (Kool Kat Musik) »
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#40 : Heavens To Betsy / Bratmobile, My Secret / Cool Schmool (K, 1992)

Telle La Lettre volée d’Edgar Allan Poe, invisible puisqu’en évidence sur le fatras du bureau, elles trônaient là, surplombant toute la pièce depuis des mois, des années. Postées sur un des rayonnages les plus élevés de la bibliothèque, elles me toisaient, me faisaient de l’œil, parfois me sifflaient sans que je ne les voie ni les entende. Hey, petit mec, tu crois quoi ? Qu’on n’est pas assez bien pour toi et tes platitudes nombrilistes ?
So cute. Un amour de 45 tours. Une merveille de pochette, parangon de DIY estival, mais en noir et blanc quand même, l’air de dire méfiance, on n’est pas là pour (trop) rigoler. Un split single qui donne la banane, encore aujourd’hui. Publié sur K Records, label d’Olympia, État du Washington, drivé par Calvin Johnson. Papier plié, protection plastique, avec, faisant la nique à FAC 23 ou SARAH 18, la ref. parfaite, ultime, l’Everest du cool : PUNK 1. Continuer la lecture de « #40 : Heavens To Betsy / Bratmobile, My Secret / Cool Schmool (K, 1992) »
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#38 : R.E.M., It’s The End Of The World As We Know It (And I Feel Fine) (I.R.S. Records, 1987)

Celle-là, je l’aurai longtemps tenue en laisse, laisse sur laquelle elle n’a cessé de tirer. D’entrée j’ai pensé la renvoyer ad patres, au mieux au chenil. Il fallait m’en débarrasser, l’oublier au plus vite, elle puait trop l’évidence. Sur n’importe quel blog, dès les premières heures de la pandémie, des types – ou des filles, des femmes, je ne m’y retrouve plus, désolé Caroline, et tou.te.s mes respects inclusif.ve.s – se seraient empressés de la mettre en avant, pour mieux l’exécuter en quelques lignes. On a dû la croiser partout, engluée dans la toile, dans chaque impasse Tweeter, ou pire, sur des sites d’actu en continu – racontez-moi, je n’y étais pas. Et puis les semaines et les posts se sont succédés, beaucoup de disques nous ont épuisés, les munitions sont venues à manquer. Alors, quand redoublant d’insistance elle s’est à nouveau présentée, j’ai fait preuve de mansuétude, même si elle est loin d’être ma chanson de R.E.M. préférée, ou la plus représentative du génie (ooops, un gros mot !) des quatre d’Athens, Stipe, Buck, Mills, Berry, carré magique, même sans ballon.
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