Les enfants de la parodie

Au sujet de Attic Abasement

Attic Abasement
Attic Abasement

Il y a dans le cinéma de Jean Eustache, un personnage – qui a réellement existé – se présentant comme le sosie parfait de Jean-Paul Belmondo. On ne le voit pas, on y fait référence. Cette parodie du célèbre acteur devient pour Eustache, plus vrai que le vrai. Et le cinéaste ajoute amèrement : « Le faux, c’est l’au-delà ». Idée séduisante du vampirisme, de la contrefaçon tragique et lumineuse. La musique connaît ces personnages-là, ces fantasmes de création clonée. Cherche-t-on dans ces groupes de seconde zone, une part d’innocence ? Dans cette répétition – qui n’est pas un retour du même mais plutôt un mantra – on prie pour revivre une révélation musicale. On veut retrouver ces moments qui nous rattachent à un secret, un amour inoubliable qui sait ?… Lorsque David Berman est mort, je n’ai plus écouté les Silver Jews. Ecoeuré. Fadeur des souvenirs, cafard éclatant et idées noires de jais, je ne m’aventurais pas à un retour aux sources. Il faut savoir s’acclimater, à ce qui est devenu, la voix d’un mort. Et puis The Natural Bridge – pour moi – c’est une peau blanche sous des collants noirs filés, un parfum fort de chevelure encré à la naissance d’une nuque…mais encore – un regard, une saveur. Et aussi, un sein pressé contre moi dans la pénombre d’une salle de cinéma ; c’est de jolis créoles arrondissant un profil coupé droit, un tatou léger et une voix grave. Je me suis souvenu de l’ensemble de ces fragments en entendant Mike Reinheimer. Plus vrai que le vrai, c’est donc ça. Car entendre Reinheimer chanter, façon bancale, c’est retrouver David Berman. Toujours ces foutus trois mêmes accords et ce son fragile, sale. Le groupe de Mike Reinheimer s’appelle Attic Abasement. Lorsque débute les premières notes d’Australia, merveille mélancolique nous ramenant aux premiers Smog, à un Pavement défroqué de façon lunaire et aux Silver Jews évidemment, on goûte à ce sentiment d’élévation, d’éblouissement esthétique. Attic Abasement n’est pas une nouveauté, non. C’est une cachette musicale, un tiroir où l’on découvre de magnifiques archives. La composante lofi de Dancing is Depressing, publié en 2010 et ressorti en 2018, continue sa marche triomphale et vénéneuse. Enregistré avec pas grand chose, délivrant des guitares sèches en forme de gigantesques épines, parcouru par une rythmique d’osselets scintillants, l’album se déroule comme une fièvre. Le disque suivant – Dream News (2016) – aux coutures plus apparentes, mieux produit, dégorge encore un peu de ce nectar tout en amertume. Cavalcades rincées, perdues entre un Silkworm neurasthénique et un David Berman revenu, plus fringuant, du royaume des ombres. Mais, on le sait maintenant : « le faux, c’est l’au-delà ». Le sosie se fait plus vrai que Berman et Attic Abasement nous le certifie : le jeu des chaises musicales est éternel. Les créoles brillent dans la salle de cinéma et les collants noirs sont toujours filés ; je peux m’en aller réécouter The Natural Bridge.

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