1983 est une année importante pour la musique pop. La sortie du synthétiseur DX7 contribue à drastiquement changer le son de la pop mainstream. Les synthétiseurs font certes de régulières apparitions dans les charts depuis les années soixante dix, mais ils sont souvent utilisés dans un contexte organique. Au début des années quatre-vingt, le paradigme change. Il est possible d’envisager des productions réalisées à 100% avec des outils électroniques, comme des boîtes à rythmes, des samplers (pour ceux qui en ont les moyens), des séquenceurs. La bascule est radicale. Au zénith de la culture yuppie et de la célébration de la réussite, tout le monde adopte ce nouveau son. Signe de modernité triomphante, il ringardise instantanément le reste. Un village gaulois résiste cependant dans l’ombre. Qu’ils soient à Manchester, Athens ou Los Angeles, des musiciens font de la guitare et d’une certaine idée de l’écriture pop, leur sacerdoce. Ils s’appellent The Smiths, R.E.M. ou Rain Parade et sortent leur premier album (pour les Américains) ou leur premier single (pour les Britons) cette année-là. Tête d’affiche du Paisley Underground, au côté des Bangles, Dream Syndicate et Three o’Clock, Rain Parade se forme autour de la paire Matt Piucci/David Roback très vite rejoint par son frangin Steven puis Will Glenn et Eddie Kalwa. Le groupe puise autant ses inspirations dans le psychédélisme, les Byrds, le Velvet Underground que dans les groupes qui l’ont immédiatement précédé, comme la scène punk de la côte ouest. Si les Californiens sont les plus versés dans le passé, tous ces groupes partagent un amour inconditionnel pour les années soixante, les grattes jangly de McGuinn et les chansons bien troussées. En 2021, les chantres du poptimisme y verraient certainement d’horribles réactionnaires. Pourtant, ni The Smiths, ni R.E.M., ni Rain Parade ne sont fondamentalement des groupes revivalistes. Ils sont avant tout des passeurs, des héritiers d’une tradition qui se serait peut-être évanouie sans eux. À la marge des grosses cylindrées enchaînant les disques d’or, ces formations vont s’épanouir dans un nouveau genre musical en gestation depuis quelques années : l’indie. Les premiers labels indépendants (New Hormones, Fast Product, Postcard, Rough Trade, Factory, Stiff etc.) apparaissent dans le sillon de la vague punk/new wave. Ils ouvrent la voie à cette musique empruntant autant au grands frères qu’aux parents. Il n’est en effet plus question de faire table rase du passé. Bien au contraire, cette nouvelle génération de groupes l’accepte, l’embrasse, sans non plus le fétichiser.
Avec Emergency Third Rail Power Trip, leur premier album, Rain Parade en fait une brillante démonstration. Disque d’une rare élégance, le long-jeux offre une expérience singulière à celui qui s’y aventure : un voyage ouaté aux tréfonds de l’âme. Loin de se contenter de singer leurs aînés dans un pastiche patchouli, Rain Parade font leur cette musique psychédélique. Plus qu’en imiter les oripeaux, ils en prolongent les contours. L’album s’écoute idéalement d’une traite pour offrir une parfaite immersion. Les morceaux s’enchaînent sans remous, ils créent une onde tranquille qui submerge progressivement. Les influences ne sont pas cachées, Rain Parade les assument même complètement. Le spectre des Oyseaux survole la magnifique What’s She Done to Your Mind tandis que le bourdon mélodique de Look at Merri convoque davantage la Factory de Warhol. Pourtant rien ne vient parasiter l’écoute de Third Rail Power Trip. Rain Parade a intégré ces codes dans une langue qui lui est propre. Le groupe californien est ainsi particulièrement à l’aise avec les longues plages lysergiques et mélodiques. Celles-ci culminent sur les magnifiques This Can’t Be Today et Kaleidoscope. Il est difficile de succéder à un album aussi maîtrisé qu’Emergency Third Rail Power Trip, et d’ailleurs Rain Parade n’y parvient pas. David Roback part après ce premier disque. Il s’en va fonder Opal (avec Kendra Smith) puis Mazzy Star (avec Hope Sandoval). L’éthéré Carolyn’s Song résonne ainsi d’une étrange manière à l’orée de sa carrière ultérieure. Au-delà du succès commercial tardif des projets de David Roback, l’influence du premier album de Rain Parade ne doit pas être négligée. Véritable classique du Paisley Underground, le disque créé un enthousiasme jusqu’en Angleterre auprès de musiciens tels qu’Alan McGee. Il incarne les aspirations d’une génération de musiciens ne voulant pas choisir entre punk et histoire de la musique pop quand il s’agit de créer.
Cf interview de Rain Parade parue dans Nineteen numéro 9, avril 1984 , pages 18-19 20
https://fanzinotheque.centredoc.fr/doc_num.php?explnum_id=899
Merci cool pour les archives! Merci Nineteen