Mark Tranmer (Gnac) : Discographie commentée

Mark Tranmer
Mark Tranmer

Depuis plus de trois décennies, Mark Tranmer est demeuré présent dans bon nombre des histoires musicales qui ont compté à nos yeux. Des histoires de petite dimension : celles, si précieuses, qui sont faites de souvenirs intimes ou collectifs ; celles qui occupent une place considérable dans une vie où l’essentiel semble, un peu plus chaque jour, constitué de l’assemblage de ces détails. La première fois, il était sur scène un soir de février 1990 – le premier concert partagé avec ma future femme, cela compte forcément – pour le festival Sarah Records. Quelques années plus tard, il y a eu ce concert de The Montgolfier Brothers – ce duo si mémorable avec feu Roger Quigley qu’Alan McGee avait comparé à une version de Durutti Column avec Ian Curtis au chant – sur une péniche parisienne où le public était presque exclusivement constitué d’amis futurs et de relations à venir, dont bon nombre de collaborateurs de la Revue Pop Moderne et de soutiens, proches ou lointains, des années de passion musicale partagée, jusqu’à ce jour. On s’est aussi attristé, agacé parfois, en compagnie des camarades de l’aventure Pop Lane du peu d’écho suscité par ces quelques albums que l’on tentait péniblement de faire sortir d’un entrepôt parisien pour les distribuer dans les rayons des grandes surfaces prétendument culturelles et qui revenaient à leur point de départ avec une régularité obstinée et presque tragique. Alors qu’importe si ces petites histoires n’ont jamais vraiment été – ou alors très fugacement – de celles qui croisent où constituent la grande. Les albums de Tranmer – réalisés en collaboration avec d’autres figures aussi chères et admirables ou en solo, sous l’intitulé de Gnac – se sont toujours conservés très près du cœur : des albums souvent aussi beaux à regarder qu’à écouter – la passion adolescente pour Les Disques Du Crépuscule a laissé des traces durables chez cet esthète pointilleux et qui ont fini par composer une véritable œuvre. Dont voici, commentés par leur auteur, quelques-uns des jalons les plus marquants.

St. Christopher, Bacharach (1990)

J’ai commencé à composer et à enregistrer très jeune, dans ma chambre, mais je n’avais jamais vraiment fait partie d’un véritable groupe. J’ai suivi quelques cours de guitare à l’école élémentaire, parce que le professeur était particulièrement enthousiaste. J’ai aussi pris quelques cours de piano mais j’ai vite arrêté quand j’en ai eu marre de me faire taper sur les doigts ! Je m’étais offert un magnéto quatre pistes – et puis un huit pistes, un peu plus tard – et je remplissais des cassettes entières de morceaux que je finissais par ranger soigneusement sous mon lit, au fur et à mesure, dans des boîtes à chaussures. A la fin des années 1980, je partageais un appartement à Sheffield avec mon ami, Keith Humphreys. Nous travaillions tous les deux à l’université. St. Christopher était basé à York, pas très loin de là où nous habitions. Je crois que leur bassiste était parti en Australie et ils ont demandé à Keith de le remplacer. Il n’avait jamais joué de cet instrument mais il s’est débrouillé pour en maîtriser quelques rudiments et il a plutôt bien assuré. Keith a donc intégré St. Christopher un peu avant qu’ils ne sortent leur premier single chez Sarah Records en 1989. Ils avaient déjà publié plusieurs singles autoproduits. Ils ont commencé à faire un peu plus de concerts au moment où ils ont signé chez Sarah. Ils avaient besoin de quelqu’un qui puisse jouer de la guitare et aussi un peu de clavier sur scène et, comme Keith savait que je jouais de la guitare, ils m’ont demandé de les rejoindre, peu de temps après. Cela m’a permis de jouer de la musique en dehors de ma chambre, de découvrir la scène, de voyager loin de chez moi et de tourner régulièrement pendant quelques années, mais je n’ai jamais participé à l’écriture d’aucune chanson. Glenn Melia prenait seul en charge cet aspect du travail. C’est aussi pour cette raison que je ne suis resté que deux ans : au bout d’un moment, j’ai eu envie de reprendre mes activités plus personnelles et de consacrer davantage de temps à ma propre musique.


Gnac, Sevens (1999)

Très tôt, j’ai développé cet intérêt pour la musique de film et les instrumentaux. Mes parents écoutaient beaucoup de musique classique : Bach, Beethoven, Purcell. Mon père appréciait particulièrement la guitare classique et les disques des virtuoses comme Julian Bream ou John Williams – le guitariste australien, pas le compositeur de musique de film. Mon père travaillait dans le marketing et il rapportait souvent des compilations de jingles de publicité qui trainaient le dimanche sur la platine familiale. La musique de film m’a beaucoup marqué aussi : je me souviens d’avoir vu mes premiers James Bond et d’avoir été frappé par cette musique tellement anguleuse et excitante. J’ai donc été exposé à ce type d’influences pendant mon enfance. Un peu plus tard, j’ai découvert The Durutti Column et j’ai pris conscience qu’il n’y avait pas forcément besoin d’un chanteur pour enregistrer d’excellents albums. En 1983, je suis tombé sur la compilation From Brussels With Love, 1980 publiée par Les Disques du Crépuscule. Il y avait beaucoup d’instrumentaux : Harold Budd, Wim Mertens, The Durutti Column, Gavin Bryars. J’ai donc continué d’enregistrer pas mal d’ébauches plus ou moins abouties pendant plusieurs années. Et puis je suis devenu ami avec Richard O’Brien qui a créé le label Vespertine en 1995. Il préparait cette compilation d’instrumentaux intitulée An Evening In The Company Of Vespertine, 1997 et il m’a demandé si j’avais un ou deux morceaux qui seraient susceptibles d’être publiés. J’avais grifonné GNAC sur la tranche de la cassette que je lui ai passée, parce que j’étais en train de lire la nouvelle d’Italo Calvino, Lune Et Gnac dans Marcovaldo (1963). C’est comme cela que le nom du projet est né. A la fin des années 1990, il y avait tous ces petits labels qui publiaient encore des singles : Amberley, Earworm, Kooky, Liquefaction… J’en ai contacté quelques-uns pour leur proposer de publier quelque chose et ils ont tous fini par accepter, à peu près au même moment. Du coup, j’avais trois singles qui sortaient en même temps sur trois labels différents. Je me suis demandé comment je pouvais redonner un peu de cohérence à cette histoire et j’ai donc imaginé ces pochettes en noir et blanc avec, à chaque fois, un élément végétal. Ce sont ces premiers morceaux qui sont compilés sur Sevens. Peu de temps après, Richard m’a proposé de publier mon premier album, Friend Sleeping, sur Vespertine, en avril 1999.


The Montgolfier Brothers, Seventeen Stars (1999)

Avec St. Christopher, j’étais très impliqué dans l’équilibre musical du groupe sur scène mais, quand nous avons décidé de collaborer, Roger Quigley et moi, j’ai eu pour la première fois l’occasion de participer à toutes les étapes du processus de création. Richard O’Brien avait fondé un autre label, un peu avant Vespertine, qui s’appelait Croissant Neuf. La première sortie était le Ep de Quigley, A Kind Of Loving (1995). Je l’ai écouté et je l’ai adoré. Richard voulait publier un split-Ep avec quatre morceaux de Roger Quigley sur une face et un groupe de Leeds, Lazerboy, sur l’autre. A cette époque, Quigley jouait avec trois autres musiciens : il jouait de la batterie et il chantait en même temps, un peu comme les Eagles ou Phil Collins ! Je suis allé les écouter en concert plusieurs fois et je trouvais ces chansons vraiment fantastiques et tellement délicates. Richard et Roger était ami depuis leur toute petite enfance – ils se sont rencontrés quand ils avaient deux ans – et nous avons commencé à nous voir de plus en plus souvent pour discuter et boire des coups. Nous avons commencé à travailler ensemble et Roger m’a appris que nous avions des fans en France, du côté de Tours. Je l’ai accompagné pour un concert là-bas, avant même que nous composions ensemble. Nous avons joué à Vendôme, pour les Rockomotives, en 1997. Nous avons aussi joué à Paris, sur la péniche 6/8, avec Spring et Air Wave. Nous avons commencé à interpréter sur scène les premiers titres des Montgolfier Brothers pendant cette petite tournée française. Le premier album est sorti en 1999. Peu de temps après, nous avons été invités à jouer dans un festival aux Pays-Bas, Crossing Border, pas très loin de La Haye. Le jeudi soir, juste à la veille de notre départ, j’ai reçu un e-mail d’Alan McGee, très bref : « J’adore votre album. Il faut qu’on discute. ». L’adresse de l’expéditeur était un peu bizarre : je crois qu’il y avait 4 ou 5 chiffres à la fin. Je me suis dit que c’était un copain un peu doué en informatique qui me faisait une blague. J’ai donc simplement répondu : « On part en Hollande demain. A la semaine prochaine . » Il s’est avéré que c’était vraiment Alan McGee. On a fini par le rencontrer à Londres et la première chose qu’il a demandé, c’est : « Lequel d’entre vous a écrit cette saloperie d’e-mail ? » Il nous a proposé de ressortir Seventeen Stars et d’en faire la première référence de son nouveau label, Poptones. Evidemment, nous avons accepté. Nous ne savions pas qu’il n’avait pas de contrat de distribution pour la France quand nous avons signé. C’est dommage : je pense que ça nous a un peu coupés d’une partie de notre public.

NDLR : Relisez la chronique du disque par Etienne Greib au moment de sa réédition en 2019.

Wingdisk, Time Is Running Out (2002)

Je connaissais un peu Ian Masters (Pale Saints, Spoonfed Hybrid) parce qu’il avait participé à cette première compilation instrumentale sur Vespertine. A l’époque, il habitait encore à Londres et je suis passé pour lui rendre visite. Nous avons commencé à nous amuser un peu avec quelques idées de morceaux. Il a déménagé au Japon peu après. C’est là que je l’ai rejoint et que nous avons fini par enregistrer Time Is Running Out que le label français Isonauta a publié. C’était au mois d’août : je me souviens qu’il faisait extrêmement chaud et qu’il n’avait ni climatisation, ni air conditionné. Nous essayions de travailler le plus efficacement possible en bougeant le moins possible. Ce sont des morceaux sans doute différents de ce que j’ai l’habitude de composer mais j’aime bien tenter des choses plus expérimentales de temps en temps. Et Ian adore la musique expérimentale ! C’est sans doute la personne la plus excentrique avec laquelle j’ai eu l’occasion de travailler.


Vetchinsky Settings, Underneath The Stars, Still Waiting (2019)

J’ai enregistré ce double album avec James Hackett de The Orchids. Nous nous connaissons depuis très longtemps, depuis l’époque des tournées Sarah. The Orchids sont venus jouer à Glasgow il y a quatre ou cinq ans. Je suis allé les écouter et nous avons passés une excellente soirée de retrouvailles. J’avais envoyé un exemplaire de mon album, Further Woodland (2015) à James peu de temps auparavant. Nous avons discuté un peu, après le concert. Nous étions tous les deux un peu souls et il m’a dit : « Il est super ton album, Mark mais pourquoi tu n’enregistres que des instrumentaux ? « . Je lui ai répondu, de manière à moitié ironique, que je ne trouvais aucun chanteur qui soit disposé à travailler avec moi. Ce qui n’est pas tout à fait exact. C’était un peu de la provocation. Mais il m’a répondu qu’il voulait bien chanter avec moi. Nous avons donc commencé à échanger quelques idées pour une collaboration éventuelle. Je lui ai envoyé une première chanson, Anymore et quelques ébauches beaucoup moins avancées : je pensais que nous allions plutôt travailler sur un single. Quelques semaines plus tard, il m’a rappelé. Je lui ai demandé sur quel morceau il avait travaillé pour la face B. Il m’a répondu qu’il en avait terminé seize ! On est donc passés directement du single au double-album. James a écrit les paroles et chaque face est conçue comme l’évocation d’une étape particulière de la vie, depuis la naissance jusqu’à l’imminence de la mort.


Gnac, Afternoon Frost (2021)

Je n’avais publié d’album de Gnac depuis longtemps. Mes activités universitaires me laissent de moins en moins de temps pour me consacrer à la musique. En même temps, je crois que j’avais accumulé une certaine dose de frustration qui s’est transformée en une énergie qui transparaît un peu dans ces dernières compositions. L’élément déclencheur a sans doute été la publication de cette compilation coordonnée par Bob Stanley et Tim Burgess, Tim Peaks, Song For A Late Night Dinner (2019) sur laquelle figure The Broken Fall, un très ancien morceau de Gnac. Franchement, je l’aurais achetée même si je n’avais pas eu l’honneur de figurer au générique : j’adore tous les morceaux et tous les artistes qui s’y trouvent. J’ai reçu ce mail qui sollicitait mon autorisation en février 2019. J’avais passé une journée particulièrement difficile au travail, il pleuvait et, tout à coup, ce mail a illuminé ma soirée. Cela m’a aidé à réévaluer Gnac et l’importance de la musique dans ma vie. Je me suis remis à composer, en commençant par Gathering Shadow, le premier titre de l’album. J’avais imaginé de publier un single, un peu sur le même modèle que ceux qui étaient sortis il y a un peu plus de vingt ans. Et puis le confinement est arrivé et j’ai pu avancer plus vite que je ne l’avais prévu, au point d’envisager de publier un album complet. La plupart des albums que j’apprécie sont plutôt concis et ne dépassent pas les quarante minutes : j’ai essayé de m’en tenir à ce format pour ne pas perdre en densité. J’ai acquis davantage d’expérience en tant que musicien au fil des ans, évidemment. Cela peut être considéré comme une bonne ou une mauvaise chose, je ne sais pas. J’entends dans les anciens albums de Gnac une forme de naïveté et de spontanéité qui a pu me permettre de tenter des choses plus aventureuses. Les sonorités sur lesquelles je travaille aujourd’hui sont moins synthétiques, notamment pour ce qui est des rythmes et des percussions. Je me rapproche sans doute davantage des sons plus délicats du jazz ou de la musique brésilienne qu’à l’époque où je me contentais de boîtes à rythmes plus rudimentaires. J’ai toujours été intéressé par le jazz mais cela s’est accru au fil des ans.


La discographie de Mark Tranmer est disponible sur sa page Bandcamp.

4 réflexions sur « Mark Tranmer (Gnac) : Discographie commentée »

    1. Messieurs Le Dain, Cervo, Barrier et Guillerm. Pas de disquaire, non, uniquement quelques stands de vente directe, notamment à La Route Du Rock.

      1. étrangement j’ai trouvé quelques cd de pop lane chez bimbo tower alors que c’est pas du tous sa came et assez récemment chez hand and harms mais la c’est normal ,gnac yves aime bien

  1. Very nice to see here a brief overview of a great all-rounder that i have
    been following for 30 years !Pleasant collaboration with crazy Ian , for
    which thanks .

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