Marc Almond & La Magia, The Stars We Are (Strike Force entertainment / Cherry Red)

Marc Almond
Marc Almond

Du précédent et bien nommé Mother Fist And Her Five Daughters (1987), nous avions un souvenir biaisé, évoquant les bas fonds barcelonais, le stupre (toujours, oui) et une atmosphère à la fois feutrée et vaguement angoissante. Suite à une dithyrambe bien sentie de Bayon dans Libé, nous rentrions enfin de plain-pied dans un disque solo de Marc Almond, et le réécouter aujourd’hui (pourquoi se gêner, hein) nous constatons ébahis que la veuve poignet n’était pas si honteuse et étouffante que ça. Bien que jouant encore sur sa fibre méditerranéenne, Almond y met déjà beaucoup plus de lumière qu’à l’accoutumée. Mais rien ne nous préparait alors à la luxuriance du suivant, le parfaitement intitulé The Stars We Are (1988), richement réédité ces jours-ci via Cherry Red. Ici, fini les caves sombres du Barrio Chino, tout y est excessif, merveilleusement troussé, en un mot : fabuleux. Fini la bamboche, bienvenue à Las Vegas. Qu’Almond quitte alors Virgin pour Parlophone, tout en gardant ses attaches chez Some Bizzare, ne doit pas être étranger à cette débauche absolue de lyrisme, d’intensité et de lumière. Si sur son successeur Enchanted (1990*) le beau Marc s’étouffe parfois sous les paillettes et le régime chantilly y amarena, le strass est ici alors à une dose parfaitement maîtrisée, excessive mais juste, le glaçage est toujours épais mais encore digeste. 

Et c’est pourtant sur le temps des regrets que s’ouvre l’album, comme un grandiloquent épisode de Star Wars qui oscillerait entre splendeurs du passé et promesses de l’avenir :

Do You Remember (…)
Having The Times Of Our Lives (…)
The Fun We Had
The Fun We’ll Have (…)
For Stars We Are
And Stars We’ll Be

Il ne pas croit si bien dire puisque la teneur essentielle en singles impériaux va faire du disque son plus gros succès depuis la fin de Soft Cell.

Autre cas d’école Tears Run Ring, qui damerait presque d’élégance et de classe tous les Depeche Mode et New Order de l’époque. Une trame electro pas trop pesante, des cordes effilées comme des amandes traiteur sur le refrain, et puis ce break pharaonique, dont on ne se remet jamais. 

C’est Sinatra et Scott Walker en maraude chez Coil. 

Et d’ailleurs, le beau Marc a déjà fureté chez John Balance et Peter Christopherson, lors de la performance How To Destroy Angels avec Zos Kia (Air Gallery, Londres, 24/08/1983) puis, invité de luxe sur leur chef d’œuvre Horse Rotorvator, paru deux ans plus tôt. Il y enlumine une version définitive du Who By Fire de Leonard Cohen de ses chœurs feulants. Sur le même disque, Billy Mc Gee signe les arrangements d’Ostia (The Death Of Pasolini), qu’Almond aurait surement chanté à merveille. Billy Mc Gee, membre des Mambas puis des Willing Sinners, la fine équipe qui entoure encore la diva ici. On le recroisera chez Ian McCulloch en solo, chez Barry Adamson, chez A.R. Kane et même chez Nick Cave, nous y reviendrons.

Il y a aussi au sein de La Magia, Annie Hogan croisée chez Soft Cell, chez Almond en solo, chez Deux Filles, chez l’ex-Kraftwerk Wolfgang Flür. Sans oublier Steven Humphreys qu’on retrouvera également chez Ian McCulloch en solo. Ne manque à l’appel que celui qui est désormais parti à plein temps chez Siouxsie & The Banshees, Martin McCarrick (This Mortal Coil, Dead Can Dance, Therapy?). Tout ce beau monde prend visiblement son temps et du bon temps en studio (Matrix, Londres) et la gloire de The Stars We Are sidère encore aujourd’hui à plus d’une occasion. Elle est bien là, la Divine Comédie, dans ces tours de forces mélodiques, ces tempêtes facétieuses et clinquantes dont même Neil Hannon à son plus chichiteux quelques années plus tard n’arrivera jamais à la cheville. On l’imagine d’ailleurs très mal ne jamais avoir écouté cet album.

De cette débauche d’effets spéciaux et de très grandes chansons, pointe pourtant l’île noire qui sera le tombeau (comprendre la dernière apparition discographique —l’avions-nous acheté pour ça en premier lieu ? Peut être…**) de Nico. Le crépusculaire Your Kisses Burn, duo improbable, là encore péplumesque et pourtant parfaitement agencé. Qui ne sursaute pas (d’effroi ou de rire) lorsque la vieille Loreleï susurre « I Will Take Your Very Soul… » n’est déjà plus de ce monde. Funeste mais indispensable.

Et puis comment ne pas voir en These My Dreams Are Yours, l’annonciation des grandeurs déviantes à venir chez Saint Etienne, Spiritualized ou Primal Scream ? C’est la Soul et le Gospel que l’on met à son niveau, que l’on défie de loin mais avec le plus grand respect. Autre indice, dans The Sensualist, Almond susurre plus d’une fois le mot ecstasy. C’est dire si, aussi ringard qu’il peut paraître à certains médisants de l’époque, Marc Almond est pourtant en avance sur son temps, pour les drogues, on savait. Et s’il s’y connait rayon débauche*** Almond ne cesse pourtant de contourner ses frasques pour se faire une place au firmament du mainstream et ce, sans jamais se renier.

Et va donc toucher le jack pot avec une reprise magnifiée du Something’s Gotten Hold Of My Heart de Gene Pitney. Cette vieille scie sensible et chevrotante**** a pourtant déjà été exhumée par Nick Cave sur son indispensable florilège de reprises (Kicking Against The Pricks, 1986) en assez belle compagnie (Johnny Cash, Jimmy Webb, The Velvet Underground, Mickey Newbury, John Lee Hooker, Leadbelly).

Almond va d’abord l’enregistrer seul avant de convier le vieux barbon à convoler avec lui. La version sans Pitney est mieux, il va sans dire, mais là n’est pas la question puisque leur duo se fraiera sans peine un chemin justifié vers les cimes des charts, numéro 1 en Grande-Bretagne, Irlande, Allemagne et Suisse, numéro 2 en Autriche seulement mais excusez du peu.

On vous épargne les versions d’Herbert Leonard et de Richard Anthony mais vous adorerez celle de Vicky Leandros qui ne fait pas semblant quand elle hurle : « L’enfer est dans mon âme et je crie… ».

Merci bien Gene Pitney, interprète sous la férule de Phil Spector de Every Breath I Take et co-auteur de He’s A Rebel pour The Crystals. Il faut voir dans le scopitone d’époque Almond arroser la vieille ganache d’une pluie d’étoile (c’est vers les 02:12) pendant le pont du morceau en chantant I’ve Got To Know If This Is The Real Thing

On tissera, voire on ourdirait presque une petite théorie sur les échanges occultes entre Almond et Nick Cave qui semble avoir retenu quelques enseignements de ce disque en publiant deux ans plus tard The Good Son (1990), son album de la maturité et un authentique chef-d’œuvre nonobstant, avec en point de mire The Ship Song, dont les arrangements soyeux seront signés par… Billy McGee. Dont acte.

Marc Almond atteint ici son apogée, et je sais pourquoi j’aime ce disque toujours aussi fort, plus de trente ans après sa parution. Il est la personnification de cette formidable et exigeante bienveillance consolatrice, qu’on aimerait trouver parfois, plus souvent, partout.


Marc Almond & La Magia The Stars We AreMarc Almond, The Stars We Are, dispobible en version 2CD/1DVD Expanded Edition (Cherry Red)
* précédé par son hommage à Brel (et donc Scott Walker à nouveau), sobrement intitulé Jacques (1989).
** en attendant vous pouvez lire l’excellent article que le nécessaire Julien Langendorff consacre à la paire qu’elle formait avec Philippe Garrel paru chez nos confrères du Gospel.
*** une légende urbaine circule alors, comme quoi il aurait été admis aux urgences avec plusieurs pintes de semence ongulées on ne vous dira pas où.
**** cette voix de fausset bêlant sur l’original, oh my…

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