Attendre la pluie pour finalement recevoir le soleil. Changer le chagrin en un talisman lumineux, jamais fané de gaieté. Il y a toujours dans l’immensité du ciel de Bretagne, ce basculement et ce vertige. Sur le chemin bordé d’ajoncs, il y a du mauve et du jaune crus à la André Derain ; ailleurs, c’est le gris et le brun salé de Vilhelm Hammershøi. Je me languis de voir tes jambes nues et tes cheveux bouclés se fondre dans le coloris d’un sable tendre. Pas loin, les roches roses de Primel livreront leur couleur à des embruns noircis de pluie retenue. Viennent les premiers bains sous les grappes d’étoiles. Ce désir de voir un détail caresser l’idée d’un infini, c’est peut-être l’impulsion première de la poésie. J’avais déjà vu ce nom au fil de mes lectures – Rebecca Elson. Elson a traversé la vie comme une comète. Emportée par un cancer à 39 ans, elle aura eu le temps de ressentir la tension merveilleuse entre la révélation d’un poème et l’incertitude de la recherche. Astronome, elle avait la minutie en elle et le sens de l’infime qui grandissant, encore et encore, finit par devenir chose impérieuse et immense. Oui, Devant l’Immense est un recueil de poèmes paru il y a plus de vingt ans et s’accroche aujourd’hui au wagon de l’éternité. L’astrophysicienne rejoint son enfance dans des rimes consacrées à l’abstraction céleste, au panorama monstrueux imposé par le cosmos. Le vertige de l’amour est aussi présent que la planète la plus éloignée. On le devine, très fort. Dans une autre baie, deux astres composent des madrigaux intemporels. Rose Melberg (ex The Softies) et Tony Molina, ont donné un concert tout en douceur à San-Francisco. Une petite cassette, éditée à quelques 600 exemplaires, témoigne de ce moment de grâce. On ne la trouve plus que dans l’immensité du web. Molina chante avec fragilité ses obsessions, son goût pour les Beatles et les Byrds. Rose Melberg déploie son art de la candeur, de l’émotion amoureuse contrariée. Chacun se partage une face de la cassette mais ces deux moments n’en forment qu’un. Unir une duplicité, attiré sur un même chemin les éléments les plus éloignés, c’est ce qu’a souvent tenté Jacques Rivette. Duelle (1976) était la preuve cinématographique de cette passion pour le binaire. Mais un binaire créateur d’immensité et d’improvisation. Dans Céline et Julie vont en bateau (1974), Rivette confronte de multiples altérités – le secret et la vérité, le théâtre et le cinéma, la réalité et le rêve. Je revois ce moment, délicat, où Dominique Labourier soigne une Juliet Berto blessée, où les flammes rousses de l’une crépitent aux pieds de l’autre, la brune. Rivette filme là l’union consacrée entre les deux femmes. Leur courage, leur folie, leur amour – oui, leur immensité.
Devant l’Immense de Rebecca Elson (L’Arbre de Diane, 156 pages)
Rose Melberg / Tony Molina, Live In San Francisco (650 Tapes / Smoking Room)
Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette (1974)
Et en bonus, les deux faces de la cassette.