Le festival de l’automne

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Lee Hazlewood
Lee Hazlewood

C’est une intensité rare qui sort de cette moustache noire de jais frémissante. Lee Hazlewood convoque, mieux qu’un autre, le sentiment d’automne. Grande et hautaine saison pour la pop musique. Peut-être, Fred Neil arrive, le temps d’un This Water Is Wide a retranscrire cette même grâce. Mais pour quelques happy few, cette chanson – My Autumn’s Done Come – relève de la liturgie. Ritournelle qui rend l’empreinte parfaite d’une saison et qui se reformule, comme un sublime aveu, chez les autres – Alpha, Tindersticks, Jarvis Cocker ou encore Richard Hawley. L’automne, c’est le temps de ce qui est réversible, de ce qui se répète mais de manière insaisissable. Dans un très beau livre, Le Jeu des Ritournelles, Aliocha Wald Lasowski, analyse cette fascination pour la répétition, ce jeu du retour qui forge les passions amoureuses comme musicales. Une chanson, qui traverse les époques, qui se retrouve reformulée de bien des manières, ne meure pas. On lui avait promis l’oubli mais elle tient debout, entre les notes d’autrui. Le sentiment d’automne peut être aperçu dans le I’m Glad du Captain Beefheart ou encore dans le Moonriver à rallonge de Morrissey. Mais rien ne vaut la voix d’ombre de Lee Hazlewood. Récemment, ce phénomène de retour bleuté, de mélancolie scintillante, c’est avec The Apartments qu’on l’a retrouvé. Michel Valente, dans son très bel article, citait cette phrase : « Une lumière s’éteint, une autre s’allume et la remplace », et on rencontre là, une nouvelle fois, ce cycle de l’automne qui nous apprend à perdre pour mieux nous renouveler. Peter Milton Walsh est un exemple parfait de cette saison de crépuscule et de lumières douces. Son dernier disque reprend, retravaille et reformule les mêmes obsessions. Pourtant, il s’en dégage cette perpétuité de la beauté. Une musique inaltérable et unique. Et c’est ce qui demeure fascinant avec The Apartments : les retours sont désirés, on les imagine et pourtant ils sont imprévisibles. Car toujours, la rengaine du sublime donne ce goût de l’inattendu. C’est d’ailleurs le sujet du dernier livre de Jean-Philippe Toussaint – l’imprévisibilité. Dans Les Émotions, Toussaint décrypte la vanité des personnes qui veulent tout maîtriser jusqu’au plus ridicule détail. La frontière est si fragile entre la capacité à renouveler une répétition et la jouissance de reprendre à l’identique, une vie. C’est aussi l’un des enjeux de la musique : nous rappeler l’essentiel et ne pas répéter inutilement.

 
Jean-Philippe Toussaint, Les Emotions (Les Editions de Minuit, 240 pages, 2020)

The Apartments, In And Out Of The Light (Talitres, 2020)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *