Gruff Rhys : « J’ai une passion pour les mauvais disques de country des 80’s ».

Gruff Rhys
Gruff Rhys / Photo : Alain Bibal

Avec 25 albums au compteur, Gruff Rhys fait désormais partie des vétérans de l’indie. Là où d’autres ont eu largement le temps de perdre musicalement en cours de route ou bien de griller leur santé physique et/ou mentale, Rhys continue d’étonner par la diversité et la qualité de son parcours artistique depuis la création de son premier groupe, Ffa Coffi Pawb, en 1988. Son dernier album en date, Sadness Sets Me Free, est sans doute l’un des plus variés de sa carrière. Ce n’est pas pour autant qu’il s’égare un focus sur les instruments acoustiques et un sens inné de la mélodie pop parfaite sont le point commun entre l’indie pop, la bossa et la country. Enregistré live en studio et en un temps record, la spontanéité de Sadness Sets Me Free en fait un disque à part, où le plaisir de jouer est palpable, et la complicité évidente entre les musiciens. Gruff Rhys, tout juste arrivé de Liverpool après un concert en ouverture de The Coral, le confirmera lors de cet entretien pendant lequel il nous parlera également du morceau qui a déclenché son envie de composer, de Lee Hazlewood et de l’importance du Surf’s Up des Beach Boys lors de la formation de son groupe Super Furry Animals. Le fait que Seeking New Gods, ton album précédent, se soit classé dans le top 10 au Royaume-Uni a-t-il ajouté un peu de pression, que ce soit de la part de ta maison de disques, de ton management, ou plus directement de toi-même ?

Gruff Rhys : Rough Trade m’a toujours laissé une liberté complète, ce qui me paraît incompréhensible. On ne s’attendait pas à percer le top 10 avec Seeking New Gods. J’étais heureux d’y côtoyer Elton John qui devait, de son côté, s’y trouver depuis plus d’un an (sourire). Sadness Sets Me Free a été enregistré au bon moment, juste à la fin d’une mini tournée en France et en Espagne pendant laquelle je tenais à jouer les nouvelles chansons en live pour les tester. 

L’album a été enregistré en 3 jours. Tu aimes pourtant laisser place à l’improvisation, aux accidents. En quoi travailler sur une si courte période a-t-il bénéficié à l’album ?

Gruff Rhys : Seules quelques chansons étaient structurées avant l’enregistrement car nous les avions travaillées en amont. C’était le cas de Celestial Candyfloss ou de Sadness Sets Me Free. Pour les autres, il y avait quelques bases de posées. J’ai voulu laisser le groupe s’exprimer tout en nous enregistrant en permanence. Cela a donné de longs morceaux que j’ai dû éditer par la suite pour transformer la spontanéité du groupe en chansons. Un nombre incroyable d’instruments vintage étaient à notre disposition dans le studio d’enregistrement. Nous avons tout testé à la hâte pour voir si quelques sons intéressants pouvaient en sortir. Le plus beau son de l’album, le piano de On The Far Side of the Dollar, a été trouvé à la toute fin, alors qu’il ne restait plus deux heures d’enregistrement. Nous avons dû nous dépêcher de l’enregistrer. La spontanéité peut avoir des avantages et des inconvénients (rire). 

Pourrais-tu nous parler de ton expérience aux Studios La Frette, situé dans une vieille demeure du 19ème siècle en banlieue parisienne ?

Gruff Rhys : C’était super. Je tenais à travailler avec Maxime Kosinetz avec qui j’avais collaboré sur le récent album d’Imarhan. Je savais qu’il était doué pour enregistrer les groupes en live. C’est lui qui a suggéré ce studio car il est spacieux, et il pensait que ce serait l’idéal pour créer une dynamique de groupe. Il le connaissait déjà, ce qui nous a fait gagner pas mal de temps. L’ambiance était très bonne. On prenait nos repas avec le staff du studio, y compris le jardinier et le propriétaire. Il régnait une atmosphère familiale et joyeuse. Étant dans un autre pays, je ne retrouvais pas ma famille le soir. Elle me manquait, mais j’ai pu me focaliser à 100% sur l’album. A La Frette, nous étions coupés de tout.

Tu nous précisais que toi et tes musiciens sortiez d’une tournée européenne et vous avez directement enchaîné avec l’enregistrement de l’album. Trouves-tu que l’on ressent une proximité et une complicité musicale plus importante sur Sadness Sets Me Free plus que sur tes autres albums solos ?

Gruff Rhys : Je le pense vraiment. Nous avons donné un concert à Dunkerque et nous avons aussitôt pris la route pour La Frette. Nous y sommes arrivés à trois heures du matin. Au lieu de nous reposer, nous avons installé tous nos instruments. Tout était prêt pour nous mettre au travail après quelques heures de sommeil. Nous étions vraiment au taquet (rire). Nous avons même enregistré en plein air, devant le manoir. Il existe bien plus de chansons que ce qui se trouve sur l’album. Certaines se seraient mal intégrées, d’autres n’étaient vraiment pas à la hauteur. Je n’aurai jamais pu enregistrer un tel album sans ce groupe. C’était agréable de sortir de la pandémie et de passer un tel moment en studio avec des amis.

Gruff Rhys Studios La Frette
Gruff Rhys, La Frette Studios, La Frette-sur-Seine / Photo : Alain Bibal

L’album s’ouvre sur un titre country, Sadness Sets Me Free. Ce n’est pas la première fois que tu explores ce genre, je pense également à Frontier Man. Aimerais-tu un jour enregistrer un disque entier dédié à ce style ?

Gruff Rhys : C’était prévu pour une bonne moitié des chansons du disque, mais quelque chose clochait. Je ne trouvais pas ces chansons très honnêtes. Je pense que le résultat aurait sonné comme l’album country de Ween (rire). C’est en fait un de mes fantasmes d’enregistrer un disque 100% country. Mais il y aura une règle à respecter : ne pas me prendre pour un chanteur américain. Le plus gros risque est de tomber dans les clichés ou le pastiche. Il y a quelques années, je suis allé à Nashville pour composer des chansons avec Cerys Matthews. C’était un rêve qui se réalisait. Il y avait un annuaire avec les coordonnées de tous les musiciens de session locaux à l’accueil du studio. Nous n’avions qu’à choisir. Tous étaient incroyables. Ils s’accaparaient les morceaux instantanément. J’aimerais un jour revivre ce type d’expérience. Je vais te faire une confidence, j’ai une passion pour les mauvais disques de country sortis dans les années 80. J’aimerais un jour pousser le vice jusqu’à ce qu’une de mes pochettes ressemble à une pochette de country des 80’s (rire).

Ton approche sur ces deux titres, fait penser à celle de Lee Hazlewood.

Gruff Rhys : Il ne fait pas de la country à proprement parler, mais je respecte énormément Lee Hazlewood pour la diversité de son œuvre. Il sait rester loin des clichés. Mais il n’est pas ma seule inspiration. Avant d’enregistrer Sadness Sets Me Free j’écoutais beaucoup des artistes du mouvement Outlaw comme Willie Nelson et Waylon Jennings.

Kate Stables de This Is The Kit a participé à ce nouvel album. Vous allez tourner ensemble aux États-Unis. Pourrais-tu nous dire ce que tu admires dans son art ?

Gruff Rhys : Sa voix est incroyable et sa musique me fascine. J’ai eu la chance de produire son dernier album. Mais au-delà de tout ça, c’est une personne qui m’inspire. Nous avons profité d’une de mes venues à Paris pour qu’elle enregistre avec moi pour Sadness Sets Me Free.

Tu sembles avoir beaucoup d’idées et de concepts pour tes albums. As-tu déjà essuyé des refus ?

Gruff Rhys : Figure-toi que non. J’ai encore du mal à le croire. Même si mes chansons sont souvent autobiographiques, je serais incapable de reproduire la même chose deux fois, d’où certains concepts comme celui d’American Interior qui était accompagné d’un documentaire et d’un livre. Si un jour je vais trop loin, il faut absolument que quelqu’un me le dise (rire). 

Tu as récemment décrit la musique que tu composes comme prédictible. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?

Gruff Rhys : Parce que je ne pousse pas les expérimentations au maximum. Pour Sadness Sets Me Free, je voulais voir ce que j’étais capable d’accomplir en privilégiant des instruments acoustiques. Dans ce contexte, je n’ai utilisé que certains instruments. Il n’y a rien de dangereux dans cette approche, je n’ai pas utilisé de scie sauteuse ou des clous pour faire de la musique industrielle.

Tu sembles toujours être à la recherche de mélodies parfaites, te souviens-tu d’une des premières qui t’a bouleversée quand tu étais jeune ? 

Gruff Rhys : Je me souviens particulièrement d’une mélodie qui m’a marquée dans mon enfance. Elle m’a obsédée et m’a fait me sentir instantanément heureux. C’est celle de la chanson Y Brawd Houdini de Meic Stevens, un chanteur Gallois. J’ai toujours le 45t à la maison. Il m’arrive de l’écouter. Bien plus tard, les Beach Boys m’ont fasciné. Particulièrement l’album Surf’s Up. Feel Flows et ‘Till I Die font partie de mes chansons préférées. Ils arrivent à stimuler les sens de l’auditeur avec des arrangements tordus et un chant très profond. Ce n’est pas étonnant qu’ils n’aient pas connu un grand succès commercial à l’époque de sa sortie. On peut les comprendre. Ils enregistraient des chansons depuis qu’ils étaient tout gamins. A un moment, ils ont dû avoir envie de se faire plaisir sans penser aux enjeux commerciaux. C’était notre disque de chevet au début des Super Furry Animals. Ce mélange de synthétique et d’organique nous fascinait. 

Gruff Rhys
Gruff Rhys / Photo : Alain Bibal

Ta carrière t’a amené à travailler et à tourner dans beaucoup de pays. Pourtant tu habites toujours le Pays de Galles. Quelle en est la raison ?

Gruff Rhys : Voyager beaucoup me donne envie d’avoir des repères. Pourtant début 2010 l’idée de déménager en Californie m’a traversé l’esprit. Je sortais d’une période intense de tournée et je me suis retrouvé seul avec ma compagne et notre enfant. Je me suis dit : pourquoi ne pas tenter une expérience à Los Angeles ? La scène culturelle était foisonnante, mais surtout, Boom Bip, mon partenaire dans le groupe Neon Neon, y résidait. Cela aurait été idéal pour travailler ensemble. Nous avons sauté dans un avion et sommes partis là-bas. Il est arrivé un pépin à ma femme qui a dû passer un scanner et ça nous a coûté 3 000$. Nous voulions un deuxième enfant et nous nous sommes renseignés sur les frais médicaux que cela pouvait engendrer. C’est à cause de la réponse à cette question que nous sommes rentrés à Cardiff au bout de quatre mois (rire). 

Tu fais aujourd’hui figure de référence dans le monde de la musique. Es-tu souvent sollicité pour des conseils ou des collaborations de la part de jeunes artistes ? 

Gruff Rhys : La musique n’est pas que mon métier. Elle représente également la quasi- totalité de ma vie sociale. Je rencontre donc beaucoup d’artistes, même des très jeunes. Mais je pars toujours du principe que l’expérience n’est pas compatible avec des bons jugements. J’ai tendance à dire aux musiciens qu’il faut qu’ils écoutent leur instinct plutôt que mes conseils. Eux par contre m’influencent beaucoup. Récemment, j’ai écouté en boucle le dernier album de Pys Melyn. C’est un mélange vraiment étrange de Doo Wop et de psychédélisme 60’s. La nouvelle pop électronique me passionne en ce moment. Des artistes comme Rozi Plain ou Jockstrap. Selon moi, ces derniers ont créé la musique du futur. Quand j’étais jeune je faisais des maquettes avec plein de collages. Je voulais créer une musique nouvelle, mais je n’arrivais pas à concrétiser mes idées. Grâce à leur ambition, Jockstrap y sont parvenus et ils ont placé la barre très haut. 

Quel est l’album de ta discographie dont tu es le plus fier ?

Gruff Rhys : C’est un album de mon premier groupe, Ffa Coffi Pawb qui s’appelle Dalec Peilon et qui est sorti uniquement en cassette en 1988. C’est mon tout premier enregistrement et l’expérience était magique. Je me souviens de tous les détails, même du modèle du magnétophone 8 pistes. Je suis toujours fier d’une bonne partie des chansons. Nous avons enregistré trois titres par session sur une période de quatre jours. Nous n’avions qu’une boîte à rythmes, une guitare et une basse. C’était vraiment magique !


Sadness Sets Me Free de Gruff Rhys sort le 26/01 chez Rough Trade / Beggars France

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