Friture, Carnet de synthé (ARVO Disques / Eternal Soundcheck)

Friture arvo disques« Papa, comment on fait pour pas être mort ? »

J’avais croisé Yohan, en spectateur, dans le groupe Yves Bernard qu’il partageait entre autres avec Josselin de Taulard. Le punk pop mélodique, concerné, personnel, y faisait mouche grâce à la belle énergie de ce quatuor, délivrée notamment en concert, mais aussi sur son inusable cassette, la bien nommée Demo (et notamment de mon concert crush 2018, Objectifs et compétences). Friture paraît sur la structure Arvo Disques, une sorte de joint venture entre les labels Buddy Records et Future Folklore, surtout tournée vers l’Australie (« L’Australie, c’est super (loin) » est le slogan marrant de la superbe pochette illustrée par Ratcharge). Dans ce groupe solo, Yohan se retrouve face à lui-même et alterne les constats amers vis-à-vis du monde globalisé qui nous entoure. Dans cette attitude, il nous rappelle un autre gars concerné et implacable de l’hémisphère sud, le néo-zed Chris Knox, bien sûr : à réécouter d’ailleurs son prémonitoire Liberal Backlash Angst, glaçant et drôle ! Friture évoque pas mal de trucs qui font mal, que ce soit les enfants lointains qui travaillent sur nos habits en s’empoisonnant (Polyester) ou les migrants qui se noient pas très loin de nos côtes (Les plages de tes vacances). C’est froid, sans concession, et si ça peut nous détourner de notre nombril quelques minutes, c’est bien.

Vers chez Yohan.
Vers chez Yohan.

Un ami me disait que quand on prend place derrière un micro, il y a peut-être  une responsabilité à endosser et peut-être dire des choses qui ne sont pas forcément plaisantes, ça fait partie du jeu, si on n’est pas uniquement dans le spectacle. C’est ce qu’il avait ressenti aux États-Unis, où quand les groupes montent sur scène, c’est aussi pour échanger avec la communauté, sur ce qui la traverse comme émotions, mais pas seulement. Alors ça peut surprendre. Mais la musique de Friture, si elle n’épargne pas nos paresses ou nos renoncements, se sent aussi très lucide vis-à-vis de ses propres malaises : relations difficiles avec les autres (Désapé) et avec ses parents (J’entends tout), crise existentielle profonde (La question qui tue), interrogation personnelle, féministe, politique, le mot est lâché. Sur le ton d’une confession chargée mais pas embarrassante, Friture assume sa solitude mais donne à sa musique une certaine ampleur (cuivres, orgue) et une certaine masse, ne se contente pas d’une trame squelettique. Il ne se cache pas et nous regarde droit dans les yeux. A nous de savoir si on a le courage et l’envie d’affronter tout ça, et de ne pas détourner les yeux sur ce monde qui nous entoure de bien plus près qu’on ne le pense, surtout au moment où tout le monde a besoin d’insouciance et de reprendre la fête où on l’avait laissée. Friture pourrait constituer un petit contretemps salvateur à cette euphorie volontariste qui monte, finalement pas moins triste que les constats qu’il a à nous délivrer.


Carnet de synthé, l’EP de Friture est disponible sur le Bandcamp de ARVO Disques.

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