Climats #20 : Tony Molina, Anne Dufourmantelle

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Les dernières grêles

Chez les romantiques allemands, le fragment était un outil indispensable afin d’appréhender l’universalité. Micro-pensées, micro-structures ou micro-sentiments qui viennent définir, encore et encore, une émotion précise. C’est, finalement, le labeur de Tony Molina. User de structure, de façon de faire pour aller jusqu’au bout d’un désir. Et ce désir ? Quel est ce désir si ce n’est que retrouver l’envie de musique, cette envie irrépressible qui nous prenait lorsque nous étions adolescent.e.s ? Tony MolinaCe temps est révolu mais Tony Molina le fait ressusciter sous forme d’apparition, de projection courte. Ses chansons ne durent pas plus d’une minute. Elles sont là pour nous faire ressentir une émotion précise – mélancolie, joie, colère, tristesse, amour – et repartir aussitôt. The Last Time ne déroge pas à la règle. Les codes sont précis : pop song où les lignes claires sont liées à la saturation, vitesse et langueur conjuguées et joie éphémère. La joie d’une mélodie qui arrive à nous faire revivre parfois tout un pan de notre vie en quelques secondes. Ré-écouter toute la discographie de Molina est une expérience. C’est vivre la même émotion, à chaque chanson. La courte durée des compositions nous épargne de toute lassitude. On entrevoit les fantômes des Beatles, d’Elliott Smith, de nos propres souvenirs qui nous désignent des moments qui ne reviendront plus. Ou peut-être les revivons-nous un peu, le temps d’une chanson de quelques secondes.

Encore un peu des premiers jours

J’écoutais, il y a peu, la Passion selon Saint Matthieu de Bach. La répétition renouvelée d’une rencontre, celle de la beauté, est toujours bouleversante. Elle est comme une joie trop forte à porter, une puissance. Les éditions Rivages publient de nouveau le magnifique texte d’Anne Dufourmantelle, Puissance de la Douceur. Comme pour la musique de Bach, à la lecture de ces phrases, une joie violente, presque agressive, m’a submergé. C’est la rencontre d’une beauté, c’est son saisissement. Rilke parlait de la beauté trop intense de anges. Aucune personne ne peut tenir cette beauté longtemps. C’est d’ailleurs le sens des micro-chansons de Tony Molina… cela ne peut durer. La préface, pour cette nouvelle édition, de Catherine Malabou est bouleversante. Car il fallait une autre voix, une voix présente pour faire entendre celle, disparue, d’Anne Dufourmantelle. Et elles se lient, ces deux voix. Elles se tissent ces deux femmes afin de composer un nouveau voile de lecture, une caresse. C’est sans doute là, le point central, chez Dufourmantelle. L’effleurement, ce geste en apparence léger sans conséquence qui, pourtant, porte en lui une profondeur inédite. J’en reviens à Tony Molina, à cette recherche de pureté dans la mélodie. Il semble effleurer une perfection. Il n’y arrive pas et essaie sans cesse. Ces essais durent peu de temps mais ils sont toujours à la recherche du même désir. Ce désir profond qui vient de l’enfance.


In The Fade, prochain album de Tony Molina dont est extrait The Last Time, sortira le 12 août prochain sur Run For Cover Records.

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