Moose, …XYZ (Hut Recordings, 1992)

Depuis quelque temps – quelques années pour être honnête -, je m’aperçois que je reviens souvent vers les disques qui m’ont accompagné pendant les années d’adolescence – la peur de vieillir ou l’envie d’essayer de renouer avec l’insouciance des soucis de ces années-là (les filles, le match de foot du dimanche, le prochain concert, le prochain disque, Rumble Fish en boucle, la relecture de Kafka et/ou Camus et/ou Kerouac – et bientôt McInerney ET Easton Ellis). Et finalement, des années de la RPM – pour résumer, 20 ans menés tambour battant -, je ne réécoute pas tant d’albums que cela – mais quand même pas mal de chansons.

Bien évidemment, il y a les exceptions et ce chef d’œuvre (oui, tout de suite, les grands mots), qui a fêté le 15 septembre dernier ses 30 ans, en fait partie. Parce qu’au delà des chansons magnifiques – j’envie tellement celles et ceux qui vont découvrir Sometimes Loving Is The Hardest Thing, Little Bird (Are You Happy In Your Cage?), Don’t Bring Me Down -, il y est question de passion, d’amitié, de confessions, de disparitions, de verres de trop, de sourires, de larmes, de refaire le monde. Un monde où il ne serait (presque) plus question que d’Arthur, de Bobbie, de Fred, de Dusty, de Lee – parmi quelques autres. Un monde où les mélodies porteraient haut les couleurs de la mélancolie, de ces couleurs qui font que la vie est parfois un peu plus douce. Un peu plus parfaite.

“Parfaites”, c’est bien sûr le dernier adjectif qui vient à l’esprit en (re)lisant les lignes suivantes publiées à l’origine dans le n° 5 du fanzine magic mushroom (automne 1992 est-il précisé sur la couve), des lignes plutôt gauches, un peu niaises et plus écrites avec les tripes qu’autre chose. Et de ce texte anecdotique, on pourra juste garder en mémoire qu’il évoque un de ces classiques oubliés, un disque qui a fait beaucoup pour les années 1990 et notre (in)culture en général – parce qu’avant Moose et ses costumes à veste trois boutons, pas grand monde de part et d’autre de la Manche, de part et d’autre de l’Atlantique, lorgnait vers l’Amérique encore fantasmée de la fin des années 1960, pas grand monde affichait une passion pour Elvis, Charlie Rich, pour une certaine idée de la country, pour Love… Parce qu’avant Moose, personne ne s’était acoquiné avec ces héros méconnus de notre adolescence et n’avait ravivé le souvenir pas si lointain d’AR Kane, Modern English ou Colourbox — exactement ce genre de groupes que nous pensions êtres seuls à chérir, après avoir écouté en boucle Lollita, Life In A Gladhouse ou The Moon Is Blue… Parce qu’avant et après Moose, personne n’a réussi à célébrer le mariage un peu dingue entre les brumes de la new-wave britannique et le soleil indien des sixties américaines – avant le délitement hippie. Alors voilà, c’est un peu tout ça qu’on a voulu dire à l’époque, sans vraiment savoir comment s’y prendre – c’était un peu pareil avec les filles d’ailleurs. Sans savoir non plus que ce groupe-là nous réserverait le meilleur pour la suite – même si, selon la formule consacrée, chez Moose et sur ses quatre albums, il n’y a jamais eu que des meilleures chansons.

De qui se moque-t-on ? Hier, à droite, à gauche et au centre, Moose n’était – parait-il – qu’un groupe de 3e division, tout juste capable – et encore – à accorder ses guitares. Des besogneux, quoi. Aujourd’hui, à quelques mois d’intervalle, les voilà intronisés rois de la mélodie, compositeurs géniaux, diamantaires hors-pairs. Les Beethoven de la musique pop en quelque sorte. Ben voyons… Ces gars là ont dû rencontrer quelques bonnes fées chemin faisant. Bon, trêve de sarcasmes. Il est juste temps de remettre les pendules à l’heure. Fallait-il être sourd ou malveillant — peut-être les deux à la fois — pour ignorer des bijoux tels Jack ou Suzanne qui se cachaient derrière la distorsion, pour ne pas remarquer cette voix détachée mais si poignante. Fallait-il être complètement idiot pour ne pas saisir l’importance de This River Will Never Run Dry sur le Reprise EP ? … XYZ était annoncé dans les déclarations de Kevin et Russell dès que l’on évoquait Forever Changes ou Nick Drake. C’est donc impatiemment et nerveusement que nous attendions ce premier album. Nous voilà comblés. Car MM. McKillop et Yates – les deux seuls rescapés de la formation originelle – ont ici réussi un pari insensé : mettre tout le monde d’accord puisqu’ici tout est parfait. … XYZ est une mine inépuisable, de cette veine que l’on redécouvre à chaque nouvelle écoute, qui d’une guitare acoustique, qui d’un violon lointain. Ces gens-là – mais on le savait déjà – ont du goût et le prouvent en sachant s’entourer de personnes essentielles : Lincoln Fong (ingénieur du son des Cocteau Twins), Roxanne Stephen (chanteuse de Th’ Faith Healers), Mick Conroy (bassiste de Modern English et actuel Stereolab) ou Steve Young (des mésestimés Colourbox). Un peu de temps et des moyens, il ne leur manquait plus que cela pour pouvoir enrichir à bon escient – toujours à bon escient – leurs compositions, pour fignoler les arrangements grâce à un orchestre à cordes sans tomber dans la préciosité et la grandiloquence. Eux seuls à l’heure actuelle pouvaient se permettre d’adapter une valse à quatre temps au format pop sur I’ll See You In My Dreams, de reprendre sans paraitre ridicules Everybody’s Talking de Fred Neil, bande originale de Macadam Cowboy, ou The Moon Is Blue de Colourbox – sur le 45 tours livré avec l’édition limitée du vinyle. Les chansons s’enchainent avec une facilité déconcertante et Moose réussit aussi bien dans la pop song élémentaire – comme en témoignent les incontournables The Whistling Song, Soon Is Never Soon Enough ou Little Bird – que dans la balade intimiste – parfaitement illustrée par Polly ou XYZ. Certains esprits chagrins tenteront bien de vous expliquer que cet album merveilleux est le seul fruit d’une production signée Mitch Easter. Vous ne le connaissez pas ? Mais enfin, le producteur du Murmur et de Reckoning de R.E.M., le membre de Let’s Active. Oui, je vous l’accorde, ce serait tout de même fort étonnant, surtout si l’on se rend compte que le son est ici beaucoup plus proche d’A.R. Kane par exemple, l’un des groupes anglais favoris – tiens, tiens – de nos deux compères. Allez, trêve de polémiques et contentons nous de saluer …XYZ, premier album réussi de A à Z depuis longtemps. Le premier classique des années 1990 ! Le genre de disque dont on tombe amoureux, éperdument amoureux, qu’immédiatement on range à côté d’un certain Forever Changes.


…XYZ par Moose est sorti le 15 septembre 1992 sur le label Hut Recordings.

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