The Beths, Expert In A Dying Field (Carpark)

Les années passent et les vraies rencontres avec la nouveauté se font implacablement rares. Un ultime dimanche de fin d’été qui coïncide avec un demi-siècle de vie : la juxtaposition était trop flagrante et elle aurait pu se dérouler, sans surprise, bercée par les réminiscences des enthousiasmes adolescents. The House Of Love et Suede ont refait surface quelques jours auparavant : de l’avis consensuel et plutôt légitime de ceux qui les ont toujours aimés, leurs albums sont même réussis. Suffisamment en tous cas pour qu’on s’autorise à entretenir en leur compagnie une nostalgie raisonnable et débarrassée de culpabilité. La tentation était donc forte de consacrer les premières heures de la cinquantaine au confort et à la rumination – deux valeurs qu’il ne s’agit nullement de dénigrer. Et puis The Beths s’en est étrangement mêlé. Il y a forcément une certaine incongruité à souffler symboliquement cinquante bougies en écoutant le nouvel album d’un groupe dont aucun des quatre membres n’était né alors qu’on s’extasiait pour les premières fois à l’écoute de Babe Rainbow, 1992 ou Dog Man Star, 1994 . Une sensation de décalage, comme l’impression de demeurer le seul parent à s’empiffrer de smarties à un goûter d’anniversaire organisé pour les copains de ses enfants. Et pourtant, quelques écoutes plus tard, le diagnostic s’est bien confirmé : mes premiers jours de vieillesse se déroulent en compagnie des chansons d’un groupe de jeunes.

The Beths
The Beths

C’est qu’il y a dans cette rencontre un peu plus que de la connivence intergénérationnelle, davantage que cette complicité musicale parfois teintée d’une touche de paternalisme et qui consiste à reconnaître avec une certaine joie les références partagées au-delà des frontières entre décennies. Bien sûr, il y a quelque chose de touchant à reconnaître, dans les références que transportent les bombinettes power pop d’Elizabeth Stokes et de ses camarades, les jalons intacts de nos propres cheminements lointains. À distance, on imagine les mêmes découvertes et ce qu’elles ont pu susciter d’émerveillements analogues. On serait même prêt à parier que ces anciens étudiants en jazz de l’université d’Auckland sont bien trop cultivés et curieux pour ne pas avoir pratiqué une archéologie virtuelle qui les aurait conduits jusqu’aux vestiges de The Go-Go’s ou de Nikki And The Corvettes. Toutes ces affinités sont réjouissantes mais elles ne lient rien d’essentiel. D’ailleurs, elles étaient déjà flagrantes sur les deux premiers albums de The Beths sans susciter pour autant une telle impression de proximité. Il y a quelque chose de plus profond dans ce qui est évoqué au fil des douze nouvelles chansons et qui comble plus efficacement encore les fossés générationnels.

Il suffit, pour commencer à le comprendre, d’écouter le premier couplet du morceau-titre. Stokes y évoque crûment et clairement les chocs en retour et les prolongements de la rupture amoureuse :  » And I can close the door on us/But the room still exists/And I know you’re in it. » Elle y résume là la fois la nécessité et l’impossibilité de tous les deuils et cela suffit à résonner.  » Somethings are best left to rot «  entend-on un peu plus loin, sur Best Left. Et il y a là une forme de sagesse et de résignation qui se transpose immédiatement. D’un bout à l’autre, Expert In A Dying Field est donc un grand album d’absences et de ruptures. D’abord parce que, plutôt que de se complaire dans les péripéties convenues du conflit ou de l’abandon, il se concentre presque exclusivement sur toutes ces scènes qui demeurent habituellement hors du champ et qui suivent le générique de fin, sur tout ce qui demeure alors même que le lien est déjà rompu. Ensuite, parce qu’il prouve par l’exemple que, contrairement à ce qu’affirment certains poncifs musicaux, les tristesses majeures se chantent parfois dans le mode du même nom. La tension entre une forme pop souvent très solaire – des mélodies immédiatement séduisantes et des harmonies vocales toujours irréprochables – et les nuances plus ambivalentes des sentiments évoqués crée un contraste qui saisit et captive. On se laisse plaisamment bousculer et emporter par le charme de ces tensions, par ces guitares compressées et superposées qui contribuent, au même titre que le rythme de cavalcade, à restituer une forme d’urgence – Silence Is Golden en est l’illustration sans doute la plus flagrante. Tout en conservant toujours cette fougue communicative, The Beths soigne aussi les nuances et les détails, s’autorisant même quelques moments d’accalmie à mi-parcours – I Want To Listen, joli interlude à la McCartney – pour mieux retourner affronter ensuite le chagrin et les doutes.


Expert In A Dying Field par The Beths est disponible sur le label Carpark.

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