#37 : The Boo Radleys, C’mon Kids (Creation, 1996)

The Boo Radleys, malle à jouets.
The Boo Radleys, malle à jouets.

Je ne sais pas si tout le monde suit au fond, mais l’école a repris. Depuis le début de la semaine. En tout cas pour les élèves de la zone C, celle qui m’intéresse au premier chef. Il ne s’agit évidemment pas d’un retour en classe, qui fait s’arracher les cheveux aux enseignants ainsi qu’à une part non négligeable des parents, mais d’un comeback tonitruant de ces chères têtes blondes, brunes, rousses ou crépues dans nos pattes de tuteurs improvisés, répétiteurs sommés de suivre les instructions scolaires plutôt que les chemins vicinaux qu’on affectionne. Loin de moi l’idée de tacler le corps enseignant confiné qui parfois se lâche (je ne remercierai jamais assez une prof suffisamment à l’ouest pour avoir en classe de 4ème initié mon aîné à Philip Glass et Steve Reich), mais là je me retrouve avec un gamin de douze ans face au Moby Dick de Melville, bien embêté pour dire de qui ou de quoi Ismahel est le nom.

D’où ce C’mon Kids du jour, qui appelle en écho un Let’s Go Dad (ainsi qu’un non négociable Hurry Up Mom – où ai-je donc la tête ?, déjà que certains tenants de l’écriture inclusive menacent de me dénoncer à Caroline De Haas). Vous comme moi, les gars, il s’agit d’en mettre un coup. Sinon je ranime le souvenir de Boo Radley, ce personnage de voisin reclus qui, dans le roman To Kill a Mockingbird de Harper Lee (et sous les traits de Robert Duvall dans l’adaptation ciné qu’en a fait Robert Mulligan en 1962) effraie autant qu’il fascine les enfants d’Atticus Finch.
Boo Radley, confiné volontaire, geôlier de sa propre timidité pathologique, tête éternellement baissée. Un héraut, porte drapeau en berne d’une génération mollement émergente mais qui renâcle à s’avancer jusqu’au bord de la scène, les shoegazers. Les débuts des Boos sont à la frange (sur les yeux) de cette scène et après un premier LP en 1990 (que personne, sincèrement, n’a vraiment écouté) dont le titre – Ichabod and I, avec huit ans d’avance sur le Sleepy Hollow de Tim Burton – pouvait laisser affleurer des tentations gothiques (le je a tout l’air d’être le Cavalier sans tête de la nouvelle de Washington Irving), nos Liverpuldiens se retrouvent signés chez Creation Records. Tout va pour le mieux toujours, a fortiori quand Martin Carr fermement décidé à ne pas se prendre les pieds dans les pédales d’effets et autres chausse-trapes shoegaze tel un vulgaire Chapterhouse chausse les bottes de sept lieux qui l’amènent à réaliser Giant Steps, cette fantastique aberration. John Coltrane peut se dispenser de s’essuyer les semelles avant d’entrer, les invités conviés en nombre dans cette auberge espagnole ayant dès le Lazarus avant-coureur outrageusement commencé à saccager les plates-bandes et convenances musicales. Ensuite John, il te faudra slalomer entre des débris de dub atomique, de jazz psychédélique, d’ambient sélectif passé au fer rouge ou au white noise, et que sais-je encore d’espèces non répertoriées. Sans tutelle aucune – ni producteur derrière la console -, les Boos, en majesté des mouches de Golding, sont tels des gamins expérimentant à tout va, fouillant avec un sens aigu du discernement dans une malle à jouets échouée sur le rivage. Une malle qui recèlerait aussi bien le vibraphone de David Friedman que les ascensions vocales de Tim Buckley, la rythmique de Sly & Robbie tabassée par le feedback de Kevin Shields, les trompettes de Forever Changes, les manuels d’instructions pour machines déviantes rédigés par Richard D. James, le rythme motorik de Klaus Dinger, les joints kingsize de Lee Scratch Perry et le Surf’s Up des Beach Boys – sur ce dernier point, plus prosaïquement, ce sont les bons camarades de Moose qui, alors que les Boos enregistraient Everything’s Alright Forever, les ont initié à Pet Sounds, un album alors inconnu de Martin Carr.
Tout ça, relayé par certains titres jouant sans vergogne la carte de l’association contre nature – genre Rodney King (Song For Lenny Bruce), un peu too much – pourrait donner lieu à une mélasse indigeste ou à des décoctions d’apprentis petits chimistes vous pétant sans crier gare à la gueule. Il n’en est rien, pendant soixante-quatre minutes miraculeuses, les divers ingrédients se combinent divinement, avec une science des arrangements et un sens de l’harmonie qui laissent pantois, encore vingt-cinq ans après. Quelle est là dedans la part de travail, celle de grâce, de hasard heureux ou de conjonction des astres ? Autant ne pas à chercher à le savoir, Giant Steps reste un album qui nous dépasse, tout en laissant la concurrence cent coudées derrière.

Après Giant Steps, après cette usine à tubes (potentiels) que fut Wake Up ! – et que Martin aime à nommer son album expérimental, celui où il doit se faire douce violence pour décortiquer la pop jusqu’au noyau et fabriquer des hits -, C’mon Kids fait figure d’album mal aimé, de rejeton turbulent qui se régale à multiplier les croche-pieds aux grands frères. Et c’est ce statut particulier, inconfortable et morveux, qui attise nos faveurs, jusqu’à l’ériger en fils préféré.
Sorti un mois avant l’album, le single What’s In The Box ? (de Pandore, ouverte comme chez Robert Aldrich, En quatrième vitesse) avait déclenché les hostilités et nous invitait à trouver la clé pour défricher ventre à terre des contrées inconnues – ou, et cette ambivalence ne cessera de nous titiller, arpenter à nouveau des territoires bien balisés. C’mon Kids, le titre d’ouverture du LP, enfonce le clou. Play it loud ! Les guitares heavy et les power chords incitent au headbanging, et Sice de devoir pousser sa voix pour surmonter le flot sonore, haranguant tel un tribun de république bananière une foule de gamins, leur ordonnant de se soulever pour « un son nouveau », de renverser les statues fraichement érigées des champions de la Britpop et d’aller voir, il n’en démord pas, ce qu’il y a à l’intérieur de cette satanée boite. Dans un genre similaire, injonctif et rentre-dedans, porté par le mégaphone de la pochette, il y aura également (au-delà de sa descente acoustique et codéinée) Get On The Bus, et cette triplette un rien bourrine n’est pas sans nous désarçonner. Les Boo Radleys se fantasment-ils en Cheap Trick (un groupe qu’on adore, pas de méprise !) de la Mersey, ou entendent-ils mettre à mal les architectures biscornues qu’ils avaient patiemment élaborées sur les deux albums précédents ? Ce sont là les titres « Y’know, fer kids », comme l’annonce Norville Barnes / Tim Robbins au moment de promouvoir l’invention du hula hoop dans le Hudsucker Proxy des frères Coen (la citation est consignée sur la pochette intérieure de l’album, ce n’est pas moi qui vais encore musarder dans d’improbables bas-côtés). Des titres qui tournent rond, qui turbinent bien si on veut garder à l’esprit la (métaphore) mécanique premier degré à l’œuvre ici, des titres pour que les mômes puissent s’éclater dessus. Soit. Ce qui, on n’en conviendra, ne peut suffire.
Alors, toujours sur la pochette intérieure, il y a une seconde citation. De Dylan Thomas. Poète gallois et jeune chien viré alcoolique notoire qui, parce qu’il n’avait pas un foie à soulever les montagnes, mourut prématurément à l’âge de 39 ans, en 1953. Un jeune homme du nom de Robert Zimmerman saura se souvenir de lui.
Que dit-elle ?

Rage, rage against the dying of the light.

Ce vers est extrait de Do not go gentle into that good night, un des poèmes les plus connus de Dylan Thomas, écrit en 1951 pour son père mourant. Et qu’un autre Gallois, John Cale, avait mis en musique sur son album Words For The Dying en 1989.

Ce vers, c’est la béquille de la plupart des autres titres de ce bon album dans lequel on n’entre pas sans violence.
Des chansons tortueuses, lysergiques, cabossées, parfois bien malades, à tiroirs et à linceul, ces Fortunate Sons, Bullfrog Green, Four Saints, ces Meltin’s Worm (KEEPMEALWAYSKEEPMEALWAYSKEEPME), ces chansons dont on ne sait plus si elles s’adressent au père ou aux fils. Ou encore ces autres, New Brighton Promenade ou Ride The Tiger, à peine plus apaisées et simplement renversantes. Je vous fais grâce de Everything Is Sorrow et de sa beauté intolérable.
Ce sont celles-ci que je retiens, et qu’aujourd’hui plus encore qu’hier je vais réécouter, pour ne pas enrager seul et en vain contre la lumière qui se meurt.

Quant à vous, kids, fortunate sons and grandsons, contentez-vous pour l’instant du 45 tours qui vous tend les bras – vous aurez bien le temps plus tard de délicieusement vous abîmer dans les autres titres.

I know it’s hard to do
But have we ever let you down
So c’mon kids.

4 réflexions sur « #37 : The Boo Radleys, C’mon Kids (Creation, 1996) »

  1. THE SONG OF MY LIFE – vol 328 : THE BOO RADLEYS – blues for George Michael
    perseverancevinylique.wordpress.com/2018/10/06/the-song-of-my-life-vol-328-the-boo-radleys-blues-for-george-michael/

  2. Citer Harper Lee, Washington Irving et Dylan Thomas dans le même texte, c’est de haut vol. Et encore j’oublie Herman Melville!
    Mais alors, on oublie Kingsize ??? Album injustement boudé par la critique!

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