La quête obstinée de la beauté dans les marges. C’est le fil conducteur du travail d’archivage méticuleux conduit depuis plusieurs décennies par Numero Group et qui postule de manière plus ou moins implicite une égale dignité – non pas une valeur identique, c’est autre chose – de toutes les œuvres, y compris les plus négligées ou les plus apparemment mineures. Qu’il s’agisse de restaurer le catalogue d’un label R’n’B de troisième zone avec la même minutie respectueuse que l’on devrait à des bandes inédites exhumées des caves de chez Motown – les dizaines de volume de la collection Eccentric Soul – ou de traiter les plus obscurs des pressages privés rescapés des greniers des songwriters amateurs du début des années 1970 à l’égal du Blue (1971) de Joni Mitchell – la série des compilations Wayfaring Strangers : il y a à la fois quelque chose d’attachant et d’un peu agaçant dans cette conduite éditoriale où le ce souci permanent de l’exhaustivité semble l’emporter sur la nécessité du choix franc et tranché, dans cette volonté de compléter l’histoire des sous-cultures locales dans leurs moindres détails, sans prétendre forcément à la réécrire à partir d’un point de vue esthétique sélectif et clairement assumé. Parfois, les méandres labyrinthiques de ces rééditions sont trop tortueux pour qu’on éprouve l’envie de s’y perdre : après tout, pour qui n’a pas vocation à l’écoute savante ou documentaire, le temps d’exploration des détails secondaires et des notes de bas de page de l’histoire n’est pas extensible à l’infini. Mais, il arrive aussi que ce refus de principe de toute sélection préalable trop rigoureuse magnifie l’écoute et les redécouvertes. Continuer la lecture de « Ida, Will You Find Me (Tiger Style, 2000 – rééd. Numero Group) »
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Henry Badowski, Life Is A Grand (A&M, 1981 – rééd. Caroline True)
On croit parfois connaître. Un peu, sans prétention. On se résigne même à ce que, au fil des ans ou des décennies, l’exploration maniaque et quasi-exhaustive des tréfonds des tiroirs de tous les catalogues les plus obscurs de l’histoire de la pop par d’innombrables labels d’archéologues en épuise inévitablement les ressources limitées. Après tout, comment la loi implacable des rendements esthétiques décroissants ne s’appliquerait-elle pas à l’exhumation de ces supposés trésors cachés qui finissent par décevoir, de plus en plus souvent ? Et puis, un beau jour, on tombe sur la réédition d’un album entier de 1981 dont on n’avait jamais – mais vraiment jamais – entendu la moindre note, dont on ignorait jusqu’à l’existence, et dont on n’attendait pas nécessairement autre chose qu’un vague intérêt documentaire et historique sur une période qu’on pensait labourée jusqu’à la roche. Pourtant, dès la première écoute, on ressort convaincu que cette passion musicale qui continue de mobiliser une part ridiculement excessive de l’existence – et de grever, au passage, les budgets dans des (dis)proportions totalement irrationnelles – n’est pas vaine puisqu’elle a permis de dénicher un album qui – c’est certain – restera tout prêt des oreilles et du cœur pour toute la vie à venir. Life Is A Grand est de cette trempe-ci et c’est presque miraculeux. Continuer la lecture de « Henry Badowski, Life Is A Grand (A&M, 1981 – rééd. Caroline True) »
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The Orange Alabaster Mushroom, Space & Time (2000, Earworm)
Le psychédélisme a eu son heure de gloire, pendant quelques saisons, à la fin des années 60. Quelque part entre 1966 et 1969, les groupes se sont épris de mélodies orientales, LSD et autres orgues acides. Depuis, de nombreux candidats ont essayé de retrouver l’alchimie unique de cette époque. Certains de ces héritiers y sont parvenus, par exemple Rain Parade et Dukes of Stratosphear au début des années 80 ou encore The Orange Alabaster Mushroom, quelques temps plus tard. Nous sommes en l’an 2000, pas de bug informatique à l’horizon mais cette drôle de pochette aux couleurs vives, d’un orange pétulant. À première vue, il pourrait s’agir d’un visuel de teknival, tant ce champignon stylisée exsude de substances psychoactives. Une fois la cellule posée sur le vinyle, c’est pourtant une toute autre histoire qui se joue. Continuer la lecture de « The Orange Alabaster Mushroom, Space & Time (2000, Earworm) »
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The For Carnation, s/t (Touch And Go / Domino, 2000)
Comment s’y remet-on ? Comment reprendre la main quand on nous a bien fait comprendre qu’on avait fait mieux que les autres ? Qu’on avait potentiellement et absolument tout dit.
Ça n’a pas du être simple d’être Brian McMahan après 1991, après la dissolution de son groupe, Slint, et la sortie (posthume donc) de Spiderland, disque immense sur lequel j’ai à peu près tout dit ici. La légende voudrait qu’avant même la fin de l’enregistrement McMahan soit parti, on l’a dit pudiquement, « en maison de repos ». Puis ait repris soit ses études, soit une vie « normale ». C’est impossible. Alpagué par son vieux compère Will Oldham, il commencera par s’y remettre dans la première formation des Palace, faux frères mais vrais amis. Pas forcement le pied à l’étrier mais un peu poussé au derche par le succès persistant de son grand œuvre et la suggestion, suite à l’édition d’un faux nouvel Ep de Slint (les deux morceaux datent en fait d’avant l’enregistrement de Tweez, premier album lui aussi récemment réédité de la formation de Louisville, Kentucky) par Touch And Go, de donner suite, il reprend contact avec les autres. Mais ça ne pourra jamais s’appeler Slint, ce sera donc The For Carnation (parfois sans The, parfois sans eux), qui sort finalement un premier Ep, Fight Songs, en 1995 chez Matador. Continuer la lecture de « The For Carnation, s/t (Touch And Go / Domino, 2000) »
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R.E.M., Murmur (1983, I.R.S. Records)
Aux débuts des années 80, R.E.M., pour Rapid Eye Movement, est peut-être le parangon du groupe indépendant américain. Nul autre plus que ces quatre gars d’Athens, en Géorgie, n’a mieux exprimé cette idée d’émancipation des courants hégémoniques. Pourtant, la formation naît dans le sillon de groupes new wave et post-punk comme les B-52’s ou Pylon. Comme Oasis, dix ans plus tard avec les Stone Roses, R.E.M. s’affranchit des aînés et trace sa propre voie, singulière. Si Murmur, leur premier album, sort en 1983, le groupe existe depuis 1980. Michael Stipe (chant) rencontre Peter Buck (guitare) sur son lieu de travail, un disquaire évidemment (le mythique Wuxtry Records). Par l’intermédiaire d’une amie commune (Kathleen O’Brien), ils font enfin la connaissance de Mike Mills (basse) et Bill Berry (batterie). Ceux là ne se quitteront plus.
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Neil Young, Oceanside Countryside / 1977 (Reprise Records)
Peu à peu, au fil d’un programme de rééditions (mais est-ce bien le mot ?) dont la forme et le calendrier échappent à toute espèce d’entendement, le halo de brume qui enveloppe une partie de la discographie de Neil Young semble enfin se dissiper. On le sait, l’homme est sujet aux toquades, caprices, volte-face et autres sautes d’humeur. Ce fut particulièrement vrai au milieu des années 1970, époque erratique sur le plan personnel, mais plutôt féconde d’un point de vue artistique. Ainsi, multipliant projets, collaborations et sessions d’enregistrement, Neil Young fit provision d’un riche corpus de chansons, avec lesquelles il entreprit d’assembler plusieurs albums. Continuer la lecture de « Neil Young, Oceanside Countryside / 1977 (Reprise Records) »
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Freeez, Southern Freeez (1980, Pink Rythm)
En France, nous connaissons Freeez surtout pour son immense classique electro-funk / freestyle IOU, sorti en 1982 et produit par Arthur Baker (Afrika Bambaataa, New Order). Beaucoup ignorent toutefois les débuts de cette attachante formation. Figure de proue de la riche scène brit-funk, Freeez pratique une musique organique dansante, dopée au jazz. Le groupe naît au nord de la capitale anglaise quelque part en 1978. Dans l’esprit punk/DIY de l’époque, Freeez monte même son propre label (Pink Rythm). Le premier album sort chez eux, deux ans plus tard, en 1980. Continuer la lecture de « Freeez, Southern Freeez (1980, Pink Rythm) »
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Andrew Gold, All This and Heaven Too (1978, Asylum Records)
À la fin des années 70, pendant que la jeunesse s’éprend de pogos punk et pas de danse disco, d’autres, un peu plus âgés, préfèrent la plénitude du soft rock. The Doobie Brothers, Fleetwood Mac, Supertramp ou Steely Dan se partagent les ondes de la radio AM et accumulent les succès au Billboard. S’ils sont les plus connus du lot, ils ne sont pas les seuls à peupler les discothèques des jeunes cadres dynamiques et autres trentenaires. Parmi eux, Andrew Gold mérite certainement notre attention. Le blondinet californien démarre sa carrière, très tôt, à la fin des années 60. Continuer la lecture de « Andrew Gold, All This and Heaven Too (1978, Asylum Records) »