On ne tombe pas tous les jours sur une telle mine : quatre albums d’un seul coup – soit l’intégrale et même un peu plus de l’œuvre des Beatles uruguayens – qui permettent non seulement de ressusciter les vestiges intacts et considérables d’un patrimoine musical qui n’avait, jusqu’à présent, resurgi que par bribes. Mais qui revitalisent également de manière stimulante cette éternelle interrogation, peut-être aporétique, qui travaille depuis toujours les amateurs de pop : comment rendre compte des émotions suscitées par une forme culturelle dont les critères esthétiques issus de la culture savante peinent à décrire la spécificité ? Que penser ou que dire lorsque ni l’innovation esthétique radicale, ni l’irréductible singularité du Génie incarné dans la figure centrale du créateur, démiurge de son propre univers, ne sont pertinents pour décrire ce qui s’est déroulé d’essentiel ? Continuer la lecture de « Los Shakers, Los Shakers/Break It all, Los Shakers For You, La Conferencia Secreta Del Toto’s Bar, In The Studio Again (Guerssen) »
Catégorie : chroniques
Catégories chronique nouveauté
Les Marquises, La Battue (Les Disques Normal)

Il est temps de dire adieu aux tristesses juvéniles *
Jean-Sébastien Nouveau et Martin Duru, amis et complices depuis les années de lycée, forment le binôme du groupe lyonnais Les Marquises. Leur quatrième album, La Battue, est sorti au début du mois de juin. Toujours aussi beau et aventureux, sauvage et étonnamment mélodieux, pop et expérimental. Singulier en un mot. Tentative de décryptage. Continuer la lecture de « Les Marquises, La Battue (Les Disques Normal) »
Catégories chronique réédition
Giant Sand, Ramp (Fire Records)
Jusque-là, tout est flou ou presque. Un groupe dont les membres changent presque à chaque album et animé par un leader plus G.O. que dictateur, bienheureux de saisir au fil de chaque enregistrement l’instant éphémère de la rencontre – c’est la grande différence avec The Fall, seul concurrent de Giant Sand en matière de productivité à long terme et de renouvellement de personnel. Dans cette discographie de Giant Sand, comme un monument plastique érigé à la gloire de l’impermanence, Ramp (1991) précise un peu les choses mais ne fige rien. Ni chef d’œuvre définitif, ni album-de-la-maturité, ce septième album est un excellent point de passage vers une autre transition majeure – Glum (1994) ou Chore Of Enchantment (1999) : on en reparlera si les occasions se présentent et elles ne devraient pas trop tarder au rythme où vont les choses. Continuer la lecture de « Giant Sand, Ramp (Fire Records) »
Catégories chronique nouveauté
Biga*Ranx, Sunset Cassette (Brigante)
Le reggae, au sens large, est une musique historiquement liée à un mouvement messianique et c’est peu dire que ce genre musical d’origine jamaïcaine aime les prophètes, les miracles, les révélations. A ma microscopique échelle, je n’en avais pas connues de réelles vis-à-vis de ce genre musical, si ce n’est une inclinaison pour les esthétiques floues et protéiformes du dub, ou les sonorités actuelles fat qui infusent les genres croisés au hip hop britannique (du grime à la drill) et qui en descendent lointainement… En gros, sorti des encyclopédies Blood & Fire et des épais dictionnaires Soul Jazz, bien pratiques, je n’y connais pas grand chose, et j’ai manqué, sans doute, de bien épiques épisodes.
Et voilà que descend, du ciel nuageux de Tours, l’archange Gabriel (Gabriel > Gabi > Biga) qui vient me glisser à l’oreille son interprétation toute personnelle des sons jamaïcains. Continuer la lecture de « Biga*Ranx, Sunset Cassette (Brigante) »
Catégories interview, livres
François Gorin : « Je résiste à l’idée du roman qu’on peut attendre du critique rock. »

Il ne sera pas fait ici mystère que certains d’entre nous, au sein de cette rédaction, ont appris à lire la musique dans les pages de Rock&Folk et plus volontiers encore entre les lignes des articles et notules rédigés par François Gorin. Entré rue Chaptal en 1980, le critique prendra le large cinq ans plus tard alors que le mensuel avait déjà entamé sa déliquescence (mais pas encore osé coller Samantha Fox, toute poitrine dehors, en couv’). Des plus jeunes que nous, bien que rompus aux évangiles des Inrockuptibles, verront au cours des années 90 la lumière émaner de Sur le rock (Lieu commun, 1990), nouvelles Tables de la Loi, format livre de chevet. Livre de Ray Davies, livre de Nick Drake, de Scott Walker, autant de saintes écritures que les convertis, de longue date ou non, vénèrent et propagent, insensibles au courroux jaloux des aînés délaissés puisque dépassés (Nick Bangs, Lester Kent, idoles rattrapées par leur crépuscule). Entretemps François Gorin livrera deux romans dont nous n’aurons pas à pointer les limites, l’auteur ayant l’élégance de le faire à notre place. Encore que l’on se permettra d’être moins sévère que lui à leur égard. Non relus depuis, ils avaient surtout, de mémoire flageolante, attisé notre frustration de ne pas retrouver creusé et ensemencé un sillon musical ami, le critique en partance préférant tenir à distance, et à raison, ce qu’il avait parfaitement saisi puis transmis ailleurs comme auparavant.
Dès lors, Louise va encore sortir ce soir, inespéré retour aux affaires littéraires, agit comme une nouvelle première fois, avec un élan et une effervescence facile (celle qui sied aux coureurs de demi-fond) qui vient fouler au pied les atermoiements longue durée que l’écrivain avoue avoir éprouvés. Continuer la lecture de « François Gorin : « Je résiste à l’idée du roman qu’on peut attendre du critique rock. » »
Catégories livres, selectorama
Selectorama : Stéphane Oiry

L’étudiant en architecture à Strasbourg a bien changé : il est devenu un dessinateur accompli, auteur d’une poignée d’albums remarquables, dont, entre autres, deux volumes des Passe-Murailles (Les Humanos), trois des Pieds Nickelés (Delcourt), et surtout la série originale Maggy Garrisson, scénarisée par Lewis Trondheim pour Dupuis, sans oublier la biographie Lino Ventura et l’oeil de verre avec Arnaud Le Gouëfflec sortie l’an dernier chez Glénat. Par contre, il est resté tout autant passionné par la musique que par le passé. De fêtes estudiantines mémorables en petits groupes où il a joué dans sa jeunesse agitée, le lien intime avec le rock ne s’est jamais distendu, et sa carrière entière continue à résonner en parallèle avec la musique. Dans ce selectorama généreux, il choisit quelques titres qui ont marqué son parcours, agrémenté de moult anecdotes savoureuses sur les rencontres qui ont émaillé sa vie. Continuer la lecture de « Selectorama : Stéphane Oiry »
Catégories chronique nouveauté
Stuart Moxham & Louis Philippe, The Devil Laughs (Tiny Global Productions)
« I did what doubt allowed. » L’affaire est entendue. On aimerait presque dérober l’épitaphe puisqu’il n’y en a pas de plus belle. C’est ainsi que Stuart Moxham (autrefois dans les Young Marble Giants) évoquait en 2010 les affres de la dépression, ses répercussions sur le rythme pour le moins chaotique de sa production discographique depuis le milieu des années 1990. Depuis toujours, en fait. Et il parlait déjà, dans cette même interview, de son prochain album en préparation, The Devil Laughs.
Depuis, le doute semble bien s’en être mêlé. C’est peu de l’écrire. À contempler la pochette – magnifique au demeurant – on peut aisément lire entre les lignes et les dates le fil tortueux de la procrastination décennale, le poids accablant de chacune des micro-étapes d’une interminable gestation, les failles du quotidien dans lesquelles se sont engouffrées longtemps ces chansons rescapées, l’envie qui se dérobe, l’énergie si difficile à déployer pour commencer, continuer, et surtout conclure. Continuer la lecture de « Stuart Moxham & Louis Philippe, The Devil Laughs (Tiny Global Productions) »
Catégories chronique nouveauté
Fontaines DC, A Hero’s Death (Partisan/Pias)
I Wasn’t Born
Into This World
Nous serions plusieurs dans ce cas, et eux viennent tout juste de le comprendre.
Fontaines D.C., le groupe à la mode de l’an dernier.
Tellement las du cirque qu’ils n’arrivent même pas à leur concert à la Villette Sonique, panique du marketing, le produit est faillible, on était pourtant sur la crête, sortez moi ces jean-foutre. LOL.
Dix jours avant, nous les voyons en concert, et je n’ai pas l’impression qu’ils jouent le jeu non plus. Grosse pression, trop de hype. Je raconterai ça une autre fois, mais il y a cette sensation que tous les facteurs extérieurs poussent au maximum là où justement le groupe tire son épingle du jeu, comme une poupée vaudou réfractaire. Genre, très bien, mais on n’est pas là pour ça. Nous sommes jeunes, nous sommes fiers, cassez-vous, foutez-nous la paix. Et surtout, nous faisons de la musique. Et pour une fois, c’est le seul truc important et c’est pas souvent le cas. Et vous, vous faites du commerce, et nous avons bien conscience de ça, mais nous sommes plus forts que vous, car nous savons déjà bien la différence. Continuer la lecture de « Fontaines DC, A Hero’s Death (Partisan/Pias) »