Comme certains peintres ont connu plusieurs “périodes” dans leur parcours artistique, la RPM canal historique (et seulement celle-ci) a connu plusieurs époques, que l’on peut lier de manière à peu près arbitraire aux différentes adresses connues par la rédaction. L’époque liée au 8, boulevard de Ménilmontant reste sans doute l’une des plus riches et des plus abracadabrantesques – de la machine à café du couloir aux toilettes, des murs qu’on dresse pour partager l’open-space en bureaux un 1er mai, des cendriers qui ne désemplissent jamais aux rencontres de mondes différents – outre la RPM, l’espace abritait un magazine de ciné (Repérages, cousin avec lequel nous partagions bien trop de marottes pour laisser les portes fermées), de hip-hop (Radikal), de BMX (Cream), de société (Tribeca75) et une régie publicitaire 2.0. De notre côté, nous avions érigé avec une certaine désinvolture la subjectivité, les déjeuners et les apéritifs aux rangs d’arts majeurs et si nous comptions certainement nos sous, nous ne comptions pas nos heures. Continuer la lecture de « Doves, Constellations For The Lonely (EMI North) »
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Jonathan Personne, Nouveau Monde (Bonsound)
Conçu comme la cour de récréation de son bâtiment principal Corridor, ce nouvel album du montréalais Jonathan Personne dégage en effet cette impression de relaxation, les morceaux s’enchaînant bon esprit comme aurait dit Maneval. Ce son super posé, doux (ces batteries au touché si particulier) sonnent comme un Weezer apaisé, un Pavement acoustique et rectiligne, un Grandaddy moins technologique, bref un petit précis de college rock états-uniens 90-00 tout bien digéré. Continuer la lecture de « Jonathan Personne, Nouveau Monde (Bonsound) »
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Bob Mould, Here We Go Crazy (BMG)
Il n’est pas nécessaire de convoquer une large gamme de sentiments pour en restituer les contrastes et l’ambivalence. Deux peuvent suffire, au minimum. La tristesse et la colère, par exemple, qui continuent de tisser les liens intimes entre les premiers désespoirs amoureux et les deuils de la maturité. A partir de cette combinatoire rudimentaire – triste d’être en colère, furieux d’être triste – Bob Mould est parvenu à façonner sa palette originale et à concevoir toute une œuvre majeure. Il y a quelque chose de profondément réconfortant à entendre aujourd’hui cet homme, sans qui une partie considérable de nos sources, passées et présentes, d’enthousiasme musical n’auraient jamais existé, exorciser ses tourments de vieil adulte avec cette même dextérité furibarde dont il faisait déjà preuve à l’époque où ses hurlements déchirants sur New Day Rising s’imposaient comme un élément central dans la bande-son de notre adolescence. Continuer la lecture de « Bob Mould, Here We Go Crazy (BMG) »
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Nina Garcia, Bye Bye Bird (Ideologic Organ)
Il existe une lignée de guitariste improvisteur.ice dont la confrontation avec l’ instrument renvoie à quelque chose de l’ordre de la corporéité : Fred Frith, Glenn Branca, ou encore David Grubbs. Assurément, Nina Garcia appartient à cette filiation. Depuis une dizaine d’années avec Mariachi, son projet le plus emblématique, mais aussi avec Maria Bertel ou Arnaud Rivière (Autoreverse), elle explore les limites de l’instrument iconique des esthétiques électriques : la guitare, appréhendée avec un radicalisme qui la rattache au minimalisme noise − pour aboutir à une sorte de post-no wave fondamentalement mutante. Continuer la lecture de « Nina Garcia, Bye Bye Bird (Ideologic Organ) »
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Gary Louris, Dark Country (Thirty Tigers)
Qu’écrire de l’amour qui va et qui dure ? Il n’est pas toujours aisé d’apporter une réponse satisfaisante – et, surtout, artistiquement convaincante – à cette interrogation aporétique lorsque l’on a choisi de creuser le sillon de son œuvre dans un registre musical qui, depuis ses origines, semble le plus adéquat pour évoquer les élans des premières passions adolescentes, l’intensité inégalable du coup de foudre ou les phases terminales et tempétueuses des déchirements. Bien moins pour célébrer, à tout juste soixante-dix ans, la sérénité apaisée de l’attachement réciproque au long cours. Pour une chanson, le couple tranquille n’est pas nécessairement un bon sujet : pas assez de vagues, de reliefs douloureux pour que l’on trouve un compte quelconque à écouter celui qui raconte calmement ses histoires de trains quotidiens qui ne cessent d’arriver à l’heure. Et pourtant, pour paraphraser ce brave Alfred, les chants d’amour les plus murs sont parfois les plus beaux. Et ceux de Gary Louris provoquent de purs sanglots. Continuer la lecture de « Gary Louris, Dark Country (Thirty Tigers) »
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Horsegirl, Phonetics On and On (Matador Records)
On sait ce que l’on encoure, lorsque l’on sort un premier album parfait, acclamé par les critiques – « fascinant de la première à la dernière note » écrivait le NME à propos de Versions of Modern Performance en 2022 – et origine du succès public. Ce risque, c’est de générer de la déception chez ceux qui, jusqu’ici, résumaient l’essence du groupe à ce seul opus ; à savoir, chez Horsegirl, la prééminence de guitares robustes et distordues à la Sonic Youth, une culture DIY et un spleen subjuguants de la part de ces trois jeunes alors à peines sorti.es de l’adolescence.
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The Delines, Mr. Luck & Ms. Doom (El Cortez / Decor)
Il est rare de demeurer, dix ans après la première rencontre, sous le coup d’une surprise dont l’intensité semble presque croître à chaque occurrence. Plus forte, même, à chaque rendez-vous. A l’étonnement initial – celui de tomber amoureux des Delines alors même que j’étais resté globalement imperméable aux charmes rustiques mais un peu balourds de Richmond Fontaine, le premier groupe de Willy Vlautin dont les magazines musicaux britanniques pour adultes s’étaient entichés au milieu des années 2000 – se sont ajoutés les chocs successifs éprouvés à la découverte de trois albums publiés entre 2014 et 2022 puis celui d’un concert parisien, il y a un peu plus de deux ans, passé à essorer tant bien que mal les pleurs surgissant aux moindres inflexions tragiques de la voix d’Amy Boone. Je ne parle pas de ces traces d’humidité sporadiques qui s’égrènent discrètement au coin de la paupière et que l’on associe la plupart du temps à l’expression galvaudée selon laquelle on peut être « ému jusqu’aux larmes ». J’ai vraiment chialé ma race comme jamais pendant une bonne quarantaine de minutes en écoutant The Delines jouer sur scène – sanglots, morve qui coule et kleenex inclus. Bouleversé par la beauté et la tristesse immenses des séquences de vie mises en mots et en musique par Willy Vlautin – et Cory Gray pour les arrangements – puis confiées aux soins bienveillants et attentifs de l’interprétation d’Amy Boone. Continuer la lecture de « The Delines, Mr. Luck & Ms. Doom (El Cortez / Decor) »
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Tim Keegan & The Personals, Vide Grenier (Meek Giant)
Des fragments de plusieurs passés épars. Des souvenirs déjà usés – plus ou moins – mais ouverts à la réappropriation active. Un bric-à-brac hétéroclite dont la seule cohérence réside dans le fait d’avoir appartenu, à un moment ou à un autre, à une même vie. On ne peut qu’être sensible à tout ce qui fait ainsi le charme ineffable des vide-greniers. Tim Keegan aussi qui expose ici au grand jour onze bribes, trop longtemps enfouies, de ses décennies consacrées au noble artisanat du songwriting. Onze chansons, donc, ébauchées entre 1988 et 2024, parfois évoquées au détour d’un concert mais jamais encore enregistrées. Deux guitares, une basse et une batterie suffisent à en constituer l’unité en les inscrivant résolument dans cette tradition toute britannique qui s’ancre formellement dans les références aux modèles transatlantiques – Reed, Dylan, Cohen pour ce qui est de la Sainte Trinité. Continuer la lecture de « Tim Keegan & The Personals, Vide Grenier (Meek Giant) »