Alex G, God Save The Animals (Domino)

Alex G God Save« Je travaille dur sur la musique, beaucoup moins sur ma personnalité » confiait Alex Giannascoli à Pitchfork dans l’une de ses dernières interviews. A presque 30 ans, le Philadelphien reste un garçon discret, peu enclin à mettre des mots sur sa musique ou à éclairer ses textes, ce dont se charge sa communauté qui, particulièrement assidue sur Youtube et Reddit, s’empresse de retranscrire et de disséquer les paroles de chaque inédit capturé sur scène. Comme Kurt Cobain qui, en 1993, déclarait sans scrupules que ses chansons n’avaient aucune signification, Giannascoli, interrogé sur le sens du titre de son dernier album, God Save the Animals, répond que non, il ne croit pas particulièrement en Dieu, n’aime pas les animaux plus que quiconque, mais a simplement éprouvé quelque-chose en combinant ces termes. Ce qui donne envie, pour une fois, de prendre son exemple et de se fier à l’impression spontanée plutôt qu’à l’interprétation, au ressenti comme seul guide d’écoute de cette nouvelle sortie.

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Alex G / Photo : Chris Maggio

Lors de la promotion de Rocket en 2017, Cheryl Waters, présentatrice bienaimée de KEXP, ironisait : « Alex, il s’agit de ton quarante-cinquième album », et il est en effet bien difficile de les dénombrer, entre les auto-productions DIY gravées sur CD pour les copains ou publiées sur Bandcamp dès la fin des années 2000 et les parutions signées par des labels. God Save the Animals est en tout cas le quatrième album à paraître chez Domino et le successeur, trois ans après, de House of Sugar, dans la lignée duquel il semble d’ailleurs s’inscrire : le musicien y utilise les mêmes procédés créatifs, poussés encore davantage, comme l’alternance des styles musicaux ou la transformation des voix. L’attachement évident de Giannascoli à Elliott Smith, très manifeste sur l’ensemble de House of Sugar, est toujours perceptible ici et là (sur les ponts de Runner ou les arpèges de Miracles), mais s’efface au profit d’autres influences, comme Neil Young (sur le chant poussé de Mission et les guitares appuyées de Forgive), le rock alternatif des années 1990 (Ain’t It Easy et son côté slowcore, Headroom Piano et ses guitares à la Pixies, Blessing chuchoté sur fond électrique, à la manière du Shadow of a Doubt de Sonic Youth) ou encore le R’n’B (avec Cross the Sea, mais plus généralement au travers des nombreuses modulations vocales). 

Si God Save the Animals n’est donc pas si éloigné de son prédécesseur sur la forme, c’est sur le fond qu’il se distingue : Giannascoli s’y montre particulièrement introspectif voire vulnérable, d’abord dans les textes, ceux-cis mêmes pris dans leur sens le plus littéral puisqu’il semble y être beaucoup question du passé, des souvenirs et des regrets. La mélancolie est comme d’habitude omniprésente mais s’approche parfois du chagrin, dans un chant proche de l’imploration (Mission) ou du pleur (Forgive). Ses tourments se dévoilent aussi dans les atmosphères sonores, car comme Elliott Smith, Alex G est maître dans l’alliage du beau et de l’inconfortable. Peut être citée comme exemple la rupture de climat survenant dans les trente dernières secondes de Cross The Sea, marquée par ce qui ressemble à d’alarmantes sirènes, ou S.D.O.S. et Headroom Piano, inquiétantes valses d’accords mineurs jouées au piano et faisant office d’interludes en aboutissant tour à tour sur les lumineux No Bitterness et Miracles. Piano par ailleurs plus présent que jamais auparavant, et particulièrement puissant émotionnellement, notamment de par les nuances qu’il permet.  

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Alex G

Malgré sa diversité musicale et ses changements d’ambiance, l’album conserve une cohérence étonnante, preuve de l’identité sonore si caractéristique qu’Alex G a su construire au cours des quinze dernières années. Il est ponctué de moments d’une mélancolie sublime, à commencer par le premier titre, After All, mais aussi Mission, Ain’t It Easy ou Miracles. D’autres sont surprenants ou, au contraire, plus attendus : Blessing – single qu’il était d’ailleurs bien audacieux de dévoiler en premier tant il est, dans ce qu’il a de sexy, de conquérant et de finalement très « rock », tout ce que la musique d’Alex G n’a pas l’habitude d’être – est ainsi suivi d’un titre bien plus neutre, comme une repentance, Early Morning Waiting. Tout n’est en effet pas d’un intérêt égal et les auditeurs fonctionnant par titres n’en retiendront que la moitié, mais ceux qui prendront le temps d’écouter l’album comme un tout remarqueront que les pistes s’enchaînent avec intelligence, que les plus tièdes sont aussi là pour tempérer les plus saisissantes, qu’il y a un vrai équilibre dans ce disque qui peut s’écouter allongé.e, les yeux fermés, avec un imperturbable contentement. « How many more songs am I supposed to write / Before I can turn it off and say goodnight? » chante-t-il dans Miracles ; heureusement qu’il ne faut pas prendre ses textes au mot. 


God Save The Animals par Alex G est disponible sur le label Domino et écoutable sur son bandcamp.

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