La découverte d’un nouveau disque est toujours une expérience contradictoire : partagée entre l’immédiateté de l’affect et une logique plus oblique, mobilisant un savoir référencé typique de l’érudit-pop. C’est précisément ce qui se produit avec Even the Dog Knows du duo londonien Jemima. On pense aux influences post-rock et avant-folk/lo-fi – Movietone, Palace ou encore Gastr del Sol constituent d’évidents points d’ancrage. Des titres comme What is it ou Coming Over nous projettent en terrain connu : boucles arythmiques et vacillantes, guitares éthérées et collages sonores bancals contribuent à une esthétique folk soustractiviste, qui n’est pas non plus sans rappeler les travaux hypnagogiques typiques de The Caretaker. Continuer la lecture de « Jemima, Even the Dog Knows (All Night Flight Records) »
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Joanne Robertson, Blurrr (AD 93)
Là où le champ de l’expérimental rejoint l’immémorial folk : un ode, un node, un nœud — là au fond de la gorge qui prend aux tripes mammifères où le reptilien ne sait plus s’il est poule ou œuf — c’est un nouvel album de Joanne Robertson qui apparaît en plein mois de septembre. Elle est là. Là derrière sa guitare et son écho, deux spécificités rien qu’à elle. À cet endroit précisément Joanne Robertson trace un trait. Une ligne d’horizon au lointain mais qui vient nous susurrer des émotions primordiales, ouatées. Blurrr le dit très bien dans son nom, c’est une masse floue, qui ronronne, mieux encore : qui déroule, enroule, empoigne. Robertson nous laisse là le temps — un luxe — d’entrer dans la chimie du son de la guitare, dans la métaphysique chordiale. Continuer la lecture de « Joanne Robertson, Blurrr (AD 93) »
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Thomas Pradier, Tout passe (Lunadélia)
« Les conflits m’épuisent, et me désespèrent,
chacun se pense en noyau de l’univers »
On a du mal à mettre des mots sur l’attirance qu’on éprouve pour les disques de Thomas Pradier. Depuis La nuit au ralenti qui fête ses dix ans cette année, on n’a eu un peu le temps d’y réfléchir, mais c’est toujours un peu mystérieux. Comme on a notre propre histoire, on s’est d’abord dit qu’on tenait en ce jeune homme chic un cousin au Dean Wareham de Galaxie 500, même voix un peu perchée, fragile, même poésie teintée de mélancolie et d’humour léger, mêmes obsessions velvetiennes. A force, on s’en fiche un peu de ce truc de similitudes avec les anglo-saxons qu’on a vénérés, parce qu’à l’heure de ce troisième album, on ne pense plus qu’aux chansons si personnelles du musicien toulousain. Continuer la lecture de « Thomas Pradier, Tout passe (Lunadélia) »
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Saint Etienne, International (Heavenly Recordings)
Saint Etienne, comme j’aime le dire, c’est un arc-en-ciel musical, souvent mélancolique, parfois triomphant, par moments euphorique mais toujours optimiste. Ou alors, un cristal dont la couleur varierait en fonction de la lumière.
Écouter Saint Etienne c’est s’ouvrir à un récit qui est le leur – Sarah Cracknell, Bob Stanley, Pete Wiggs -, une récit qui est aussi devenu le nôtre – nous, les enfants de la pop moderne -, un récit qui toujours nous hypnotise, un récit qui nous intrigue par sa délicatesse, par son élégance. Saint Etienne revient avec un nouveau et dernier album – ils l’ont annoncé ainsi, ndlr -, International. J’ai réfléchi pendant des jours à ce que je pouvais en dire, j’ai d’abord écrit des choses sans grand intérêt et puis, j’ai fini par réaliser qu’il me fallait d’abord, parler des deux disques précédents, I’ve Been Trying to Tell You et The Night. Continuer la lecture de « Saint Etienne, International (Heavenly Recordings) »
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Histoire de coeur, Lost French Synth-Pop 7’ers & Euro-Bombs 1980-89 (CTR)
« Sauve moi, sauve moi, sauve moi,
de cette machine infernale' »
Où la décennie 80 n’en finit jamais avec son histoire, écrite, réécrite, visée, révisée. Ce coup-ci, c’est le digger britannique John Kertland – sa maison de disques s’appelle CTR comme Caroline True Records – qui la raconte à sa manière via Histoire de coeur, compilation thématique où sont rassemblées une dizaine de chanteuses. Sorties de l’obscurité grâce à leurs chansons synthétiques, elles pratiquent leur art à la croisée des chemins new wave, europop, italo disco, variété voire French boogie (rappelez-vous les deux beaux livres d’histoire de la maison Born Bad). Continuer la lecture de « Histoire de coeur, Lost French Synth-Pop 7’ers & Euro-Bombs 1980-89 (CTR) »
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Chris Staples, Don’t Worry (Hot Tub Recordings)
Parfois, ça ne tient pas à grand chose une histoire d’amour. Surtout une histoire d’amour avec un disque. La story d’une amie sur un réseau social, un nom qui ne nous dit rien du tout comparé à un autre nom qui nous dit vaguement quelque chose – Andy Shauf… Mais une pochette qui attire immédiatement l’attention, comme un clin d’œil à celles des deux premiers albums de Kings Of Convenience (certifié disques de chevet absolus dans ces parages) – lettrages vert et blanc, lumière apaisée, contre-jour maitrisé… Alors, forcément, la curiosité qui s’éveille, parce que par ici, on se dit toujours un peu plus que le hasard n’existe pas vraiment (ou alors, pas bien souvent…). Continuer la lecture de « Chris Staples, Don’t Worry (Hot Tub Recordings) »
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Lolas, Big Hits And Freak Disasters (Kool Kat)
Rappel des – nombreux – épisodes précédents. Vétéran méconnu de la scène indie-rock américaine (Carnival Season, The Shame Idols), Tim Boykin a choisi de se consacrer depuis trois décennies environ à l’approfondissement d’un style musical – la powerpop – où s’entremêlent ses passions adolescentes pour les mélodies simples et lumineuses et les guitares nerveuses du punk. Au fil d’une discographie intermittente et confidentielle, le résident de Birmingham en Alabama est ainsi parvenu à produire sous le nom de Lolas une dizaine d’albums, par séries successives. Cinq d’abord entre 1998 et 2008, suivis d’une pause de dix ans. Puis quatre autres depuis 2019 quand, bouleversé par le décès de Kim Shattuck (The Muffs), il a fini par se convaincre que l’existence était trop brève pour ne pas célébrer en consacrer une bonne partie à exercer ses talents sous la forme qui lui sied le mieux, toujours plaisante et parfois brillante. Continuer la lecture de « Lolas, Big Hits And Freak Disasters (Kool Kat) »
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Fortunato Durutti Marinetti, Bitter Sweet, Sweet Bitter (We Are Time/Quindi)
Fortunato Durutti Marinetti : derrière ce pseudonyme aux résonances anarcho-futuristes, se dissimule – ou s’expose, c’est selon – Daniel Colussi, un songwriter d’origine turinoise, installé au Canada et qui est parvenu en quelques albums – celui-ci est déjà le quatrième – à édifier l’une des œuvres les plus originales et les plus passionnantes des années 2020. A l’instar de quelques-uns de ses plus illustres prédécesseurs – Leonard Cohen, Baxter Dury – Colussi s’est engagé tardivement, la trentaine déjà bien entamée, dans cette non-carrière solo d’interprète presque réticent, après plusieurs décennies de tâtonnements collectifs au sein de diverses formations confidentielles – The Shilohs, The Pinc Lincolns. Trop tard en tous cas pour se bercer encore des illusions adolescentes communément associées à la reconnaissance publique ou pour songer à s’excuser de chanter sans être vraiment chanteur. Continuer la lecture de « Fortunato Durutti Marinetti, Bitter Sweet, Sweet Bitter (We Are Time/Quindi) »