Bonnie « Prince » Billy : les années Palace

Bonnie "Prince" Billy
Bonnie « Prince » Billy / Photo : Lindsey Rome


A l’heure (du loup) où Will Oldham se réacoquine avec son compère Matt Sweeney sous le nom de Superwolves, nous avons remis la main sur cette interview d’avril 2004, où il évoque ses années Palace.


En choisissant de réenregistrer des chansons de ses diverses incarnations Palace (Brothers, Songs, Music), sélectionnées par le vote des internautes sur le site du label américain Drag City, Will Oldham est parvenu à revisiter de manière sobre et cohérente les différentes pièces d’un palais où régnait souvent l’intranquillité. Soucieux du moindre détail, il revient sur les lieux d’un des plus imposants édifices de la musique américaine contemporaine, ce Greatest Palace Music en forme de best of fantasmé.

New Partner

C’est la chanson pour laquelle les gens ont le plus voté. Je l’aime beaucoup, mais je ne l’aurai pas réenregistrée si on ne me l’avait pas demandé car je trouve la version originale quasiment parfaite. Ce fut donc une expérience difficile car je voulais surpasser cette première incarnation, ce qui m’a demandé beaucoup de travail et d’attention. On l’a d’ailleurs achevée en dernier. Et j’ai douté du résultat jusqu’à la fin.

Ohio River Boat Song

Je fais ce titre assez souvent en concert. Le recréer ne fut pas la chose la plus spontanée qui soit, puisque je l’ai joué sur scène avec quatre groupes différents.

As-tu ressenti de la nostalgie à réinterpréter certaines chansons ?

Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique.

Gulf Shores

Il y a eu une très forte demande, comme pour West Palm Beach. D’ailleurs, les deux figurent sur le même Ep ( Mountain, 1995). Matt Sweeney (ndlr. membre de Chavez) est venu chanter par-dessus.

Ton ami David Pajo est le grand absent du disque…

Il devait en être, mais comme il est arrivé en retard pour l’enregistrement, je lui ai dit d’aller se faire foutre. Je le connais depuis plus de vingt ans, alors, je peux bien me permettre de l’envoyer chier de temps en autre. Cela ne remet pas en question notre amitié.

You Will Miss Me When I Burn

Mark Nevers de Lambchop avait d’abord fait une mise à plat, mais elle ne sonnait pas aussi bien que l’originale. Il y avait trop d’espace, de compression. Je l’ai remixée avec mon frère Paul, afin de la rendre plus modeste.

On retrouve quelques similarités avec Lambchop, d’autant plus que tu travailles avec certains musiciens de ce groupe depuis Master & Everyone.

Honnêtement, je n’ai jamais écouté Lambchop, je ne sais même pas à quoi ressemblent leurs disques…

The Brute Choir

Un de mes titres préférés. Je chiale à chaque fois que je l’entends… Bruce a retranscrit les accords pour les musiciens de Nashville car ils utilisent un système de notation basé sur les chiffres plutôt que sur les lettres. C’est lui qui a suggéré le passage au piano du milieu. Cette relecture est assez brute, enregistrée dix minutes après que les musiciens aient entendu la chanson pour la première fois.

I Send My Love To You

Probablement le morceau que les mecs de Nashville ont pris le plus de plaisir à jouer. Ce sont les filles de Mark Nevers qui font les petits bruits de canards. J’aurais sûrement oublié cette chanson si on ne me l’avait pas autant réclamée.

As-tu réussi à te distancier suffisamment de tes compositions afin de les considérer comme des reprises ?

Complètement. Il fallait vraiment qu’il existe une unité d’album, pour que l’on puisse l’écouter du début à la fin. Et cette unité provient d’un grand nombre d’heures passées à réfléchir, enregistrer des overdubs, mixer, ajouter ceci ou cela. Nous avons énormément travaillé sur ce disque.

More Brother Rides

C’est un titre où il n’y a qu’un accord. On a gardé ma guitare témoin, alors que je déteste ma façon de jouer. On a donc fait une exception.

Agnes, Queen Of Sorrow

En enregistrant Master & Everyone, j’écoutais beaucoup Fairport Convention. Aussi, lorsque j’ai cherché une choriste, j’ai demandé aux musiciens une personne qui serait le croisement entre Sandy Denny et Linda Thompson. Ils m’ont donné cinq numéros de téléphone. La première fille que j’ai appelée, Martha, fut la bonne. Les gars m’ont fait remarquer que le riff était pompé sur If We Make It Through December de Merle HaggardTony Crow et William Tyler de Lambchop y ont apporté une grande subtilité.

Quand as-tu découvert Fairport Convention ?

À l’époque de Ease Down The Road (2001), j’ai découvert I Wanna See The Bright Lights Tonight de Richard et Linda Thompson. J’ai été tellement obsédé par cet album que je me suis lancé à la recherche des autres Lp’s. C’est un disque totalement déprimant… Mais tu peux quand même faire la fête sur certains morceaux.

Le folk anglais est-il exotique pour toi, qui viens d’une lignée de songwriters typiquement américains ?

Sans doute un peu… Dans le folklore britannique, j’ai retrouvé tout ce que j’aimais dans les chansons américaines, sans les côtés qui me gênent habituellement. En vieillissant, tu vois les correspondances : j’étais par exemple un grand fan de The Replacements, puis j’ai découvert les disques de Big Star qu’ils avaient pompés et qui sont carrément meilleurs.

Viva Ultra

Andrew Bird a fait un boulot exceptionnel : ce type et son violon sont le secret derrière les parties de cordes de Greatest Palace Music. Dewey, qui a participé à l’adaptation cinématographique de Haute Fidélité de Nick Hornby, a joué du saxophone. En faisant cette chanson, j’ai pensé aux morceaux qui ont eu du succès à l’époque, notamment ceux de Nirvana. C’est pour cela que je l’ai intitulée Viva Ultra : j’étais heureux d’avoir réalisé une compo avec des accords similaires.

Pushkin

Le premier titre que nous avons mixé, et à l’écoute du résultat, je me suis dit que tout allait bien se passer. Au moment de l’enregistrer, nous fantasmions sur des invités prestigieux, nous pensions très fort à Dolly Parton. Là, nous aurions tenu un tube, mais ce ne sera heureusement jamais le cas. J’entretiens pourtant ce genre de rêve pour certaines de mes chansons.

Horses

Tu trouves que c’est pompé sur Cavalry Cross de Richard Thompson ? C’est marrant, on m’a récemment écrit à ce sujet… Mais je ne connaissais pas l’original à l’époque. En fait, c’est une reprise de Sally Timms, la chanteuse de The Mekons. Je suis un grand fan de ce groupe. D’ailleurs, le tout premier morceau que j’ai joué en public était For The Mekons Et All.

Riding

J’adorais la version sur Lost Blues And Other Songs, mais je crois que nous nous en sommes bien tirés. Cette chanson est l’une des plus difficiles que j’aie jamais enregistrées. Ce n’était donc pas évident d’en remettre une couche. La tension dramatique de l’originale a toutefois quasiment disparu. Les mecs de Nashville ne comprenaient pas où je voulais en venir, mais j’étais déterminé à arriver à un résultat satisfaisant. C’est probablement le morceau que j’aime le plus jouer en concert.

West Palm Beach

C’est là où les habitants de l’est des États-Unis s’échappent pour un week-end. Je pensais aussi à Jimmy Buffet, un chanteur très connu chez nous, mais quasiment inconnu ailleurs. Il est tellement célèbre que les gens cherchent des endroits où ils seront sûrs de n’entendre aucun de ses morceaux. Un peu comme votre Sheila nationale. La majorité pense qu’elle fait de la merde, mais j’ai vu son concert d’adieu hier soir à la télé. Elle pleure, laisse chanter le public, c’est magnifique… Les chansons ont l’air si importantes pour ses fans que je ne pense pas qu’elles soient merdiques…

Tu dirais la même chose de Céline Dion ?

Absolument ! Je suis persuadé qu’elle est honnête. Ses chansons représentent tellement pour certaines personnes… Elles peuvent leur sauver la vie. Idem pour Jimmy Buffet : des types se seraient peut-être tranché les veines s’ils n’avaient pas entendu l’un de ses morceaux.

Tes compos ont déjà empêché des gens de se suicider ?

Oui, on me l’a dit. Cela signifie au moins que mes disques ont une utilité. En revanche, j’espère que personne ne s’est suicidé en les écoutant. Ce serait effrayant… Si j’ai peur, si je ressens un manque, je compose pour avoir moins peur. C’est pour cela que la source ne se tarit jamais.

No More Workhouse Blues

J’ai écrit ce titre en pensant à David Berman (a.k.a. Silver Jews), qui chante sur les six dernières strophes. Il a été aussi mon vocal coach pour New Partner, et a été très présent pendant ces sessions. Je ne le remercierai jamais assez…

Qu’en est-il du désormais mythique album de Silver Palace ?

Nous avons passé beaucoup de temps ensemble lorsque j’ai vécu un été à Charlottesville, en Virginie, où il habitait alors. On composait, on discutait surtout des heures durant. On a finalement utilisé des fragments pour nos disques respectifs. On continue de se voir beaucoup depuis qu’il a emménagé à Nashville, on parle sans arrêt de disques : les siens, les miens, ceux des autres. Quelle vie sociale intense…

I Am A Cinematographer

Je ne l’aurais sans doute pas repris, mais, encore une fois, beaucoup de gens ont voté pour ce titre. Je voulais un rythme entraînant, et les musiciens ont pris beaucoup de plaisir à en faire un morceau presque western swing. La plupart du temps, ils jouent sur des disques atroces, pour gagner leur vie. Là, je les ai sentis heureux de travailler avec moi.


Cet article a été originalement publié dans le n°79 de la RPM, daté d’avril 2004.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *