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Lambchop
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Cela arrive, de temps en temps. C’est sans doute davantage une question de disponibilité personnelle, d’état d’esprit propice à une réception plus attentive puisque la qualité de la musique n’a jamais été vraiment en cause. Toujours est-il qu’avec la discographie pléthorique de Lambchop, il y a des rencontres fortes, des ponctuations qui marquent plus que d’autres sans que l’on devine forcément très bien pourquoi. C’est le cas ce mois-ci avec Showtunes, ce nouvel album de compromis où Kurt Wagner semble vouloir à la fois s’inscrire dans la continuité des aventures électroniques entamées avec FLOTUS en 2016 et renouer avec les tonalités organiques de ses œuvres plus anciennes. A défaut d’un point d’équilibre stable, on y entend une musique hors-cadre, où les compositions surgissent comme des instants dérobés – ceux que l’on saisirait de manière fugace avant – au moment où l’orchestre s’accorde – ou bien après – les derniers accords las, plaqués en attendant que les applaudissements les interrompent. Wagner partage ce plaisir des interstices, et c’est très beau. Une fois de plus.


Je me souviens plutôt bien de la précédente. C’était en 2012 et Lambchop venait de mettre un terme à un silence de presque quatre ans – un lustre à son échelle. Peut-être est-ce dans les périodes de disette que l’on prend mieux conscience du caractère indispensable et presque vital de certains plaisirs devenus trop familiers. En tous cas Mr M. (2012) m’avait beaucoup ému, obscurci qu’il était par l’ombre portée du défunt Vic Chesnutt, ami proche à qui la plupart des chansons étaient dédiées, et illuminé par des arrangements d’un raffinement et d’une subtilité peut être inédites dans la discographie pourtant fort dense du collectif de Nashville. Kurt Wagner avait commencé par se plaindre des douleurs provoquées par une crise d’hémorroïdes qui avait rendu son vol vers l’Europe très inconfortable puis, logiquement, de l’adresse de la pharmacie la plus proche avant d’évoquer d’autres aspects de son existence, moins compromettants mais tout aussi intimes.

VACANCES

J’ai toujours considéré Lambchop comme une structure très souple et très ouverte : les membres vont et viennent en fonction de leurs envies et de leur disponibilité. Il n’y a jamais eu de plan de carrière ou de calendrier fixe que je serai en mesure de leur imposer. C’est vrai que c’est la première fois depuis dix-sept ans que nous laissons s’écouler autant de temps entre deux albums. Mais je ne me suis pas pour autant tourné les pouces pendant ces quatre dernières années : j’ai participé plus ou moins activement à plusieurs projets musicaux parallèles, j’ai peint, j’ai aussi publié un livre. Bref, tu vois, ça n’était pas vraiment des vacances ! (Rire.) Est-ce-que je me suis posé des questions à propos l’existence du groupe ? Ni plus ni moins qu’après chaque album. Au tout début, notre unique ambition était d’enregistrer un premier disque, et nous considérions qu’à partir du moment où c’était fait, l’avenir était entièrement ouvert et tout pouvait arriver, le meilleur comme le pire. C’est toujours comme cela que nous avons fonctionné, et c’est encore le cas aujourd’hui.

PEINTURE

C’est la discipline artistique avec laquelle je suis familier depuis le plus longtemps. J’ai longtemps fréquenté des écoles d’art quand j’étais plus jeune et j’ai appris les bases de la sculpture et de la peinture avant de me mettre sérieusement à la musique. J’ai continué à peindre de manière régulière jusqu’à ce que nous enregistrions Nixon (2000). Les tournées sont ensuite devenues plus longues et plus prenantes. Les albums de Lambchop se sont succédé et la réalisation d’une toile demande beaucoup de temps et de concentration. Pendant quelques années j’ai donc laissé de côté les pinceaux. Mais j’ai toujours conservé l’envie de m’y remettre quand j’en aurai l’occasion. Après OH (Ohio) (2008) je me suis dit que j’allais non seulement prendre davantage de temps pour peindre mais que, cette fois, j’allais essayer de faire coexister la musique et le dessin. C’est loin d’être évident : jusqu’à présent, j’avais toujours pensé que ces deux formes d’art s’accordaient mal. Je ne sais pas si tu as déjà assisté à un concert à l’occasion d’un vernissage mais, en général, c’est une expérience assez désastreuse. (Rire.) En plus, la peinture est une forme d’activité artistique très solitaire alors que j’ai toujours considéré la musique comme une pratique collective, même si j’élabore seul la plupart des trames des chansons. En même temps, cela m’a permis de trouver une certaine forme d’équilibre : j’ai traversé une période vraiment difficile sur un plan personnel et, de toutes façons, je n’arrivais plus vraiment à écrire ni à composer. J’ai donc installé mon matériel dans un coin du studio de Roger Moutenot dans lequel nous avons l’habitude de travailler. C’est ainsi que sont nés les différents portraits qui illustrent le livret du nouvel album. Il y a un peu plus d’un an, j’ai commencé à peindre ces petites têtes en m’inspirant de vieilles photos de presse. Au bout d’un moment, je me suis aperçu qu’elles correspondaient au format des vieux quarante-cinq tours et je me suis dit que ça pourrait être amusant d’essayer de faire correspondre une chanson à chacun des visages. C’est comme cela que l’inspiration est revenue petit à petit.

KORT

L’album que j’ai enregistré en duo avec Cortney Tidwell sous ce pseudonyme a constitué une expérience vraiment intéressante. Cela faisait longtemps que je connaissais Cortney et que nous avions envie de travailler ensemble. Nous partageons le même goût pour la country mais nous ne savions pas très bien comment nous y prendre ni par quel bout commencer une collaboration. Et puis, en discutant avec elle,  j’ai découvert qu’elle possédait une sorte d’héritage, de patrimoine musical très riche, alors qu’elle en parle assez peu. Dans les années 1960 et 1970, son grand-père était le patron de Chart Records, un petit label de Nashville pour lequel son père a également travaillé comme ingénieur et directeur artistique. Sa mère a aussi enregistré plusieurs disques pour ce label. Pendant toute son enfance, elle a donc baigné dans toute cette culture musicale locale et côtoyé tous les grands noms de la country : Townes Van Zandt, Jack Clements. L’idée nous est donc venue d’enregistrer un album de reprises extraites du catalogue de Chart Records, en forme d’hommage à cette période et à ces artistes que nous vénérons tous les deux. La question qui s’est alors posée était de savoir comment nous pouvions rendre justice à ces chansons très obscures et méconnues sans sombrer dans une forme de revival archaïque ou trop daté. Nous avons donc fait appel à des musiciens avec lesquels nous avons tous les deux l’habitude de travailler, qui font à la fois partie de Lambchop et qui accompagnent souvent Cortney, en nous efforçant de répéter avec eux de la manière la plus libre et la plus directe possible, comme s’il s’agissait d’enregistrer des titres originaux. De cette manière, je pense que nous sommes parvenus à redonner une certaine fraîcheur et une modernité à ces morceaux très anciens.

IS A WOMAN

J’avoue que je n’ai pas joué un rôle très actif dans le programme de rééditions que City Slang a lancé l’an dernier. J’imagine que c’est inévitable quand un groupe réussit à rester en activité pendant suffisamment longtemps : les anniversaires et les commémorations lui tombent dessus sans qu’il ait trop son mot à dire. C’est flatteur et en même temps un peu déprimant, surtout quand on prend un sacré coup de vieux au passage : “Non ! Ça fait déjà dix ans ?ˮ (Rire.) Sérieusement, ce que j’ai vraiment apprécié, c’est l’occasion qui nous a été donnée de revisiter cet album, Is A Woman (2002), dans son intégralité, notamment quand on nous a demandé de le rejouer en entier sur scène. C’est vraiment un de mes disques préférés. Il possède une identité sonore très particulière, assez différente de ce que Lambchop fait d’habitude. En travaillant à la préparation du concert, j’ai donc été amené à redécouvrir certains titres et à explorer à nouveau certaines techniques musicales qui m’ont donné beaucoup d’idées pour la préparation de Mr M. Ce n’est certainement pas un hasard si ce nouvel album est sans doute celui qui se rapproche le plus de Is A Woman (2002) : on retrouve cette forme de calme, de tranquillité, cette impression que les chansons s’installent en prenant leur temps, sans heurts.

VIC CHESNUTT

L’album lui est entièrement dédié. Comment pourrais-je faire autrement ? J’ai toujours écrit à propos des événements qui marquent ma vie personnelle et le décès de Vic m’a beaucoup touché, évidemment. Il a joué un rôle capital dans ma vie. Au début, c’est lui qui m’a poussé à former un groupe. Nous nous sommes rencontrés pendant sa première tournée : il est venu jouer dans un petit club de Nashville et je venais de déménager dans cette ville. Je crois bien que c’est le tout premier concert auquel j’assistais depuis mon installation. Je suis arrivé tôt pour écouter la fin de la balance. Il n’y avait personne d’autre à ce moment là et pas tellement plus de monde pendant le concert. Nous avons discuté pendant une ou deux heures et nous sommes restés en contact ensuite. Je lui ai fait écouter quelques maquettes et il m’a énormément encouragé à les finaliser. Au moment de la sortie de I Hope You’re Sitting Down (1994), il était en tournée en France et il n’a pas arrêté de vanter les mérites de Lambchop auprès des journalistes. Nous étions totalement inconnus et, du jour au lendemain, les gens ont commencé à parler de nous en Europe. Les types de Merge Records m’appelaient au téléphone, complètement affolés : “Qu’est ce qui se passe ? On reçoit des commandes pour votre album depuis Paris. Qu’est ce que vous avez fait ? ˮ (Rire.) Notre relation ne s’est jamais distendue. Pour chaque album, il me donnait son avis et ses conseils et son opinion a toujours eu une très grande importance à mes yeux. Comment pouvais-je encore enregistrer un disque alors que, pour la première fois, il n’était plus là ? C’était une question centrale pendant ces deux dernières années et la seule réponse possible consistait à faire de Mr M. un hommage posthume à Vic.

PSYCHO-SINATRA

C’est l’expression inventée par Mark Nevers, notre producteur, pour décrire l’ambiance musicale du nouvel album. Au début, il a essayé de m’expliquer mais j’avoue que n’ai pas très bien compris de quoi il s’agissait. Je lui ai fait confiance quand même. (Sourire.) Je sais simplement qu’il avait l’intention d’intégrer des arrangements de cordes de manière assez libre, presque improvisée, tout en s’inspirant du travail de Nelson Riddle avec Sinatra. Je crois qu’il apprécie tout particulièrement la qualité presque abstraite de ses arrangements, le fait que les cordes s’éloignent de la mélodie portée par le chant, alors que dans le format pop classique, elles sont souvent utilisées pour souligner et répéter la mélodie principale afin de mieux accrocher l’attention. Quand nous en avons discuté, je n’avais pas encore écrit tous les titres et je me sentais un peu rouillé : j’avais encore beaucoup de mal à composer. Il a donc contacté un arrangeur alors que les morceaux étaient inachevés en lui demandant d’enregistrer des passages instrumentaux sans chercher à coller de manière stricte aux esquisses de chansons. Quand nous avons reçu ces bandes, Mark les a retravaillées de manière à obtenir cette petite touche psychédélique. Son enthousiasme et sa conviction m’ont vraiment permis d’aller de l’avant. Nous avons progressé lentement, en prenant tout le temps nécessaire, sans nous fixer d’échéance trop contraignante.

MY RECORD COLLECTION

C’est paradoxal ! Depuis quelques années, j’écoute de plus en plus de musique sur internet et, en même temps, j’ai l’impression de parcourir l’histoire à l’envers. Je n’ai jamais suivi l’actualité de manière très attentive mais là, c’est de pire en pire. (Rire.) Je n’arrête pas de découvrir des artistes des années 1960 ou même 1950, que ce soit dans le jazz, la country. Surtout, j’adore la façon dont les gens arrivent à faire partager leur passion. Je ne sais pas si tu connais ce site, My Record Collection ? C’est simplement un type, un Canadien je crois, qui a mis en ligne tous ses disques. Il n’y a aucun effort de présentation ou de nettoyage du son. On entend même l’aiguille qui se pose sur le vinyle. On a vraiment l’impression d’être dans son salon. J’adore ça.

INSTRUMENTAUX

Il y en a deux sur Mr M. Ce n’est pas tout à fait la première fois que l’on trouve des morceaux sans paroles sur un album de Lambchop. Il y en avait déjà sur I Hope You’re Sitting Down (1994), et même cinq ou six sur Aw C’mon / No, You C’mon (2004). Cette fois, c’est un peu particulier. Souvent, je n’avais pas encore fini d’écrire au moment où nous avons commencé les sessions en studio. Nous avons donc décidé d’enregistrer tout de même les chansons en laissant en suspens la question de savoir si j’ajouterai ensuite des textes. Mark s’est emparé de cette opportunité pour travailler davantage sur les arrangements en essayant que chaque titre puisse tenir la route en lui-même, sans que je sois obligé d’y ajouter quoi que ce soit. Au final, j’ai trouvé préférable de laisser en l’état ces deux morceaux, Gar et Betty’s Overture, qui constituent de brefs instants de détente ou de repos dans un climat parfois un peu sombre ou oppressant. Un peu comme une pause cigarette. (Rire.)

CHARLATANS

Eh oui, je viens tout juste de terminer l’enregistrement d’un album avec Tim Burgess, le chanteur de The Charlatans. J’ai écrit les textes, il a composé la musique. Cela peut paraître surprenant mais Tim est un fan de Lambchop et un ami proche depuis maintenant plusieurs années. Comme beaucoup de musiciens britanniques, c’est aussi un grand amateur de country et il aime bien venir traîner à Nashville pour écouter un peu ce qui s’y passe et s’imprégner des ambiances musicales. Pendant son séjour, nous avons passé pas mal de temps ensemble et, tout naturellement, nous avons discuté de choses et d’autres. Il a commencé à me parler de certaines idées pour de nouvelles chansons sur lesquelles il travaillait dans sa chambre d’hôtel. Et puis il m’a montré des fragments de textes et quelques esquisses de mélodies en me demandant de les compléter si j’avais envie. Petit à petit, je me suis pris au jeu, même si le travail d’écriture est un peu différent de celui dont j’ai l’habitude. Je me suis amusé à essayer de rédiger un ou deux couplets en me mettant à sa place, puisque c’est lui qui devrait les chanter au final. Il fallait donc que mes mots se rattachent également à des expériences pertinentes de son point de vue. Et tout s’est enchaîné en une dizaine de jours, sans que l’on sache très bien où cela pouvait bien conduire : on se voyait pour prendre un café, on écrivait un bout de chanson, et ainsi de suite jusqu’à son départ. Il m’a ensuite proposé de produire l’album mais j’ai refusé : je préfère rester dans le rôle du parolier, à la Bernie Taupin. C’est nettement moins stressant. Il a tenu à revenir tout de même à Nashville pour enregistrer avec Mark Nevers. J’ai écouté le résultat et je suis vraiment ravi : ça ressemble un peu à du Lambchop mais avec un côté plus pop, beaucoup moins tordu. (Sourire.)

Un article originalement publié dans la RPM en 2012.

Showtunes, le dernier album de Lambchop est disponible sur le label City Slang.

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