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The Innocence Mission, Midwinter Swimmers (Therese Records / Bella Union)

Il faut toujours considérer sinon chérir un groupe quand il vous a été transmis par des lignes de François Gorin.

Il faut partir à sa rencontre comme à l’aventure, voyage garanti crucial, même si l’on se retrouve contre, ce sera toujours tout contre, au cœur. Et puis, comme je retarde, traîne dans les lacets, ne lis et n’écoute jamais à l’heure, j’ai reçu le choc de la découverte de The Innocence Mission bien après les batailles – des pique-niques pacifiques en réalité– 2020 et See You Tomorrow, et l’on n’avait pas fini de se voir en effet – et j’ai mis un nouveau Lancaster sur la carte, en Pennsylvanie, où vivent Karen Peris (les chansons, la voix, une montagne d’instruments), son mari Don (des guitares et des batteries), et leur ami Mike Bitts (la basse). Et j’ai chéri leurs chansons, leurs disques, surtout ceux de la manière la plus récente, la plus incroyable – chaque ligne de chaque chanson, comme chaque chanson de chaque album, fait son chemin dégagé des époques, avec en cadeau un peu d’air pour les heures les plus lourdes, intelligence subtile du fait d’être et de ressentir, finesse poétique et mélodique, arrangements invisibles – les meilleurs – les seuls. Continuer la lecture de « The Innocence Mission, Midwinter Swimmers (Therese Records / Bella Union) »

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Leonard Cohen, Various Positions (CBS, 1984)

If it be your will.
« Si telle est ta volonté. »

C’est ainsi que Leonard Cohen conclut la difficile deuxième période de sa carrière dite « des désamours », qui a succédé à la lune de miel entre le poète et son public, à sa bohème élégante mais sincère, inattaquable géographiquement — le Chelsea Hotel et Hydra avant l’arrivée de l’électricité sur l’île, qui dit mieux ? — et artistiquement — les recueils, le roman, puis les trois premiers albums, inattaquables — trop noirs ? Inattaquables.

Ces fameux trois albums inauguraux qui captivent d’emblée l’Europe alors que ce sont ceux qui rêvent encore d’Amérique, qui deviennent des tables de la Loi, des mesures de toute chose folk, de tout arrangement – et très vite, dès Songs of Leonard Cohen, qui deviennent des prisons. Cohen lors de ses premières tournées, malgré toutes ses tentatives de sabotage — concerts sous LSD, chevaux, impréparation, empathie —, peine sous le poids des mots ravivant soir après soir les passés et les morts — père, amours, etc. —, sous le poids des attentes, sous le poids de la perfection qu’il atteint quand il fait sans essayer d’être. Un poids sous lequel Bob Dylan, d’un cuir plus solide, a déjà craqué et s’est enfui avant de réapparaître autre, tout autre. Continuer la lecture de « Leonard Cohen, Various Positions (CBS, 1984) »

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Myriam Gendron, son d’hiver

Myriam Gendron au Sonic à Lyon, vendredi 15/11/2024 / Photo : Clément Chevrier
Myriam Gendron au Sonic à Lyon, vendredi 15/11/2024 / Photo : Clément Chevrier

Nous n’avions que les disques.

Et souvent nous ne parlons que des disques, à Section26 : ils sont des occasions mécaniques de voir ce qui apparaît, d’entendre ce qui se tait à volonté, dès lors que l’on dispose d’écouteurs ou de haut-parleurs à soi, et de l’air pour faire vibrer des tympans jusqu’à la moelle, jusqu’à la chair. Les disques : mobiles, palpables et pourtant sans limites, détachés du lieu comme de l’espace.

Et rarement nous parlons de concerts, sinon au détour d’une ligne ou d’une humeur : toujours déjà passés et donc absents, ou toujours à venir et donc hypothèses. Aucun rendez-vous ne dure comme un disque – les mémoires nous amusent, nous séduisent autant qu’elles nous piègent. Revenir au souvenir d’un concert, c’est la certitude d’une absence, quand revenir à un disque chéri recouvre cette même absence d’une illusion rassurante, l’illusion de toucher son être et mon être.

Pourtant, je crois que je les aime, les mémoires, surtout enfuies et qui reviennent, qui nous reprennent. Continuer la lecture de « Myriam Gendron, son d’hiver »

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Sous surveillance : Dear Pola

Dear Pola / Photo : bandcamp
Dear Pola / Photo : bandcamp

Qui ?

Mary Daste écrit des chansons depuis l’âge de 10 ans, depuis donc deux décennies et des galets. S’il s’agit d’une apparition récente, le métier de la chose folk est chevillé au corps autodidacte, mûri en solitude artistique de fait et de goût. Une guitare, une voix, et le XXIe siècle : le studio de chambre. Au long des étagères, de la poésie, et Woolf, Plath, Kerouac, Cohen, et l’anglais donc en évidence, en pratique cruciale, en rideau que le vent agite. Continuer la lecture de « Sous surveillance : Dear Pola »

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Myriam Gendron, Mayday (Feeding Tube Records / Thrill Jockey)

Ce qui fut : I – Le Magicien

« Je ne sais pas moi, j’improvise », me souffle-t-on dans l’oreille et à propos de tout autre chose.

Pas de plan mais une carte, les éléments et les suites au grand jour mais sans explication. Seulement de la magie, deux albums inattendus et pas tant inouïs que : actifs. Not So Deep as a Well, avec les mots rendus de Dorothy Parker, Ma délire – Songs of Love, Lost and Found, avec les siens de mots, Myriam Gendron, et d’autres. Deux disques qui retournent les cœurs les plus usés, leur inoculent une joie et une espérance, transmutent par une musique qui semble toujours avoir été là, cachée sous les yeux. Un chemin débroussaillé, catalogue des possibles, que nous habitons. Leçons et savoirs ancestraux, ça fouille, remue ; si folk veut dire quelque chose, ça veut dire cela, enregistré en chambre ou en compagnie, acoustique ou électrique, une idée du monde et de sa transmission. La Grande Prêtresse toque doucement à la porte, lever de lune, l’obscurité transperce après-midi comme matin. Continuer la lecture de « Myriam Gendron, Mayday (Feeding Tube Records / Thrill Jockey) »

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Matt Low, Une vie cool (Bleu Nuit)

Ah ben oui. Lui, tiens.

« L’homme aux cent blessures. » Qui peut s’entendre : « L’amour, sans blessure. »

C’est ça.

Disclaimer : c’est là où nous sommes, où nous en sommes, les premiers mots de la première chanson du dernier disque de Matt – je l’appelle par son prénom, lui, parce que je ne le connais pas de cet amour issu d’abord de sillons et de concerts, mais de vive vodka depuis flûte, plus de vingt ans et nos premières guitares, nos premières basses. C’est un frère, c’est la famille – même s’il est passé au mezcal entretemps, parfois, dit-il. Ça se comprend, ici le bourbon noie les dernières nuits de nos âges – sucrer ou fumer au lieu de brûler – la jeunesse passe et on cultive le jardin chaque lendemain du monde, chacun à nos façons et en nos compagnies, lui avec Jean-Louis Murat – qui l’a fait chanteur – et Elysian Fields – dont il est désormais le crucial bassiste. Un crucial artiste. Continuer la lecture de « Matt Low, Une vie cool (Bleu Nuit) »

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Adrianne Lenker, Bright Future (4AD)

Is this what you wanted ?
To live in a house that is haunted
By the ghost of you and me

Un grain de sel, jamais sur les plaies.

Qui publie donc entre deux tours de Terre en 2024 un disque enregistré en 2022, si vraisemblablement brut que l’on pourrait oublier de se cogner dedans, glisser entre des ondes, pleurer des fantômes. Lenker en est à plus d’une demi-douzaine de merveilles de disques, seule ou avec Big Thief, et l’on craint pour elle, chaque nouvelle fois, pour nous : sera-t-on déçu·e ? Continuer la lecture de « Adrianne Lenker, Bright Future (4AD) »

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Ivan Jablonka, Goldman (Seuil)

On ne peut rester sourd quand ça appelle, quand sur son rayon de médiathèque l’ouvrage frémit, implore de ses yeux ronds et mouillés parce que l’on a réprimé l’achat mais pas l’envie de lire, la curiosité inexprimable, deux noms, Jablonka et Goldman – on aime l’histoire de tout si l’on aime l’histoire.

Et cette lecture d’un week-end – ne pas exagérer l’ampleur proclamée de cette biographie socioculturelle ou science humanisée ou je ne sais – pourrait rester dans l’alcôve discrète, un événement privé, personnel, sans grand rapport avec la pop moderne qui nous occupe, si elle n’avait persisté malgré tout, et comme toujours le font le privé et le personnel, à informer notre rapport au goût, et donc la relation à l’instant, à la rencontre – la relation à la relation – la relation dans la relation. Continuer la lecture de « Ivan Jablonka, Goldman (Seuil) »