Matt Low, Une vie cool (Bleu Nuit)

Ah ben oui. Lui, tiens.

« L’homme aux cents blessures. » Qui peut s’entendre : « L’amour, sans blessure. »

C’est ça.

Disclaimer : c’est là où nous sommes, où nous en sommes, les premiers mots de la première chanson du dernier disque de Matt – je l’appelle par son prénom, lui, parce que je ne le connais pas de cet amour issu d’abord de sillons et de concerts, mais de vive vodka depuis flûte, plus de vingt ans et nos premières guitares, nos premières basses. C’est un frère, c’est la famille – même s’il est passé au mezcal entretemps, parfois, dit-il. Ça se comprend, ici le bourbon noie les dernières nuits de nos âges – sucrer ou fumer au lieu de brûler – la jeunesse passe et on cultive le jardin chaque lendemain du monde, chacun à nos façons et en nos compagnies, lui avec Jean-Louis Murat – qui l’a fait chanteur – et Elysian Fields – dont il est désormais le crucial bassiste. Un crucial artiste.

Matt Low / Photo : DR
Matt Low / Photo : DR

Son premier album, La Ruée vers l’or, était son premier. Parfaitement imparfait, sans que je puisse en écrire plus : j’avais participé à un morceau.

Impossibilité éthique donc, mais aussi et surtout émotionnelle, parce qu’il y avait accomplissement profond pour Matt d’une histoire que je suivais, connaissais, vivais depuis des lustres. Il se jouait trop dans cette histoire pour s’étaler, et on avait ainsi fait un pas de côté et commis ce truc rigolo, un entretien ici-même, et je vous le conseille : interviewez vos proches, vos ami·es, ou des connaissances que vous souhaitez aimer mieux, écoutez leurs réponses à vos questions, sans les interrompre. Écoutez-les vraiment : des trésors y prennent les années qu’il faut pour, peu à peu, se délester des sédiments qui les accompagnent, et vous vous trouverez honoré·e de souvenirs fiers et inattendus, un peu doux, vivants.

Bref. Le deuxième album, la présente Vie cool, assure d’une chose dont à vrai dire je n’ai jamais douté : Matt continue d’écouter comme il a toujours su le faire, avec des oreilles calibrées au laser, les états de l’âme comme ceux de la mélodie qui le traversent. Les mots sont affûtés, entre réminiscences hédonistes et la lumière du jour, qu’elle filtre par des persiennes salvatrices pour nos gueules de bois, ou qu’elle inonde joyeuse un pique-nique en famille – la véritable ivresse, celle de la lumière qui transperce, circule en ondes souples – merci la section rythmique, Yann Clavaizolle et Jamie Pope, qui emportent jusqu’au finale du Chant des sirènes en ce lieu connu depuis la prophétie de la Femme d’argent, un psychédélisme rythmique dans lequel on saurait se perdre s’il avait duré une face entière de disque, et qui demeure pourtant à sa place – sous les mots.

Car il est affaire, d’abord, de chansons.

L’option creusée par Matt depuis ses débuts – enregistrer en studio autant que possible, et mixer de même, au légendaire Black Box – n’est pas le fantasme d’un énième dilettante rêvant de duplicatas et d’idoles : elle poursuit la vision d’une mise en son décidée, par des moyens acoustiques spécifiques, servant hic et nunc avec finesse et profondeur, strictement, le propos – la chanson. Elle y participe, l’éclaire, lui donne un jour. Assisté donc par les oreilles de Peter Deimel, par les arrangements brillants de Benjamin Tessier aux claviers et les copaines qui donnent un coup de guitare, un coup de cordes, un coup de chœur, Matt a fait mieux qu’organiser le proverbial écrin : il a continué ses compositions dans le son, dans des myriades de couches, de détails, d’agencements – dont on se délecte jusqu’à l’ivresse, décidément, les hanches animées par un midtempo implacable et la tête farcie d’airs qui y restent, formant des toiles de ponts d’araignées inattendus entre d’impossibles recoins, en dessins fantastiques, en discrète richesse.

Et c’est la seule question que je peux poser au disque, parce que j’en ai le droit et que son auteur ne m’en voudra pas : je préfère pour l’instant le couper en tranches de quelques chansons, des quarts d’heure qui sont autant de claques de bonheur, d’alignements de microtubes, que l’écouter d’une traite – ce qui supposerait une transe dont chacun·e ne peut forcément être capable, la vitesse étant d’apparente croisière et les BPM plus que stables. Sur une base dite chanson folk pour aller vite, il y a une richesse mélodique, une idée par seconde, une énergie secrète et des montagnes d’images dont on n’a pas l’habitude et sur lesquelles on apprécie de temps en temps de pouvoir s’arrêter, plutôt que de devoir filer à la suivante – un peu, rien à voir mais tout à voir, comme chez John Maus ou Cornelius – le temps pour l’auditeur·ice de flotter aux mêmes hauteurs d’intensité et de chausser des lunettes de soleil.

Pleine face, la lumière.


Une vie cool par Matt Low est disponible sur le label Bleu Nuit.

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