Mort Garson, Mother Earth’s Plantasia (Homewood Records, 1976)

Parfois les algorithmes font bien les choses. Dans les années 2000, Mother Earth’s Plantasia (1976) du musicien canadien Mort Garson s’infiltre dans les flux YouTube de nombreux utilisateurs du site. L’album hérite enfin du statut de disque culte après des décennies d’anonymat. Il n’est pas le seul à bénéficier de ce coup de pouce inattendu. L’artiste japonaise Midori Takada a par exemple connu un destin quelque peu similaire avec un album paru initialement en 1983, de même que le Français Dominique Guiot et son Univers de la Mer (1978). Ces succès semblent presque enchantés, un peu à l’image de la théorie qui poussa Mort Garson à enregistrer Plantasia quelques décennies plus tôt.

Mort Garson
Mort Garson

Nous sommes dans les années 70, depuis la fin des sixties, la vague New Age a saisi l’imaginaire des milieux underground à travers le monde. Que ce soit à travers l’astrologie (l’Ère du Verseau), l’intérêt pour la spiritualité (les Jesus freaks), le succès des religions d’inspiration hindouiste (Hare Krishna) ou diverses parasciences (ufologie, cryptozoologie), l’époque cherche à réenchanter le monde. En France Jacques Bergier et Louis Pauwels (Planète) publie en 1960, Le Matin des Magiciens. Pendant deux décennies, le livre est réimprimé en permanence et finira par dépasser le million d’exemplaire. De son coté, l’ouvrage La Vie Secrète des Plantes (1973) de Peter Tompkins et Christopher Bird inspire un documentaire du même nom (1979). Stevie Wonder en signe même la bande originale. Nombreux sont les musiciens à se lancer dans cette nouvelle niche, sincèrement, ou par opportunisme. En France Joël Fajerman publie L’Aventure des Plantes (1982) tandis qu’en Amérique du Nord, Mort Garson, musicien actif depuis les années 50, enregistre le fameux Plantasia (1976).

Ce disque est presque auto-édité : il est donné dans les boutiques Mother Earth ainsi que pour l’achat d’un matelas Simmons. Nous ne savons si le disque a réellement été testé auprès de plantes, néanmoins Mort Garson n’était pas à son coup d’essai en matière de thématique ésotérique. En 1967, il participait à l’album de The Zodiac, Cosmic Sounds autour des signes astrologiques. Neuf ans plus tard, Mother Earth’s Plantasia se déleste d’instruments traditionnels aux profits de synthétiseurs analogiques. Ces derniers lui permettent de créer une palette onirique et délicate. Les textures, parfois primitives, parfois douces, apportent une réelle profondeur aux arrangements. La musique de Garson s’inscrit dans son époque mais garde une personnalité particulièrement attachante. De la vague des disques au Moog (Wendy Carlos, Gershon Kingsley), Garson garde le goût des mélodies. Des disques Berlin School (Tangerine Dream, Klaus Schulze) et ambient (Brian Eno), le musicien prolonge la notion d’espace. Plantasia réinterprète aussi l’easy listening de Les Baxter ou Dick Hyman. Ses arrangements magnifient les mélodies. Celles-ci ont une poésie rare. Parfois naïves, plus sombres à d’autres instants (Music To Soothe The Savage Snake Plant), elles construisent des échappatoires, loin des tracas du quotidien. Plantasia surprend ainsi par son lyrisme. Mort Garson ne cherche pas à étouffer les mélodies mais leur donne au contraire de la place pour s’affirmer. L’album est une expérience sonore, il nous soustrait quelques instants aux vicissitudes de l’existence pour nous faire un vivre un moment en suspens, une sorte de Fantasia végétal.  Si Mother Earth’s Plantasia est un disque court, à peine plus de 30 minutes, Mort Garson semble ici détaché des contingences commerciales. Il a laissé libre court à sa fantaisie tout en mobilisant un savoir faire acquis au conservatoire (Juilliard School). Le morceau Plantasia est l’hymne d’une hypothétique nation des plantes. Pour une fois la hype se justifie pleinement : Mother Earth’s Plantasia est un album enchanteur et singulier. Il s’écoute d’une traite même si certains moments sont particulièrement beaux et émouvants (Symphony for a Spider Plant, Ode to an African Violet, Concerto For Philodendron & Pothos, Swingin’ Spathiphyllums etc.). Réédité en 2019 par Sacred Bones, Plantasia vous accompagnera longtemps.


Mother Earth’s Plantasia par Mort Garson est sorti sur Homewood Records en 1976 et a été réédité par Sacred Bones en 2019.

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