05. Ophélie / 06. Ophélie suite

En deux jours, un texte sur chaque chanson du nouvel album de Chevalrex, “Providence” (Vietnam)

C’est une « ghost track » qui porterait bien son nom, mais qu’on n’aurait pas voulu reléguer en dernière place dans un jeu un peu artificiel avec l’auditeur. Ophélie est un morceau caché qui ne se cache pas, que Chevalrex expose comme une cicatrice. Une chanson fantôme de fantôme (« Sans Ophélie quel est mon nom ? »). La guitare classique y entre dans l’espace comme des musiciens qui se tiendraient hors champ d’un plan-séquence au milieu d’une clairière (où l’on entend les oiseaux, le vent, la rivière).
La guitare électrique qui accompagne la mélodie du chant se fait liquide en assumant discrètement les références à la figure empruntée. Et puis, après ces 1 minute et 5 secondes, surgit la suite, qui nous fait revenir en apparence au monde du disque, mais nous voilà embarqués dans un exil sur un cargo (culte?) dont on ne reviendra pas vraiment.

Il y a dans tout le disque un traitement constructiviste de l’espace sonore où le mix est un décor sublime qui n’hésite pas à exhiber ses fissures (la guitare électrique légèrement surmixée par exemple) et c’est peut-être dans l’enchaînement de ces deux titres que cela apparaît avec le plus d’évidence. Qu’Ophélie et sa suite soient placées au milieu du disque dit, je crois, une chose très belle : l’album est une construction sophistiquée dont la clé de voûte est une ruine. C’est comme une voix qui viendrait nous dire : ne vous fiez donc pas à la clarté des lignes mélodiques, au jour éclatant des ballades et des rythmiques pop. Si vous grattez un peu, la nuit surgit, on regarde dans l’eau et c’est la confusion (« et la mort dans l’onde empoisonnée » remplacé ici par « un poison qui se distille »). Ophélie et sa suite sont le point de jonction où cette dialectique nous apparaît. L’ophélisation opère, le vertige se fait vestige, et la pop de Chevalrex porte en elle sa théorie critique.

Image : Ellsworth Kelly, choisie par Chevalrex.

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