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Jeffrey Foskett et Nelson Bragg, garçons de plage

Deux rétrospectives de musiciens dans la lignée des Beach Boys sortent en cette période de deuil de Brian Wilson.

C’est étrange mais le travail du deuil a ceci de commun avec celui de la découverte qu’il s’opère souvent par à-coups successifs. Depuis le 11 juin, les souvenirs resurgissent ainsi, de temps à autre, par grappes agglomérées, au gré des ramifications de la mémoire, semblables en cela à la manière dont s’entrebaillaient, il y a longtemps, les portes des premiers émerveillements. En effet, si les Beach Boys ont été si importants dans notre éducation musicale, c’est notamment parce qu’ils ont été le premier groupe, dont la grandeur s’est révélée comme on perce progressivement une succession de mystères et de secrets concentriques. Celui pour lequel – plus que pour tous ses concurrents contemporains – la passion musicale grandissante s’est apparentée à une expédition spéléologique au cœur d’un réseau galeries dont il s’agissait d’identifier, étape par étape, les connections enfouies. Derrière la face émergée et saillante – ces tubes charmants mais un peu désuets qui baignaient déjà l’enfance – on commençait ainsi par apercevoir Pet Sounds (1966) puis, au moment de la publication de ce fameux coffret rétrospectif de 1992 (Good Vibrations –Thirty Years Of The Beach Boys, le premier objet discographique de cette importance acquis avec le tout premier salaire d’adulte), les bribes du naufrage admirable et tragique de Smile (1967). De là, il devenait possible de cheminer plus loin, vers les lueurs de Sunflower (1970) ou de Surf’s Up (1971) et d’y deviner, au-delà des obscurités intermittentes du génie à éclipse de Brian Wilson, l’éclat parfois tout aussi éblouissant du talent de ses frères.

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Robert Forster, Strawberries (Tapete Records)

Robert Forster, Strawberries (Tapete)On trouve encore, parfois, un bonheur ineffable à découvrir les étapes successives de la discographie d’un auteur que l’on aime et que l’on suit depuis l’adolescence. Particulièrement quand elles semblent désormais se succéder comme les phases régulières d’une respiration. Et donc d’une preuve de vitalité artistique – de vie, tout simplement. On se prend ainsi à guetter les moments alternés du souffle. Après la tension contractée et dramatique qui émanait de The Candle And The Flame (2023) – profondément marqué par l’angoisse née de la maladie de sa femme, Karin Baümler –, arrive heureusement le moment de l’expiration relâchée et du soulagement. La chanson qui donne son titre au neuvième album solo de Robert Forster constitue, à cet égard, le seul point de continuité explicite avec les tonalités intimes de l’épisode précédent. Continuer la lecture de « Robert Forster, Strawberries (Tapete Records) »

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Paul Collins (The Nerves, The Beat) : « Les gens nous prenaient pour des extra-terrestres »

Paul Collins période The Nerves / Photo de presse
Paul Collins période The Nerves / Photo de presse

Le roi de la power-pop. C’est à la fois le titre d’un album – King Of Power Pop! (2010) donc – et, surtout, un statut chèrement conquis et désormais difficilement contestable. En quelques années décisives – moins de dix en réalité – Paul Collins a contribué, davantage encore que la plupart de ses potentiels concurrents au trône, à façonner les contours parfaitement dessinés d’une musique vive, mélodique et indémodable. A rebours à peu près complet de toutes les tendances d’une époque où dominaient encore les digressions musicales complaisantes. D’abord avec The Nerves : en compagnie de Jack Lee – disparu il y a tout juste deux ans – et Peter Case, il a enregistré et publié en toute indépendance quatre des titres les plus importants de l’histoire. Ensuite avec The Beat, dont le premier – et, en grande partie, le deuxième – album demeure un des jalons les plus parfaits d’un rock classique et épuré, à la fois moderne et profondément ancré dans l’histoire des décennies qui l’ont précédé. A l’occasion d’une série de concerts entièrement consacrés à cet héritage majeur, il a consenti à partager quelques souvenirs des batailles passées. Continuer la lecture de « Paul Collins (The Nerves, The Beat) : « Les gens nous prenaient pour des extra-terrestres » »

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Ida, Will You Find Me (Tiger Style, 2000 – rééd. Numero Group)

Ida, Will You Find Me Numero GroupLa quête obstinée de la beauté dans les marges. C’est le fil conducteur du travail d’archivage méticuleux conduit depuis plusieurs décennies par Numero Group et qui postule de manière plus ou moins implicite une égale dignité – non pas une valeur identique, c’est autre chose – de toutes les œuvres, y compris les plus négligées ou les plus apparemment mineures. Qu’il s’agisse de restaurer le catalogue d’un label R’n’B de troisième zone avec la même minutie respectueuse que l’on devrait à des bandes inédites exhumées des caves de chez Motown – les dizaines de volume de la collection Eccentric Soul – ou de traiter les plus obscurs des pressages privés rescapés des greniers des songwriters amateurs du début des années 1970 à l’égal du Blue (1971) de Joni Mitchell – la série des compilations Wayfaring Strangers : il y a à la fois quelque chose d’attachant et d’un peu agaçant dans cette conduite éditoriale où le ce souci permanent de l’exhaustivité semble l’emporter sur la nécessité du choix franc et tranché, dans cette volonté de compléter l’histoire des sous-cultures locales dans leurs moindres détails, sans prétendre forcément à la réécrire à partir d’un point de vue esthétique sélectif et clairement assumé. Parfois, les méandres labyrinthiques de ces rééditions sont trop tortueux pour qu’on éprouve l’envie de s’y perdre : après tout, pour qui n’a pas vocation à l’écoute savante ou documentaire, le temps d’exploration des détails secondaires et des notes de bas de page de l’histoire n’est pas extensible à l’infini.  Mais, il arrive aussi que ce refus de principe de toute sélection préalable trop rigoureuse magnifie l’écoute et les redécouvertes. Continuer la lecture de « Ida, Will You Find Me (Tiger Style, 2000 – rééd. Numero Group) »

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Henry Badowski, Life Is A Grand (A&M, 1981 – rééd. Caroline True)

Henry Badowski Life Is A GrandOn croit parfois connaître. Un peu, sans prétention. On se résigne même à ce que, au fil des ans ou des décennies, l’exploration maniaque et quasi-exhaustive des tréfonds des tiroirs de tous les catalogues les plus obscurs de l’histoire de la pop par d’innombrables labels d’archéologues en épuise inévitablement les ressources limitées. Après tout, comment la loi implacable des rendements esthétiques décroissants ne s’appliquerait-elle pas à l’exhumation de ces supposés trésors cachés qui finissent par décevoir, de plus en plus souvent ? Et puis, un beau jour, on tombe sur la réédition d’un album entier de 1981 dont on n’avait jamais – mais vraiment jamais – entendu la moindre note, dont on ignorait jusqu’à l’existence, et dont on n’attendait pas nécessairement autre chose qu’un vague intérêt documentaire et historique sur une période qu’on pensait labourée jusqu’à la roche. Pourtant, dès la première écoute, on ressort convaincu que cette passion musicale qui continue de mobiliser une part ridiculement excessive de l’existence – et de grever, au passage, les budgets dans des (dis)proportions totalement irrationnelles – n’est pas vaine puisqu’elle a permis de dénicher un album qui – c’est certain – restera tout prêt des oreilles et du cœur pour toute la vie à venir. Life Is A Grand est de cette trempe-ci et c’est presque miraculeux. Continuer la lecture de « Henry Badowski, Life Is A Grand (A&M, 1981 – rééd. Caroline True) »

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Clara Mann, Rift (The state51 Conspiracy)

Clara MannLes grandes douleurs ne sont pas toujours muettes ; elles sont parfois chantées. Comme son titre l’indique, le premier album de Clara Mann s’apparente à l’exploration attentive des fissures et des béances : celles qui accompagnent la fin d’un amour ou encore celles qui l’ont précédé alors même qu’on feignait encore d’ignorer l’imminence du précipice. « It only hurts from when I wake to when I fade away. » l’entend-on chanter dès l’ouverture : le ton est donné et il n’est guère à la gaudriole. La chute laisse inévitablement des crevasses de souffrance et la jeune autrice britannique, déjà remarquée en première partie d’un concert parisien de Daniel Rossen il y a trois ans, s’emploie à remblayer ses chagrins avec une infinie douceur. Continuer la lecture de « Clara Mann, Rift (The state51 Conspiracy) »

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Richard Thompson, Hard On Me (1999) par Matthieu Grunfeld

Richard Thompson, 1999 / Photo de presse
Richard Thompson, 1999 / Photo de presse Capitol

A l’occasion du passage de Richard Thompson en France pour deux concerts rares – au Printemps de Bourges le samedi 19 et à Paris au Café de la Danse le dimanche 20 – quelques amoureux de son œuvre ont choisi d’évoquer l’un de leur titres favoris d’un répertoire qui s’étale sur plus d’un demi-siècle.

Alors que le siècle dernier touche à sa fin, une page se tourne également dans la longue discographie de Richard Thompson. Avec Mock Tudor (1999), il achève en effet une décennie de collaboration avec Capitol. Et signe au passage ce qui demeure sans doute le meilleur album solo de toute sa longue carrière. Les débats demeurent à ce jour ouverts quant à l’influence plus ou moins néfaste exercée par Mitchell Froom et Tchad Blake sur la production des quatre premiers volets de cette période américaine – d’Amnesia (1988) à You? Me? Us? (1996). Toujours est-il que leur disparition du générique coïncide ici avec un regain manifeste d’inspiration. Continuer la lecture de « Richard Thompson, Hard On Me (1999) par Matthieu Grunfeld »

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Richard Thompson, Wall Of Death (1982) par François Gorin

Richard et Linda Thompson
Richard et Linda Thompson / Photo : DR

A l’occasion du passage de Richard Thompson en France pour deux concerts rares – au Printemps de Bourges le samedi 19 et à Paris au Café de la Danse le dimanche 20 – quelques amoureux de son œuvre ont choisi d’évoquer l’un de leur titres favoris d’un répertoire qui s’étale sur plus d’un demi-siècle.

Sur la pochette de l’album Shoot Out The Lights, un Richard Thompson hilare est assis à même le sol au coin d’une pièce qu’on devine vide, à l’abandon. Aux murs, le papier peint jauni se décolle, est lacéré par endroits, maculé de traces d’humidité, de fumée. Une ampoule nue vacille au plafond. Seule autre présence, si l’on peut dire, un portrait de sa femme Linda, photo encadrée de celle qui pour la dernière fois ici chante avec lui. Continuer la lecture de « Richard Thompson, Wall Of Death (1982) par François Gorin »