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Hand Habits, Fun House (Saddle Creek)

On appelle tel disque, dans l’embarrassant jargon de la critique francophone, un grower.

Un disque qui grandit.

Et qui nous grandit.

Et tel il est, ou mieux encore, un disque casse-pied, un formidable disque, un disque qui enseigne, qui ne se range pas en trois minutes comme une agréable paire de chaussons prête à être dégainée. Les choses bougent. Elles passent. Sans place.

En cherchant trois mots à placer en entrée de chronique – ça donne du cœur à l’ouvrage – ça sort de la zone de confort – je suis tombé nez à nez avec un mujo seppo de Shundo Aoyama à la conclusion inévitable : “Seul l’être humain se plaint de la nature transitoire de toute chose.” Qu’il vaut mieux glisser discrètement dans le ventre des choses. Continuer la lecture de « Hand Habits, Fun House (Saddle Creek) »

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Mo Troper, Dilettante (Bobo Integral)

Dilettante. Le mot est lâché. Comme un paradoxe, si on entend par là l’incapacité d’accomplir, par défaut de volonté ou de ténacité, le travail artistique jusqu’à son terme. Quatre albums – et même un peu plus – en cinq ans : Mo Troper n’est manifestement pas de ceux qui rechignent à l’effort. Généralement adepte de la basse fidélité, le musicien de Portland s’était même risqué pour son précédent album – Natural Beauty (2020) – à gommer quelques aspérités sonores et à peigner quelques-unes des mèches rebelles de ses chansons ébouriffées. Le résultat était en tout point remarquable – du Jellyfish en cure d’austérité budgétaire, pour résumer – mais était passé à peu près totalement inaperçu en plein printemps confiné. Déçu et sans doute un tantinet frustré, Troper s’en est retourné à ses premières passions bricolées. En Dilettante, donc, au sens le plus noble du terme, puisqu’il s’agit ici de vivre plusieurs vies pour composer plusieurs albums à la fois. S’engager dans l’impulsion du moment, accompagner en amateur la sensation isolée ou l’impression éphémère qui s’élèvent au rang d’expérience artistique. Et ce vingt-huit fois de suite. Vingt-huit, c’est bien le nombre de morceaux enregistrés à domicile en moins d’une semaine qui composent donc ce kaléidoscope musical touffu et fascinant. Continuer la lecture de « Mo Troper, Dilettante (Bobo Integral) »

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Fleetwood Mac, Rumours (1977, Warner)

Fleetwood Mac Rumours1977, la révolution punk gronde, pourtant le soft rock se porte merveilleusement bien et continue de se vendre par palette entière. Si les Ramones ou Talking Heads font vibrer les petits cœurs fragiles de critiques extatiques, le grand public américain se précipitent sur les disques de Steely Dan ou des Doobie Brothers. En France, le rock d’avant le punk se porte aussi très bien. De Dire Straits en passant par Supertramp ou Alan Parsons Project, les Français ne sont pas franchement convertis aux épingles à nourrice. Longtemps considérés avec une certaine défiance, les gros vendeurs des seventies ont, ces dernières années, été largement réhabilités. Cité par de nombreux artistes (Best Coast, Haim etc.) comme une référence, Fleetwood Mac est incontestablement une des têtes d’affiche de la décennie. Continuer la lecture de « Fleetwood Mac, Rumours (1977, Warner) »

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Peter Holsapple (The dB’s) : « Je crois que quand R.E.M. a triomphé, nous avons tous triomphé. »

Peter Holsapple / The dB's
Peter Holsapple / The dB’s

The dB’s est toujours apparu comme un groupe interstitiel, de ceux dont l’œuvre, considérablement sous-estimée pendant bien des décennies, se niche dans ces anfractuosités confidentielles qui échappent à bien des classifications réductrices : entre les genres – ni totalement punk ou new-wave, ni vraiment power-pop ; entre les époques ou les scènes. C’est sans doute ce qui a conféré au quartette fondé à New-York en 1978 par Chris Stamey et Peter Holsapple ce statut un peu particulier. Un groupe culte, sans doute. Mais surtout, un maillon essentiel dans la succession des générations qui structure l’histoire de la musique américaine. C’est en effet dans les premiers albums des dB’s – et particulièrement dans les premières démos du groupe, saisissantes de vitalité, rééditées cet automne sur I Thought You Wanted To Know 1978-1981 – que se trouvent à la fois les prolongements du garage-rock des années 1960 et de ces mélodies qui ont surgi sous les doigts d’adolescents encore sous le choc de la British Invasion et les prémisses de l’indie-rock des années 1980. Après avoir contribué à briser quelques barrières, Holsapple et ses camarades se sont fait déborder ensuite – avec une complaisance confraternelle souvent appréciable – par les jeunots qui se bousculaient sur leurs traces de R.E.M. à Yo La Tengo. Il ne leur en tient aucun grief, bien au contraire. Et c’est avec une bonhomie enjouée qu’il accepte de revenir sur un engagement musical qui s’étale désormais sur six décennies. Continuer la lecture de « Peter Holsapple (The dB’s) : « Je crois que quand R.E.M. a triomphé, nous avons tous triomphé. » »

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Patrice Rushen, Straight From The Heart (Elektra, 1982)

Figure essentielle de la scène boogie/post-disco américaine des années 80, Patrice Rushen connaît pourtant un parcours atypique. Après avoir gagné un concours de jazz au Monterey Jazz Festival à 17 ans avec son groupe, la pianiste signe avec le label Prestige. Au début de sa vingtaine, Patrice Rushen publie ainsi trois albums sur le label entre 1974 et 1977. La musicienne opère un virage à 180 degrés un an plus tard lorsqu’elle signe chez Elektra. Label mythique dans les années 60 (The Doors, The Stooges, Love…), la structure est rachetée par Warner au début des seventies. Elektra contribue alors à développer un certain son californien (Leon Ware, Bread, Lee Ritenour, Carly Simon) aux cotés de leurs collègues d’Asylum également chapeautés par WEA. Dans cet environnement moins puriste, Patrice Rushen s’épanouit et ose aller vers une production plus funky, dansante et surtout pop, ce qui est vécu comme une trahison par les amateurs de jazz. Continuer la lecture de « Patrice Rushen, Straight From The Heart (Elektra, 1982) »

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The War On Drugs, Slave Ambient (Secretly Canadian, 2011)

The War On Drugs, Slave Ambient A l’automne 2011, soit 10 ans tout juste ou presque, je restais plein d’espoir sur les premières facéties d’Adam Glanduciel. Je vous expliquerais demain et avec quelques détails, pourquoi, j’avais vu juste mais j’avais, en fait, tout faux.


Forcement à l’ombre du phénoménal deuxième album de Girls, véritable soleil sombre de cette rentrée pop moderne, la deuxième incursion de The War On Drugs mérite tout de même une attention soutenue. Car s’il on reparlera à foison pour les premiers d’un son mercuriel inauguré par Bob Dylan et achevé à Birmingham au mitan des 80’s (Lawrence et Felt, pour ne pas les nommer), on saisira l’importance capitale de ce même songwriting Dylanien sur celui d’Adam Granduciel, lui-même rejoint par quelques obsessions britanniques. Continuer la lecture de « The War On Drugs, Slave Ambient (Secretly Canadian, 2011) »

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Aimee Mann, Queens Of The Summer Hotel (SuperEgo Records)

Aimee MannDébut de la chanson, début de la consultation, le docteur dit :
Give me fifteen, give me fifteen, give me fifteen minutes
That is all I need to make the call
Give me fifteen, give me fifteen, give me fifteen minutes
Women are so simple after all.
Et hop : hôpital psychiatrique.
Pont :
You’re feminine, you’re crazy
Et hop, et fin de la chanson : le docteur ne demande pas plus de quinze minutes pour se prononcer, et prononcer sa sentence, et en reste là :
Give me fifteen.
Aimee Mann sort un nouvel album, et ce devrait être un événement – dans un monde meilleur – et c’est un événement. Continuer la lecture de « Aimee Mann, Queens Of The Summer Hotel (SuperEgo Records) »

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Shannon Lay : « J’assume mon super pouvoir : tenir une salle rien qu’avec ma guitare et ma voix. »

Shannon Lay
Shannon Lay / Photo : Denee Segall

“Ainsi, l’apparition de Shannon Lay apparut”, aurait-on pu transcrire, un peu pataud.

Une silhouette bleue arc-boutée, recroquevillée sur un bitume en bordure de grève, des mèches rousses dissimulant les traits d’un visage enfoui, l’océan ne faisant qu’un avec le ciel grisâtre. C’était l’image de Living Water, il y a presque cinq ans, déjà. On y entendait un oranger, une lune lésée, un soleil précieux. Et puis ce Recording 15 comme extrait de la mémoire d’une boîte vocale, une confession qu’elle n’avait pas pris le temps de titrer tant il y avait urgence à chanter ce qu’elle préférait ne pas ressentir. Sa voix désarmait à ne pas vouloir trop en faire non plus, elle visait toujours juste dans le désir et la mélancolie. Comme d’autres avant elle, elle semblait situer la bonne distance entre l’intime et le mystère, la candeur et la noirceur. Continuer la lecture de « Shannon Lay : « J’assume mon super pouvoir : tenir une salle rien qu’avec ma guitare et ma voix. » »