True West, Kaleidoscope Of Shadows : The Story So Far (Bring Out Your Dead Records)

Les périodes de transition musicale sont souvent les plus intéressantes et les plus riches, en particulier quand elles s’animent dans les marges. Celle dont il s’agit ici est communément désignée – aussi bien d’ailleurs par les commentateurs que par les acteurs eux-mêmes – sous le terme de Paisley Underground. Début des années 1980, sur la côte Ouest des USA : une cohorte de jeunes musiciens locaux amorce une relecture originale et considérablement influente de l’histoire du rock. Sur le fond, ils demeurent profondément marqués par les soubresauts telluriques du punk dont ils ont essentiellement retenu l’appel à la création libre, émancipée de toute contrainte technique ou commerciale. Sur la forme, en revanche, ils refusent toute prétention à la pratique nihiliste de la table rase et revendiquent d’emblée une filiation claire et assumée avec les aînés négligés de la légende alternative. The Velvet Underground sert, évidemment, de point ralliement. Mais aussi Love, The Stooges, The Byrds et pas mal d’autres.

True West
True West

Un retour à des sources méconnues qui apparaît, dans le contexte, d’autant plus indispensable que les figures majeures des années 1960 et 1970 semblent complaisamment négliger la mission essentielle consistant à garder les temples qu’ils avaient eux-mêmes édifiés. C’est l’époque sombre où Lou Reed roucoule en salle de sport avant d’enchainer avec une publicité pour un scooter Honda, où Neil Young enregistre des disques de rockabilly et de bizarres vocalises électroniques pour emmerder David Geffen – et pas que lui, malheureusement – et où les fantômes des Who et des Kinks publient sans conviction des albums presque indignes. Qu’importe puisque la nouvelle génération accepte volontiers de reprendre tous ces flambeaux avec un enthousiasme qui fait désormais défaut à leurs aînés fatigués.

La plupart des acteurs de cette scène californienne ont fini par obtenir leur rendez-vous – parfois fugace, occasionnellement manqué – avec la reconnaissance critique et même, pour certains, avec le succès public. Les Bangles ont fini par porter cet étendard au sommet des charts ; The Dream Syndicate figure en bonne place dans tous le livres d’histoire ; David Roback de Rain Parade a dû patienter un peu avant de cartonner avec Mazzy Star. Même des seconds couteaux comme The Three O’Clock ont eu l’occasion de signer sur Paisley Park, le label de Prince – un très grand fan du mouvement comme en témoigne Around The World In A Day en 1985 -, avant de disparaître. True West n’a jamais vraiment pu – ou su – saisir sa chance et pourtant, comme en témoigne cette rétrospective intégrale confidentiellement publiée il y a quelques semaines, ce n’est pas une question de qualité ou de talent. Comme souvent pour les groupes importants, tout est ici condensé dans un laps de temps relativement bref : les soixante morceaux ici rassemblés ont été enregistrés entre 1983 et 1986. Et ils fournissent presque autant d’arguments qui plaident en faveur d’une réhabilitation d’une formation souvent négligée et qui n’avait rien à envier à ces concurrents de l’époque plus heureux.

True West
True West at the beginning.

Tout a commencé un peu plus tôt, en 1979, dans le Nord de la Californie – précisément du côté de Davis – à plusieurs centaines de kilomètres de Los Angeles où finiront par converger toutes ces formations encore éparses. Le groupe s’appelle Suspects et on y retrouve quatre lycéens qui partagent la même passion engagée pour l’authenticité rock et la rudesse des guitares électriques. Ces mêmes guitares qu’ils sont bien décidés à ne pas laisser dériver au second plan de compositions aseptisées, comme semblent l’imposer les tendances à la mode dans les studios. Ils ont pour nom Kendra Smith, Steve Wynn, Russ Tolman et Gavin Blair. Après avoir publié ensemble un premier single autoproduit – It’s Up To You en 1979 – ils bifurquent par paires. Les deux premiers entament leur migration vers le Sud pour fonder The Dream Syndicate. Les deux autres restent à Davis et s’associent avec le guitariste Richard McGrath pour créer True West. Blair quitte son rôle de batteur pour devenir chanteur et une section rythmique aux contours souvent fluctuant vient compléter le trio stable et fondateur.

Les deux premiers singles de True West produits par Steve Wynn ainsi que les démos enregistrées en 1983 sous la direction bienveillante – pour une fois ! – de Tom Verlaine donnent le ton : celui d’un psychédélisme sombre et bruitiste qui s’inscrit dans la modernité sans rien renier de ses racines assumées. La principale force du groupe tient sans aucun doute à l’émulation et à la complémentarité du jeu des guitares croisées de McGrath et Tolman. Sur scène, leurs dialogues tendus atteignent même une dimension épique, comme permettent de l’entrevoir les prises live de qualité technique inégale collectées sur le troisième volume de cette rétrospective. A l’instar des plus grands duellistes électriques – ils conservent Tom Verlaine et Richard Lloyd en ligne de mire permanente, c’est une évidence, mais aussi Stephen Stills et Neil Young – les deux compères rivaux nourrissent de leurs feux croisés les compositions robustes et inspirées que signe Tolman. Dans ces premiers titres que le label français New Rose compile et republie quelques mois plus tard – Hollywood Holiday, 1983 – il y a aussi, parfois, un peu de ces stridences chaotiques et de ces vrombissements saturés que l’on réentendra peu après chez The Jesus And Mary Chain.

Comme par un hasard qui n’en est pas vraiment un, deux reprises de Syd Barrett figurent aux répertoires respectifs des deux formations, Vegetable Man pour les frères Reid, Lucifer Sam chez True West. Le premier album – sans doute le meilleur – Drifters, 1984 prolonge cette première inspiration tout en présentant une série de compositions plus abouties. Comme Tolman le raconte lui-même, il commence à introduire de plus en plus systématiquement dans ses chansons « des accords de cowboy ». A cet égard, l’album participe de ce mouvement plus général et qui consiste à fusionner les traditions américaines plus anciennes avec la spontanéité ébouriffée de l’indie-rock naissant. Il y a bien des points communs avec R.E.M. – True West tournera d’ailleurs pendant plusieurs mois, à l’époque en première partie des stars d’Athens – dans ces colorations électro-acoustiques, ces mélodies aigres-douces et même une certaine forme de lyrisme dans l’interprétation de Blair (Look Around, Shot You Down).

La suite – et, assez vite, la fin – est souvent considérée comme moins glorieuse, voire dépourvue d’intérêt. Alors que le groupe s’apprête à enregistrer son second album, Hand Of Fate en 1986, Tolman décidé de partir pour entamer une carrière solo. Tant bien que mal, McGrath et Blair se débrouillent pour terminer le travail en studio, invitant pour l’occasion quelques amis et confrères suffisamment doués pour pallier la défection du leader du groupe – Matt Piucci de Rain Parade et Chuck Prophet de Green On Red. L’album n’avait jamais été réédité en CD et se prête donc aujourd’hui à une  (re)découverte aussi surprenante qu’agréable. Certes, le son est plus pop, moins rugueux et plus policé que sur les enregistrements précédents. Il n’en demeure pas moins que les chansons sont – pour la plupart- tout à fait réussie, dans un registre qui rappelle celui de R.E.M. à la même époque, mais également celui de certaines formations géographiquement plus éloignées – Crowded House en particulier. Beaucoup d’éléments positifs, en tous cas, qui contribuent à nuancer le verdict très sévère qui demeure inscrit dans les encyclopédies en ligne. Et qui confirme que, y compris dans phase terminale, True West mérite bien davantage qu’une mention marginale dans les notes de bas de pages des chapitres consacrés à un mouvement musical toujours aussi essentiel.


True West, Kaleidoscope Of Shadows : The Story So Far est disponible chez Bring Out Your Dead Records et leur Bandcamp.

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