Les parents d’un ami d’un ami de troisième possédaient un mobil home du côté de Royan, à Ronce-les-Bains. C’était 1989 et il fallait bien partir fêter quelque part le bac. Le lycée de Melun Nord ne me manquerait pas, et je m’étais inscrit à Paris 1 Tolbiac. Il était encore possible à l’époque de déroger à sa prison géographique et de tenter l’aventure dans la capitale (tant pis pour les trois heures de train de banlieue quotidien). En ce mois d’août qui voyait mourir l’URSS et Mitterrand étrenner son second septennat, le camping quatre étoiles avec piscine affichait toutes les apparences eighties d’une parenthèse et d’une fin de cycle. Le barman, saisonnier venu de Bordeaux, passait en boucle du Litifiba et Kid Pharaon. Les skins et les psychos se battaient lors des bals du village avec les fils ostréiculteurs. Des gamines avaient écrit au feutre noir Roch Voisine sur leur short en jean et des papas ventripotents trimballaient des tatouages de parachutiste. Mes camarades de lits-banquettes tournaient entre The Cure et The House Of Love sur un poste radio K7 gris argenté. J’avais emmené la compilation de Madness, je ne sais plus quel album des Bérus, un best of de Sam & Dave et un double LP florilège des Peel Sessions où cohabitaient, si je me souviens bien, The Redskins et Inspiral Carpets. Toutefois, cette période bénie pré-internet n’autorisait guère le sectarisme. Surtout paumé au fin fond de la Seine-et-Marne sud. Tout ce qui tombait de la discothèque des potes était bon à prendre et à enregistrer pour le walkman. C’est ainsi que Lloyd Cole and the Commotions a terminé dans mes oreilles. Et cet été en particulier, j’ai alors essoré Why I love Country Music en solitaire, sans jamais le diffuser auprès de notre petite communauté, afin de préserver ma fragile image au sein du groupe, Doc Martens et tee-shirt Two Tone.
J’ignore encore pourquoi cette chanson m’a touché à ce point, et ce jusqu’à maintenant. Je n’ai pas d’affection particulière pour les autres morceaux du groupe. Je détestais Forest Fire, et ça n’a pas changé. J’ai même préféré sa carrière solo, ou pouvoir discuter avec lui de Chelsea pour So Foot. D’ailleurs, c’est à peine si nous avions parlé musique. Le côté songwriter délicat ne m’a jamais véritablement ému, peut-être faute de savoir porter la mèche ou les chemises blanches déboutonnées. En fouillant désespérément, j’ai réalisé que je n’en avais même plus aucun en vinyle ni cd, que je ne pouvais plus les retrouver que sur Deezer. Toutefois Why I Love Country Music s’est imposé comme la bande-son de mon vague à l’âme adolescent alors que je découvrais ma passion pour le cognac et les films d’Axel Corti (dans un ciné de Strasbourg, peu de temps avant). J’aimerais pouvoir me justifier en racontant que ce titre avait accompagné une première grande déception amoureuse, malheureusement ma vie sentimentale ne m’a pas fourni une si élégante excuse. Par la suite, j’ai pu me dire occasionnellement que les paroles collaient à telle ou telle situation ou qu’un soir je finirais par déguster du (mauvais) vin espagnol en subissant des disques d’Hank Williams devant une femme de plus en plus distante. Finalement, je me suis rendu compte que j’étais très heureux de l’entendre chanter du Britney Spears avec des Irlandais au Dublin Castle à Camden. Mais ceci est une autre histoire…
