Stranger Teens #14 : « Long Hot Summer » par The Style Council

Tout l’été, les morceaux qui ont sauvé notre adolescence.

En fait, je n’ai rien à faire par ici. Car plus qu’une chanson, ce sont des mots qui ont « sauvé l’adolescence » qui était la mienne – une adolescence jusqu’alors d’une normalité confondante, albums Panini, bols de Nesquik au petit déjeuner (sans savoir pour Jacno évidemment), coups de soleil homériques, charts grand public, embonpoint perturbant et Biactol en tête. Des mots de Best, le mensuel ressuscité il y a peu sur fond de polémique, des mots qui m’ont donné envie d’en savoir plus, d’aller fouiner dans la discothèque de mon frère de neuf ans mon ainé, d’acheter un, puis deux, puis trois disques – car ces mots-là parlaient de groupes (The Jam  d’abord) et d’une culture (les mods, un monde et des codes complètement inconnus) n’ayant pas le droit de Cité à la radio française, radio qui était surtout celle de ma mère – Europe 1 et son vrai faux hit-parade de fin de journée. Des mots que j’ai lus à l’automne 1980 ou 1981, de retour d’une journée collège ponctuée par un arrêt à la Maison de la Presse de la rue de Montreuil, où j’ai choisi ce magazine-là sans même savoir pourquoi. En fait, ce n’est sans doute pas cette chanson que j’aurais dû choisir pour illustrer cet instant-là. Il aurait sans doute fallu choisir The Police, l’été 1980, le premier concert et au choix, Message In A Bottle, Roxanne ou Bring On The Night (plus que Walking On The Moon) – des morceaux que je connaissais déjà sur le bout des doigts et chantonnais en yaourt parce que j’avais eu les cassettes au Noël précédent et qu’elles tournaient en boucle bien avant de savoir tout ce qui se cachait derrière (Illegal Records, la CIA, le punk et un guitariste corse dans le rôle d’un Pete Best new-wave, Quadrophenia). Ou alors, il aurait peut-être fallu choisir l’un des morceaux qui s’échappait du juke-box de la salle de jeux de la Grande Plage, au pied de la montée qui menait à Etche Ona, à Pariès (l’adresse historique, occupée aujourd’hui par la Maison Adam – autant dire qu’on marche sur la tête), au Bookstore et à laquelle nous nous rendions en maillot et tee-shirt humides après des heures de morey boogie ou body surf pour dilapider l’argent d’été dans des parties de billard américain approximatives, des parties de flippers où il était plus souvent question de tilt que d’extra-balle et dans le juke-box donc – c’était je pense l’été 1982 et l’on choisissait souvent Just An Illusion, The Look Of Love et Kids In America.

Paul Weller / The Style Council dans le clip de « Long Hot Summer »

En fait, j’ai longtemps voulu parler d’In Between Days pour cette série-là. Mais cette chanson n’a pas fait basculer mon adolescence. Parce qu’alors – l’été 1985 –, la musique est déjà un lot quotidien, ou pas loin – cassettes à enregistrer, émissions de radio à écouter et de télé à regarder, VHS à visionner (avec arrêt sur image parce que “tu vois bien qu’il ne joue jamais de la guitare quand il chante !”), presse d’avant Les Inrocks à lire et relire, disques à chiner, surtout à Paris et un peu à Versailles… Mais c’est la chanson qui a définitivement sauvé (pour de vrai) Robert Smith – après, nous sommes d’accord, Let’s Go To Bed, The Walk ou The Lovecats – et surtout Simon Gallup de retour au bercail au bout de trois ans de purgatoire – après une rixe strasbourgeoise mais Étienne G. raconterait cela bien mieux que moi. C’est aussi la chanson qui a fait basculer pas mal d’adolescences je crois, la chanson qui, accompagnée par cet article de Libération sur le curieux festival d’Athènes de cet été-là (une chronique signée Bayon qui dit tout sans rien dire) lu sur la plage entre deux bouffées de Lucky,  m’a fait dire que quelque chose allait changer – en effet, le phénomène est devenu complètement dingue quelques semaines après et pratiquement plus grand chose n’allait être comme avant : les looks, les charts, la new-wave, la presse, le port de baskets blanches…

Oui mais voilà : Long Hot Summer est sans doute l’une des chansons que j’ai écoutée le plus depuis la date de sa sortie – en plein mois d’août, celui de 1983 –, mais bien sûr, je ne l’ai pas écoutée tout de suite, parce que l’été, j’étais à Biarritz avec des amis que je retrouvais à chaque fois au même endroit sans même s’être parlé de l’année (ils venaient de Toulouse, de Bergerac et même de Neuchâtel-en-Bray) mais des amis qui se moquaient de la musique – en dehors des quelques tubes de la radio et de la piste de danse de la discothèque du front de mer. Ils préféraient de loin jouer au billard ou au flipper, jouer au foot sur le sable dur, attendre les vagues et aussi les filles – avec à chaque fois, bien plus de succès que moi. Et puis, Long Hot Summer, c’est la chanson d’un de mes héros d’adolescence – bizarrement, vers 1982, je me suis entiché à la fois de Robert Smith et Paul Weller, de The Cure et The Jam, mais je crois que c’est une autre histoire –, une chanson qui fait que certains plaisirs ne sont en fait plus coupables car derrière le nom crédible, se trouvent les mêmes arrangements, les mêmes sons de synthé, les mêmes rythmiques alanguies que dans certains des morceaux auxquels on a tourné le dos en quelques mois – et ce n’est que bien des années plus tard, une fois le snobisme riquiqui définitivement éliminé (ou presque), que l’on glissera dans les playlists et autres articles cool des références comme Imagination, les productions de Trevor Horn et même Wham! (enfin surtout le premier album, faudrait pas exagérer non plus), un groupe au sein duquel Weller trouvera d’ailleurs choriste et femme en la personne de DC Lee… Mais Long Hot Summer, c’est aussi un clip au fort potentiel homo-érotique – Weller, toujours joueur, est alors assez content de chatouiller le machisme de nombre des fans de l’époque The Jam – qui pourtant n’ébranlera pas mon hétérosexualité. Enfin, Long Hot Summer, c’est des notes de pochette, celles qui ornent la compilation Introducing The Style Council et frapperont un imaginaire amoureux qui est encore à inventer : Long Hot Summer… will be coming out of portable trannies on beaches, while some of you fall in love for the first time, and while others will fall out of love for the last” (ce qui pourrait se traduire sommairement par : Long Hot Summer… s’échappera de radios portables sur les plages, alors que certains d’entre vous tomberont amoureux pour la première fois quand d’autres tomberont amoureux pour la dernière fois”). Ce sont ces mots parfaits – comme sortis d’un scénario d’un Rohmer nouvelle vague –, cette mélodie nonchalante, cette rythmique élastique et humide qui accompagneront le dernier été à Altea – celui de 1984 –, petite cité balnéaire peuplée de Madrilènes, d’Italiens et de Hollandais située à quelques kilomètres de Benidorm. Une cité balnéaire aux plages de galets et au soleil déjà brûlant qui loin de la surveillance parentale, m’aura vu dans le désordre fumer mes premières cigarettes, prendre mes premiers verres d’alcool un peu fort, faire mes premières virées en mobylette (toujours comme passager), dévorer mes premières empanadillas à 6h00 du matin de retour de boite de nuit, assister à mon premier festival (le Calpe Rock Music Festival – quel nom !) et oui, comme le prévoyait Paul Weller ou The Capuccino Kid, tomber amoureux pour de vrai– une jeune Espagnole du même âge aux cheveux châtain clair, qui portait un bikini jaune et faisait chaque jour des longueurs dans la piscine de la résidence pendant que je jouais au gars désinvolte allongé sur le sol brûlant du solarium alors que bien sûr, je ne la quittais pas de l’œil… Il y aura finalement des baisers (et un peu plus), des lettres de plusieurs pages, des photos échangées, quelques promesses non tenues et des rêves jamais réalisés. De ces rêves que les « shu du du du / du du du bop » de ce Long Hot Summer qui s’étire depuis près de 40 ans dans une langueur troublante ravivent à chaque fois.


Long Hot Summer par The Style Council est sorti le 8 août 1983 sur le label Polydor

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