Selectorama : Rustin Man

Rustin Man
Rustin Man / photo : Lawrence Watson

Après 17 années de silence radio depuis la sortie de son album avec Beth Gibbons, Rustin Man nous a gratifié de deux albums en l’espace d’un an. Enregistrés lors des mêmes sessions, ils se démarquent par des atmosphères différentes. Si Drift Code est un album dense et électrique Clockdust en est une variation plus aérée et cinématographique. Il aura fallu quinze ans à Paul Webb, l’ancien bassiste de Talk Talk, pour finaliser ces enregistrements. Lee Harris, dont il semble inséparable depuis la séparation du groupe en 1992, est venu lui prêter main forte sur quelques titres. Une grande variété influences musicales ont orienté son approche pendant ces années de travail. De Sigur Ros à Ministry, il revient en détail sur la majorité d’entre elles dans ce selectorama conséquent, et très riche en anecdotes.

01. Jet Harris, Main Theme For ‘The Man With The Golden Arm’

Jet Harris était le bassiste des Shadows à la fin des années 50. Il a quitté le groupe pour se lancer en solo. En 1962, il a enregistré cet instrumental magnifiquement arrangé. J’aime sa façon d’aborder les lignes de basses sur ce titre. Il arrive à imposer son jeu sans que les arrangements de cor ne prennent le dessus. Jet Harris a également enregistré ma version favorite de Chills & Fever de Johnny Love à cette époque.

02. Josephine Foster, Trees Lay By

Quelque chose dans la voix de cette femme me touche particulièrement. J’aime qu’elle sonne naturellement comme si elle venait d’un autre espace-temps quand elle chante. J’ai ressenti la même chose lorsque j’ai entendu Beth Gibbons pour la première fois.

03. Eddie Bo, Hook and Sling Part 1 and 2

Hook and Sling Part 1 and 2 sonne comme si Eddie Bo était le batteur le plus heureux au monde. Une sorte de célébration funk qui te donne immédiatement le sourire. Ce titre me replonge des années en arrière. C’est le type de musique underground que l’on écoutait dans les hangars abandonnés à Londres au début des années 80.

04. Sigur Rós, Sven-G-Englar

J’ai souvent entendu que Talk Talk avait influencé un bon nombre de groupes post-rock. Je n’ai jamais su ce que ces termes signifiaient, mais j’ai lu quelque part que Sigur Rós faisait partie de ce mouvement. J’adore l’atmosphère de ce titre. Il possède une puissance qui n’a pas été atténuée avec les années. Je ne suis jamais allé en Islande, le pays de Sigur Rós. Dans mon esprit c’est un endroit mystique, exotique, difficile à atteindre et qui se situe à l’autre bout du monde. J’imagine ce titre comme la bande-son de ce que je viens de décrire. J’espère avoir la chance de m’y rendre un jour.

05. The Flirtations, Nothing But A Heartache

Il m’a fallu des années pour réussir à comprendre la Northern Soul. Mais à force de nombreux étés passés à camper avec la famille de Steve Cradock, j’ai finalement réussi à percer le génie de cette musique. En plus d’être un musicien et producteur de talent, Steve est également un Dj de Northern Soul. Il m’a régulièrement offert des compilations incroyables. Il ne lui reste plus qu’à m’apprendre à danser.

06. Tom Waits, Martha

Peu de chansons m’arrachent des larmes, mais ce titre nostalgique sur un amour qui aurait pu naître mais n’a jamais vu le jour me fait pleurer à chaque écoute. Il est difficile de croire que Tom Waits n’avait que 23 ans quand il a sorti ce titre. Il faut avoir au minimum le double pour écrire un truc pareil. J’aime ses albums les plus abstraits, Bone Machine et Black Rider. Pourtant, je suis heureux qu’il ait enregistré cette chanson dans un style ouvertement classique avant de s’aventurer dans ses expérimentations. Cette composition est un bijou.

07. N’Gou Bagayoko, Kulu

Je ne sais pas grand-chose de ce disque. Je pense qu’il vient d’Afrique de l’ouest et que Ramatta Doussou est invitée à chanter dessus. Par contre, je suis certain que lorsque je mets ce disque sur ma stéréo, mes enceintes prennent vie et la pièce résonne d’un son magnifique et apaisant. J’aime la musique qui arrive à me calmer à ce point.

08. The Electric Prunes, I had Too much To Dream (last Night)

Quand nous avons fondé Talk Talk, Lee Harris et moi-même avons logé chez Mark Hollis pour une courte période. Nous n’avions aucun contact à Londres. Une fois les répétitions terminées nous passions une bonne partie de notre temps libre à écouter des disques. Un de nos préférés était la première compilation Nuggets, avec des titres psychédéliques enregistrés par des artistes américains entre 1965 et 1968. Ce morceau figure sur ce disque. Avant d’enregistrer les parties de guitare électrique pour mes albums solos je passe souvent ce titre des Electric Prunes pour me mettre dans l’ambiance. Je trouve la connexion entre le son des guitares sur I Had Too Much To Dream (Last Night) fantastique.

09. The Mills Brothers, Jungle Fever

Ce quartet vocal rencontrait un grand succès dans les années 30 et 40. Ils ont enregistré plus de 2000 chansons. Les harmonies sont toujours chaleureuses et intéressantes. Leurs arrangements vocaux m’ont inspiré lorsque j’ai enregistré Drift Code et Clockdust. Sur Jungle Fever, ils démontrent leur talent non seulement en chantant la chanson, mais en imitant les parties de cor en même temps. C’est incroyable.

10. Fela Kuti, Alu Jon Jonki Jon

Lors de l’enregistrement des albums de .O.rang avec Lee Harris, nous n’avons pas hésité à nous aventurer du côté des musiques du monde. C’était la première fois que nous assouvissions nos envies de rythmes exotiques et de percussions. Fela Kuti en est le maître incontesté. J’aime tellement le son du piano électrique, le cor, le chant et le sentiment de défi que dégage ce morceau. J’ai eu la chance de le voir une fois en concert. C’était à couper le souffle.

11. Raymond Scott, The Penguin

Les familiers des disques de Rustin Man l’auront remarqué, je n’hésite jamais à ajouter un peu de couleur à mes chansons en utilisant un cor quand nécessaire. Il est toujours agréable d’obtenir un tournant inattendu lors des arrangements avec cet instrument. Cet instrumental plutôt décalé de Raymond Scott le démontre du début à la fin.

12. Little John & The Monks, Black Winds

Il y a des chansons très simples qui donnent l’impression, en surface, que rien ne se passe. Pourtant, pour une raison inexplicable, l’ambiance dégagée est superbe. En tant que producteur, je trouve ce type d’enregistrement magique parce qu’il est impossible de comprendre comment un tel résultat a été possible. Je suis même certain que les gens qui créent ces morceaux ne le savent pas eux-mêmes. C’est comme si une portion de la production musicale échappait à tout contrôle. Il faut se retrouver avec les bonnes personnes au bon moment, au bon endroit, dans la bonne ambiance. Encore aujourd’hui, je trouve l’imprévisibilité des enregistrements fascinante.

13. Ministry, Jesus Built My Hot Rod

Il m’arrive d’avoir besoin de me vider l’esprit musicalement. Pour ce faire je l’anéantit complètement. Le solo de guitare au milieu de ce titre est l’exemple ultime de rock and roll diabolique. Ça fait son effet à chaque écoute. Je dois head banger avec précaution ces jours-ci car j’ai peur d’avoir une attaque cardiaque. J’ai besoin de vingt bonnes minutes de repos une fois la dernière note de ce titre jouée.

14. Gina X, No G.D.M

Au début des années 80, avant de déménager à Londres, Lee Harris et moi-même habitions Southend. Culturellement parlant, c’était un endroit super pour passer son adolescence. Il y avait des lieux pour écouter de la musique Mod, de la soul, du reggae ou de la musique plus électrique chaque soir de la semaine. La scène live était également développée. Les soirées électroniques se tenaient le vendredi. C’était excitant car nous avions l’impression d’écouter une nouvelle forme de musique destinée à un monde en plein changement. Ce morceau plus qu’aucun autre me rappelle cette période. Je dois avouer qu’il sonne toujours moderne à mes oreilles.

15. Jonny ‘Guitar’ Watson, Space Guitar

Ce disque a été enregistré en 1954. La reverb est tellement bien utilisée sur la guitare que l’on jurerait que ce titre est plus récent. Étonnamment, ce single est passé inaperçu à l’époque. Johnny Guitar Watson a rencontré du succès bien tard, dans les années 70, en tant qu’artiste funk. J’ai utilisé plus de reverb sur Clockdust que pour mes autres disques. C’est parce que j’ai découvert Space Guitar il y a quelques années.

16. Lee Scratch Perry, Cricket On The Moon

J’ai passé toute ma vie adulte au son de la musique de Lee Perry et Adrian Sherwood. Ils ont été tous les deux auteurs de la bande son de journées mémorables. Ecouter l’album Rainford pour la première fois m’a rendu si heureux. Il est stimulant de savoir qu’à plus de 80 ans, Lee Perry produit encore de la musique de qualité. Idem pour Sherwood qui est au top de sa forme et en plein contrôle de son art. Ils sont tous les deux comme du bon vin ayant atteint la perfection avec le temps.

17. The Selah Singers, Down Here I’ve Done My Best

Je ne suis pas quelqu’un de religieux. Il n’y a pas plus athéiste que moi. Cela dit, l’art le plus puissant et magnifique, de la musique à l’architecture, a souvent été créé au nom de Dieu. J’écoute du vieux gospel depuis des années. Ce n’est jamais l’aspect religieux qui m’attire vers ce style. Mais ce sont plutôt le son et le besoin d’humanité nécessaire pour atteindre le monde spirituel que je trouve magnifique.

Drift Code et Clockdust de Rustin Man sont disponibles chez Domino Records.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *