Après Dream Loser (2017) et Don Idiot (2019) – albums remarquables que nous avions évoqués à l’occasion du Selectorama réalisé par Pierre Donadio -, le punk romantique normand exilé à Paris revient avec le superbe Cent Détours. Enregistré à l’automne 2020 au Studio Capitola par le précieux Nicolas Brusq – qui avait déjà fait des merveilles sur l’album précédent – s’impose à son tour comme un petit bijou, dont on ne cesse de découvrir les détails à chaque nouvelle écoute. On entre dans ce disque comme dans une maison un peu bordélique, où les cendriers de la veille n’ont pas été vidés et où les cadavres de bouteilles sont encore posés ici et là, mais dans laquelle on se plaît à passer de pièce en pièce, irrésistiblement charmés par la beauté du lieu et la personnalité de celui qui l’occupe. Continuer la lecture de « Don Idiot, Cent Détours (autoproduit) »
Catégories mardi oldie
Bill Drummond, The Man (Creation, 1986)
Alors que le monde occidental vient de célébrer dans une liesse d’une droiture morale rarement atteinte depuis la libération le septante douzième anniversaire de Jonathan Richman (qui n’en a cure, car ayant toujours seize ans dans sa cabeza), je me suis souvenu, non sans émotion, d’un disque où figurait ce morceau, I’m The King Of Joy, qu’on peut décemment qualifier de « plus grand morceau de Jojo que Jonathan n’a pas écrit ». Or ce disque n’était pas The Man, improbable tentative solo du futur KLF Bill Drummond, mais bien une des innombrables compilations Creation qui sortaient naguère en rafale*. Complètement abasourdis par cette chanson intouchable, qu’on écoute derechef. Continuer la lecture de « Bill Drummond, The Man (Creation, 1986) »
Catégories chronique nouveauté
The Lemon Twigs, Everything Harmony (Captured Tracks)
Quand Mike Sniper a monté Captured tracks, il a vendu une partie de sa collection de disques rares de powerpop. Aujourd’hui, le label new-yorkais publie l’un des meilleurs disques dans le genre de ces dix dernières années. Après trois albums chez 4AD, les Lemon Twigs rejoignent le label nord-américain et publient Everything Harmony. Depuis leurs explosions médiatiques en 2016, nous savions les frères Brian et Michael D’Addario particulièrement doués. Pourtant, il leur manquait parfois un soupçon de simplicité, ou simplement de savoir un peu mieux gérer leur énergie. Ces certitudes volent désormais en éclat. Continuer la lecture de « The Lemon Twigs, Everything Harmony (Captured Tracks) »
Catégories interview
Kate Stables (This Is The Kit) : « J’adore l’effet que le rythme a sur moi »
Depuis ses débuts, il y a déjà une quinzaine d’années, Kate Stables n’a eu de cesse d’explorer les confins d’une musique dans laquelle les trames folks originelles se mêlent désormais de rythmes complexes et variés, de colorations harmoniques inattendues et, souvent d’arrangements de cuivres sobres et pertinents. Careful Of Your Keepers, sixième album de la britannique – parisienne d’adoption – et de son groupe, prolonge et intensifie le sentiment de surprise et de ravissement déjà éprouvé à l’écoute des épisodes les plus récents. D’abord parce qu’on y relève au générique la présence inattendue de Gruff Rhys, dans un rôle de producteur attentif et discret, manifestement capable de magnifier un univers musical qui semblait assez distant du sien. Surtout parce que ces comptines poétiques et parfois biscornues laissent transparaître, au fil des écoutes, un sens admirable de la mesure et de l’équilibre entre une voix et des instruments qui dialoguent en contre-point, à la fois dans la proposition singulière et l’attention respectueuse aux détails et aux nuances. Continuer la lecture de « Kate Stables (This Is The Kit) : « J’adore l’effet que le rythme a sur moi » »
Catégories objets du délit
Objets du délit #1 TrrrNctrn, Exodus Sexus vs Blason, Tina Thorner
Des objets musicaux comme s’il en pleuvait dans ma boîte aux lettres…
A l’heure de la démat’ généralisée et des intérieurs feng-shui bois cramé, béton lisse, du plastique-ça-n’est-plus-trop-fantastique, c’est un peu la grosse shame de continuer d’entasser des trucs qui serviront, en gros, à prendre la poussière sur les étagères de nos souvenirs. Collectionner est même devenu un gros mot, on s’en défendrait. Et pourtant, dans l’échange à micro-échelle de ces petits fétiches, se joue quelque chose de la constitution de notre mémoire vive qui peut échapper encore un temps à l’archivage méthodique d’une intelligence plus artificielle. Se joue aussi le rapport à l’autre, la preuve de l’intérêt, l’envie d’échanger, la musique, son support, puis la parole, l’écrit qui va avec, le commerce. Et l’autre, derrière tout ça. Continuer la lecture de « Objets du délit #1 TrrrNctrn, Exodus Sexus vs Blason, Tina Thorner »
Catégories selectorama
Selectorama livres : Adrien Durand (Le Gospel)
Si les professionnels de la profession connaissaient son nom pour ses activités de journaliste passionné de musique pointue et attaché de presse auprès de labels indés ou de manifestations musicales de qualité comme la Villette Sonique première version, Adrien Durand a mené sa barque en navigant vaillamment dans des sphères plus indépendantes, comme avec son projet Le Gospel, brillant fanzine DIY qui explore autant la musique que le cinéma ou la littérature. Devenue depuis également maison d’édition (nous vous avions déjà parlé de L’Histoire secrète de Kate Bush (& l’art étrange de la pop) de Fred Vermorel et des Heures défuntes d’Alice Butterlin ici), il poursuit également une analyse intime de ses passions à travers plusieurs livres au format poche comme et Je suis un loser, Baby et Je n’aime que la musique triste, donc ce troisième essai, Tuer nos pères et puis renaître, pourrait être logiquement la suite de son voyage en terres de l’underground et des contre-cultures. Ni Gonzo, ni autofiction, il évoque quelques figures tutélaires qui l’ont marqué, de Al Pacino à J.D. Salinger, en passant par Karen Dalton, Gram Parsons, Vincent Gallo, Richard Hell ou John Cassavetes. Avant la sortie de son premier roman à la rentrée, Cold Wave (Othello/Le nouvel Attila), il a choisi pour nous quelques pierres blanches parmi ses lectures. Continuer la lecture de « Selectorama livres : Adrien Durand (Le Gospel) »
Catégories chronique nouveauté
The Kingfishers, Reflections In A Silver Sound (Last Night From Glasgow/Creeping Bent Records)
Toutes les chansons que l’on écoute transportent depuis longtemps une lourde part d’histoire et il s’agit de continuer à les apprécier avec elle. Ou malgré elle, c’est selon et ce n’est pas vraiment le débat du jour. Parmi toutes les manières de s’engouffrer dans les interstices qui fissurent les couloirs du temps musical pour y dénicher un plaisir joyeusement émancipé des fantasmes de la modernité innovante, celle-ci est sans doute l’une des plus originale et des plus appréciable. Et qui consiste à semer la rétromanie et la culpabilité qui lui colle trop souvent aux basques en louvoyant quelque part entre les rayons des rééditions – les albums de 1983 dont on fête légitimement le quarantième anniversaire – et ceux des disques de jeunes qui plaisent aux vieux – les albums de 2023 qui auraient pu être enregistrés quarante ans plus tôt. Reflections In A Silver Sound se faufile entre ces catégories familières et c’est loin d’être son seul mérite. Sans doute le seul grand album de 1983 entièrement enregistré en 2023. Continuer la lecture de « The Kingfishers, Reflections In A Silver Sound (Last Night From Glasgow/Creeping Bent Records) »
Catégories Chronique en léger différé
Benny Sings, Young Hearts (Stones Throw, Sing Records)
Benny Sings, de son vrai nom Tim Van Berkestijn, sillonne les eaux internationales de la musique pop depuis une vingtaine d’années. Après une expérience de bassiste au sein du groupe hip hop Abstract Dialect, il prend son envol en solo en 2003. Depuis, le Néerlandais a sorti une dizaine d’albums. Sa carrière a pris une nouvelle dimension en 2018 avec City Pop. L’album marque le début de sa collaboration avec la structure indépendante Stones Throw. Le label, figure majeure du rap indépendant des années 90/2000 (J Dilla, Madlib, MF DOOM) a ajouté une corde à son arc en signant de nombreux groupes de pop. Benny Sings côtoie ainsi Mild High Club, Jerry Paper mais aussi Stimulator Jones ou Pearl & The Oysters. Continuer la lecture de « Benny Sings, Young Hearts (Stones Throw, Sing Records) »