Ollie Halsall, Lovers Leaping (1979, Think Like A Key Records)

Ollie Halsall – Lovers LeapingS’évanouir pour mieux revenir. C’est curieux comme les fantômes qui nous hantent le plus intensément sont ceux qui pratiquaient déjà, lors de leur passage terrestre, une forme d’effacement préliminaire. La disparition progressive avant la mort, comme pour ménager une phase de transition aux vivants, mieux les préparer à être hantés sur le long terme. « Barrett, Walker, Drake«  énumérait autrefois Martin Phillips de The ChillsSong For Randy Newman (1992). Chacun poursuivra l’inventaire comme il lui convient. Lorsque Ollie Halsall est mort à Madrid, le 29 mai 1992, il n’avait évidemment laissé derrière lui aucun testament musical qui lui permette de prétendre accéder à la dimension mythologique des figures susmentionnées. A quarante-trois ans, il est sans doute déjà trop tard pour abandonner aux embaumeurs de légende un cadavre vraiment présentable. Et pourtant, il subsiste dans les jalons hétéroclites de la non-carrière de ce guitariste anglais sous-estimé – cité en référence à la fois par Rick Nielsen de Cheap Trick ET par Andy Partridge de XTC : voilà qui vous pose une momie, et pas qu’un peu –  suffisamment de matière pour entretenir bien davantage que les souvenirs nostalgiques ou les regrets rétrospectifs d’une poignée d’érudits. C’est ce que confirment en ce début d’année deux rééditions simultanées et bienvenues.

Patto
Patto

La première apparaît comme une simple confirmation, à l’instar d’une piqure de rappel : indispensable mais pas complètement surprenante. Il s’agit du coffret contenant les œuvres complètes de PattoGive It All Away, The Albums 1970-1973 (Esoteric Recordings) – qui rassemble les quatre albums (trois en studio et un live) du groupe le moins méconnu de tous ceux, et ils sont nombreux, avec lesquels Halsall a collaboré. On pourra néanmoins se réjouir d’y retrouver – ou, bien sûr, d’y découvrir – quelques-unes des plus belles pièces musicales de ces années de transition où la plupart des musiciens britanniques tentent tant bien que mal de grandir, en cheminant à tâtons vers un horizon mal défini. Comme tant d’autres, Halsall et ses acolytes ont débuté très jeunes dans les années 1960 et sont, au fil du temps, devenus d’excellents musiciens. Ils essaient de jouer à la hauteur de leurs capacités du moment, de préserver une partie de leurs racines tout en tordant à leur manière le carcan désormais trop contraignant du blues-rock. Ils en rajoutent un peu, mais pas trop. Il y a quelques longueurs, bien sûr. Mais se lamenter d’entendre des longueurs sur un album enregistré au début des années 1970 est à peu près aussi pertinent que de déplorer les maladresses sur un morceau punk en 1977 : ce n’est pas faux, comme dirait l’autre, c’est simplement hors de propos. On écoute ou on n’écoute pas mais, une fois tranché, le choix doit être assumé. En l’occurrence, il s’est toujours avéré payant, notamment sur les deux premiers albums – Patto (1970) et Hold Your Fire (1971).

On y entend un mélange, partiellement maîtrisé et c’est tant mieux, de rock assez basique et de digressions instrumentales souvent passionnantes qui se rapprochent de l’univers du jazz. Une sorte de Free vraiment libéré ou de Faces progressif. C’est que, contrairement à ses concurrents les plus pénibles de l’époque, Patto donne toujours l’impression de se concentrer sur sa musique davantage que sur les profits narcissiques que pourraient lui procurer l’impression de la jouer avec compétence. Y compris dans les moments les plus bavards, il règne donc ici une atmosphère de camaraderie alcoolisée et de nonchalance bonhomme qui préserve de toute tentation excessivement virtuose. Halsall y est pour beaucoup qui balance ses solos sans ostentation inutile ni exhibition technique, toujours soucieux d’y glisser quelques détails innovants, de ceux qui donnent à l’auditeur l’impression salutaire de ne pas savoir où l’instrumentiste accompli cherche à le conduire. Ses pairs ne s’y trompent pas qui le sollicitent pour son agilité digitale et sa discrétion. Peu après la fin de Patto en 1974, il apparaît ainsi sur la shortlist des remplaçants potentiels de Mick Taylor au sein des Rolling Stones. Quatre ans plus tard, il est également casté pour incarner un des quatre Rutles dans le simili-documentaire du même nom avant que la production n’impose la présence d’Eric Idle, plus aisément reconnaissable il est vrai, à l’écran. Dépourvu du moindre talent opportuniste, il se contente donc d’enchaîner les collaborations guidées par les rencontres et les amitiés – Kevin Ayers, notamment, qu’il rejoindra en Espagne au début des années 1980 et qu’il accompagnera sur scène jusqu’à son trépas.

Ollie Halsall
Ollie Halsall

C’est de l’une de ces brèves associations amicales qu’a fini par resurgir, début 2021, le second volet de ces rééditions. Longtemps conservées dans ses archives poussiéreuses par son camarade de jeu John Otway, les démos qui constituent la trame de Lovers Leaping avaient déjà été publiées une première fois en 1999 sous le titre de Caves et depuis longtemps épuisés. Les douze chansons ont été enregistrées par Halsall en 1979 à domicile, avec les moyens très précaires du bord et sans interférence extérieure – il joue de tous les instruments, piano, basse et batterie compris. Rassemblées sous forme d’un condensé d’une trentaine de minutes, elles constituent l’antithèse imparfaite et attachante de tous les stéréotypes communément associés à un album solo de guitariste. Pas la moindre trace résiduelle de virtuosité dans ces compositions un peu bancales, comme si Halsall avait dû consentir à se mettre en retrait de lui-même pour toucher à l’intime. Derrière les lacunes techniques de certaines prises de son, on découvre un songwriter humble mais très doué, qui assume à la fois les réminiscences de son passé rock – Hey, Hey, Little Girl ou Crazy When I Fall In Love – et ses envies de mélodies pop limpides à la McCartneyTravelling Show, Come On, Let’s Go. On pense à Ronnie Lane, bien sûr, et à Nick Lowe aussi – plus étonnant – pour cette attention oblique portée à ses propres chansons, ces faux-airs d’indolence et d’absence d’attention aux détails superflus. Il n’y a, en tous cas, nulle intention revancharde de façonner pour la postérité un chef d’œuvre monumental. Trop modeste pour prétendre à la canonisation posthume, Halsall s’est donc contenté, pendant les treize dernières années de son existence, de laisser la poussière s’accumuler sur ces bandes dont on devine, entre les lignes, qu’elles devaient pourtant lui tenir à cœur. Confidentiellement exhumée, elles constituent pourtant la meilleure occasion de rendre un hommage appuyé et sincère à cette figure éternellement attachante du renoncement.


Lovers Leaping de Ollie Halsall est disponible chez Think Like A Key Records.

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