Les Marquises, Soleils Noirs (Les Disques Normal)

Je ne retiendrai rien de ce départ

Soleils noirs, le cinquième album des Marquises, est sorti vendredi dernier, et il ne semble pas exagéré de dire qu’il s’agit du disque le plus aventureux, le plus radical (et là le terme de radicalité très souvent utilisé à tort et à travers semble approprié) du collectif lyonnais ou, devrais-je dire pour être plus exact, de Jean-Sébastien Nouveau, cette fois seul maître à bord ou presque. Presque car les deux longues compositions de vingt minutes chacune sont traversées par les nappes de violon de la musicienne Agathe Max. Il faut prendre le temps d’écouter ce disque élégiaque tranquillement et d’une traite- c’est préférable- car une écoute inattentive pourrait faire croire que les deux morceaux se ressemblent ou sont trop proches. Proches ils le sont dans la tension qui les parcourt, et pourtant il me semble que l’un est l’envers de l’autre.

Jean-Sébastien Nouveau / Les Marquises
Jean-Sébastien Nouveau / Les Marquises

Le premier titre, L’Etreinte de l’Aurore, porte bien son nom et se déplie dans une belle et inquiétante évanescence, une abstraction qui hypnotise, abstraction toute relative car Jean-Sébastien parvient à nous faire entendre les éléments, des éléments aériens, une brume matinale, l’aube qui se lève, le vent. Dans les cinq dernières minutes de ce premier morceau, on ne perçoit qu’un souffle et quelques voix féminines. Ce disque sans paroles est aventureux et marque une nette rupture avec le précédent, La Battue, qui avait des atours presque pop. Pourtant le son et la marque des Marquises apparaissent, notamment dans la manière qu’a Jean-Sébastien de construire un morceau, par strates, par empilement de strates et là encore une écoute inattentive ne nous permettrait pas de ressentir les discrètes variations qu’il imprime à sa composition.

Après le long silence de qui clôt L’Etreinte de l’Aurore surgit le deuxième titre du disque, Le Sommeil du Berger, plus rythmé que le précédent, proche une nouvelle fois de la musique expérimentale et de l’electronica. Les vingt minutes ne sont pas de trop pour laisser ce rythme se déployer. Le début reprend ainsi les motifs du premier titre pour bifurquer vers quelque chose de plus terrien, de presque tellurique, et c’est en cela qu’il est l’envers plus matériel du premier. On a souvent qualifié la musique des Marquises de cinématographique, et sur Soleils Noirs elle l’est à son plus haut degré. On peut imaginer ce berger, l’esprit rêveur, arpentant sa montagne, la nuit plutôt qu’à l’aube, et nous sommes comme lui traversés d’images oniriques.

Photo : Sébastien Berlendis

L’onirisme, la rêverie dessinent aussi l’ambiance de L’Ailleurs, single qui ne figurera pas sur la version vinyle de l’album. Format resserré cette fois, trois minutes et quelques mais vertige toujours assuré. Dans ce morceau composé avec Martin Duru, le grand complice de Jean-Sébastien depuis leurs années adolescentes, le groupe revient à une instrumentation plus acoustique, là un violoncelle, quelques cordes pincées, là les touches du marimba. Retour également de la voix blanche et pourtant très habitée de Jean-Sébastien. L’ailleurs n’est pas tant un éloge du départ que de la dérive, de l’attrait des gouffres, de l’éloignement des rives, de la plongée à l’intérieur de soi. Et tout cela se trouve non pas illustré mais plutôt magnifié par un clip réalisé par Jean-Sébastien Nouveau. Dans un noir et blanc très gris, parfois rehaussé par une solarisation inattendue, et en un plan qui semble unitaire, un homme nage, au petit matin, se débat au milieu des flots, est au bord de la noyade. Est-ce la mer ? Est-ce un fleuve ? Parviendra-t-il à se hisser dans le bateau qui vient à sa rescousse et lui tourne autour ? Le texte très beau de Jean-Sébastien colle à l’image de cet homme. Il est au seuil des rives, un fleuve s’étire en lui, le bras qui l’enlace laisse toute trace ailleurs. Le titre et le clip sont construits comme une boucle dans laquelle nous avons plaisir à nous perdre, l’expérimentation est faite avec délicatesse, l’hypnotisme toujours au rendez-vous.


Soleils noirs par Les Marquises, et le single L’Ailleurs viennent de sortir chez Les Disques Normal.

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