Jad Fair & Samuel Locke Ward, Happy Hearts (Kill Rock Stars)

Jad Fair Samuel Locke WardAprès avoir enregistré la bagatelle de 180 albums – en solo ou sous la bannière de Half Japanese-, et interprété au moins 2000 chansons, Jad Fair avait-il encore besoin de sortir un nouveau disque ? Pour être honnête, même les fans les plus acharnés auront ces derniers temps peiné à suivre les pérégrinations musicales de leur héros, tant sa cadence stakhanoviste de production est devenue infernale (une centaine d’albums en 2021, rien que ça). Mais voilà que l’outsider le plus prolifique de l’histoire de l’indie rock revient avec Happy Hearts, un nouvel album primesautier et diablement cool sorti chez Kill Rock Stars, qui s’impose déjà comme l’une des belles surprises de l’année 2023.

Jad Fair et Samuel Locke Ward
Jad Fair et Samuel Locke Ward et leurs petits potes à poils (sur Brooklyn Vegan, on a pas réussi à ne pas partager)

On connaissait le goût de Jad Fair pour les collaborations – avec Moe Tucker, Daniel Johnston, The Pastels, Yo La Tengo, Teenage Fanclub, R. Stevie Moore, The Lovely Eggs et bien d’autres encore. Cette fois c’est à la demande de l’obscur Samuel Locke Ward, artisan DIY basé à Iowa City qu’il a accepté de se lancer dans une nouvelle aventure sonique à quatre mains. En composant chacun une chanson par semaine, les deux compères sont parvenus à accoucher de 17 titres éclectiques, légers et ensoleillés, sur lesquels on retrouve ce grain de folie un peu enfantin que Jad Fair possède en commun avec Jonathan Richman. Fair et Ward semblent s’être amusés comme des petits fous à donner le jour à ce disque qui rayonne d’une bonne humeur communicative. Côté textes, alors qu’il s’achemine vers les 70 ans, Jad Fair ne parle joyeusement que d’amour, de célébration de la vie, de toutes les bonnes choses de l’existence, avec cette éternelle voix de gamin un peu perché qui fait tout son charme. On est heureux de voir que Jad Fair n’a rien perdu de sa verve et de son inspiration, et de se dire qu’il existe encore des labels comme Kill Rock Stars, capables d’héberger des extra-terrestres de son acabit.

Le disque commence sans payer de mine avec I Have A Feeling, sorte d’hymne à l’amour déclamé en spoken word, sur fond de choeurs beachboyesques artisanaux. S’ensuit Fate is on Our Side, authentique tube noisy pop à base de tatapoum rythmique et de chant hystérique à la Free Kitten. On change radicalement d’atmosphère avec Happy Hearts, friandise pop sautillante, avec son basse-batterie inspiré des Supremes et ses paroles romantiques. L’übercool Love is in Charge empiète allègrement sur les plates-bandes des Violent Femmes tandis qu’Over My Head se plaît à revisiter les codes des ballades sixties en y ajoutant des sonorités plus synthétiques, comme se plaisait à le faire Angelo Badalamenti. On prend un virage à 180° avec It’s a Hit, cocktail Molotov sonnant comme une collaboration Sebadoh/ Stooges, et Us, dont les deux accords noyés dans la distorsion et la batterie dépouillée et moetuckeresque évoquent l’univers des Jesus and Mary Chain.


Le disque change à nouveau de cap avec Donuts, une chanson plus calme, jouée à la guitare classique, dédiée à la gloire des célèbres pâtisseries sucrées, qui semble mélanger l’univers de Leonard Cohen et de Jonathan Richman, mais avec Tom Verlaine au chant. Si What’s where you are persiste dans la veine richmanienne, The Bluebird revient au punk le plus basique, dans un style qui n’aurait pas déplu à feu Jay Reatard. Avec l’excellente I Wrote a Poem on se retrouve face à ce qui pourrait être un tube des Pixies période Come on Pilgrim, ou à une version lo-fi de Weezer première époque. On se bidonne au passage à l’écoute des paroles de cette chanson d’amour : I like pizza, and I like chocolate donuts, and I like you even more. S’ensuivent quelques morceaux franchement déjantés comme Knocking ou Your Sweet Heart rappelant les délires expérimentalo-bordéliques de Zappa et Captain Beefheart.

Sur Dream Come True, Jad Fair et Samuel Locke Ward n’hésitent pas à sortir les synthés vintage pour pondre un titre étrange et un peu glauque qui ne dénoterait pas dans un film de David Lynch. Our Dream, avec son style inclassable mais son riff de guitare imparable, sa batterie syncopée et ses suspensions bien senties, montre encore l’aisance naturelle de Jad Fair dans la maîtrise du spoken word. L’album se clôt sur la très inspirée Celebration, ode à la vie dans un style qui peut faire penser à du Robert Pollard repris par Pavement. Et si on ne devait conserver qu’une seule phrase tirée des textes de Happy Hearts afin de d’illustrer l’atmosphère de l’album, on choisirait ce passage de Celebration : Stand up and jubilate.

Bref, sur ce disque en roue libre, aussi hirsute que la chevelure de Jad Fair mais à la fraîcheur délectable, se mélangent avec bonheur les influences les plus variées, des sixties, voire des fifties en passant par le rock bruitiste, le punk, l’expérimental, et même la pop synthétique. Si le titre honorifique de Teenager Of The Year jadis revendiqué par Frank Black devait être décerné à quelqu’un en 2023, ce serait bien à ce vétéran de l’indie rock qu’est Jad Fair.

PS : Pour ceux qui n’auraient pas écouté Jad Fair de puis longtemps ou qui l’auraient négligé ces dernières années, on ne saura que trop conseiller d’aller se pencher sur le double best-of de Half Japanese sorti en 1995 sur lesquels on retrouve des merveilles comme One Million Kisses, This Could the Night ou Daytona Beach.


Happy Hearts par Jad Fair & Samuel Locke Ward est sorti sur le label Kill Rock Stars.

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