Gnac, The Echoes On Departure (Vertical Features)

Dans l’histoire des musiques modernes, le statut de musicien culte est – si ce n’est enviable – bien souvent envié. Parce qu’après tout, combien auraient finalement préféré ne jamais (mais vraiment jamais) tutoyer le succès et les ors des majors pour mieux rester dans le périmètre du cool et se voir désigné par leurs pairs (et leurs descendants) figure tutélaire sans plus aucun risque de date de péremption ? Il y en a quelques-uns bien sûr, mais le premier qui (me) vient à l’esprit est peut-être Guy Chadwick, un Monsieur Tout le Monde ayant raté son rendez-vous néo-romantique avant de devenir un de ces orphelins du Velvet et damer le pion à ses copains Peter Astor et consorts en approchant le presque grand succès avec des chansons aux titres parfois désespérants – Beatles And Stones, quand même – et une deuxième version ratée d’un premier single qui avec le recul aurait peut-être dû rester le seul disque de The House Of Love – tant qu’à être culte, autant viser haut… Alors voilà, Guy Chadwick ne sera plus jamais Lawrence ou Vini Reilly, et plus rien ni personne n’y pourra rien changer.

Mark Tranmer
Mark Tranmer

Mais en marge  de tout cela, il existe une autre voie, celle qu’empruntent des artisans à la passion indestructible, qui se moquent éperdument du quand dira-t-on, de la gloire factice ou authentique, des pages des magazines, des ondes des radios, des louanges des webzines et des enjeux du streaming. Ce sont des amateurs, dans le sens le plus noble du terme. Mark Tranmer est de ceux-là, un Anglais de York au CV plus que parfait sur l’échelle de l’Internationale Pop. Depuis près de 30 ans et après des débuts sur scène avec St Christopher, le gars sort des disques en très bonne compagnie ou en solitaire, des disques qui de près ou de loin ont tous donné ses lettres de noblesse au joli mot de mélancolie. “Glad to be sad” ? Un peu sans doute, avec entre autres le regretté Roger Quigley derrière le nom de The Montgolfier Brothers – signataire de la plus belle des chansons de rupture sans retour, The World Is Flat, un cas d’école pour qui veut un jour chanter ou écrire sur les amours déchues – mais aussi avec le leader de The Orchids James Hackett au sein de Vetchinsky Settings, auteur d’un album à ce jour unique, Underneath The Stars, Still Waiting – un titre parfait au diapason d’un disque qui ne l’est pas moins – ou l’insaisissable Ian Masters, un pâle saint avec lequel il a enregistré une poignée de chansons  sous le nom de Wingdisk. Lorsqu’il est seul, Mark Tranmer se cache le plus souvent derrière le nom de Gnac*, emprunté parait-il à une nouvelle d’Italo Calvino et qu’il faut prononcer – insiste-t-il – comme le « gnac » de « cognac » – exactement le genre de précision qui nous rend sympathique pour la vie la personne qui en est la responsable.

The Echoes On Departure est le septième album de Gnac*, un projet que Tranmer a longtemps mis entre parenthèses avant de le ressusciter après que la face B de son premier single, The Broken Fall, ait été choisi en 2019 par Bob Stanley et Tim Burgess (pas de hasard entre gens de bonne compagnie) pour la compilation Tim Peaks – Songs For A Late-Night Diner – un sous-titre qui lui aussi dit déjà beaucoup. Car ici, rien n’est choisi au hasard et tout concourt à inviter l’auditeur à se lancer dans un jeu de pistes imaginé un sourire au coin des lèvres par Tranmer. Alors, tout pourrait commencer au Crépuscule, quelque part entre Manchester et Birmingham, puis se poursuivre dans le Paris du début du XXe siècle avant de se perdre dans des ruelles andalouses, sous le soleil exactement – ou plutôt, à la pénombre du soleil. Tout ce que vous auriez pu lire jusque-là au sujet des chansons de Gnac* est sans doute vrai et celles de ce disque paru l’an dernier à l’avènement du printemps ne font pas entorse aux diverses légendes. Alors, les ombres de Satie et Reilly planent souvent sur ces mélodies haïku interprétées en clair obscur – claviers, guitare électrique et acoustique , échos de boite à rythmes–, celles de Mertens, Morricone et De Roubaix aussi. Ces vignettes instrumentales ravivent des souvenirs inconnus comme autant de cartes postales aux couleurs sépia, bandes originales de courts-métrages qui n’ont jamais été filmés alors que la voix élégante de Kathleen Stosch résonne sur Betweenness et Until The Heart Stops, un autre titre qui dit beaucoup sans rien dévoiler, à l’image de la pudeur étourdissante de cette musique de chambre post-pop. Un chambre où, bien sûr, les volets resteraient souvent mi-clos.


The Echoes On Departure par Gnac* est sorti chez Verticla Features. Mark Tranmer sera en avril en concert quelque part en France, à la mi-avril, avec Vetchinsky Settings.

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