En 2022, des miracles ont encore lieu dans les chapelles. J’en ai été témoin d’un, samedi soir, à Metz.
En pénétrant dans la cour de la chapelle des Trinitaires, au moment où les balances viennent de commencer, j’ai la surprise d’entendre les premiers accords de Heaven Boulevard, un extrait du deuxième album de Diabologum lors duquel les noms de célébrités décédées sont énumérées. Depuis quand n’ai je pas réécouté Heaven Boulevard ? Certainement depuis la dernière fois où j’ai vu Diabologum – première mouture – en concert, ce qui me renvoie aux Herbiers, espace d’Herbauges, en 1994.
C’est Françoiz Breut qui, en postant il y a quelques jours sur Instagram une interprétation de L’Écho de Dominique A., m’a décidé. J’ai pris un billet aller-retour pour Metz afin d’aller assister à Aucunes funérailles à l’horizon, ultime pièce d’un puzzle sur lequel Renaud Sachet s’acharne depuis quatre ans : proposer une histoire orale du label Lithium, dans la lignée du travail effectué il y 25 ans par Gillian McCain et Legs McNeil et qui a mené à la parution de Please Kill Me, somme définitive sur le punk rock américain. La comparaison avec Les années Lithium peut paraître prétentieuse : mais la somme d’entretiens menée par Renaud et ses limiers n’est – à son échelle – pas moins impressionnante par sa rigueur et sa volonté d’être exhaustive.
Mais ce qui ressemblait à un point final est devenu un point virgule. Sur l’impulsion du Hiero à Colmar, une résidence se dessine, au casting inédit : Michel Cloup et Julien Rufié (Michel Cloup Duo), Anne Tournerie et Pierre Capot (aka Bambi et Woody de la première mouture de Diabologum), Pascal Bouaziz (Mendelson), Françoiz Breut, tou.t.e.s musicien.ne.s signé.e.s sur le label Lithium, et rejoints par les membres du groupe Sinaïve. Une semaine de répétitions et deux concerts à la clé : au Grillen (Colmar) et aux Trinitaires (Metz). Colmar, creuset de projets artistiques que même la capitale jalouse : ceux qui n’ont pas assisté à la résidence Herman Dune au début des années 2000 s’en mordent encore les doigts (et j’en fais partie).
Il y a quelques années, une proposition autour du label Lithium s’était déjà dessinée : Generation X (ou autre chose). Une soirée, quatre groupes : Françoiz Breut, Michel Cloup Duo, Bruit Noir et Perio. Quatre sets résolument tournés vers le présent : chacun interprétait son répertoire actuel. Je me souviens que j’avais été déçu : les concerts avaient été à la hauteur, mais ce n’était pas ce que j’étais venu voir. Ou plutôt : ce n’était pas ce que j’avais égoïstement espéré, à savoir réentendre des chansons qui m’avaient bouleversé et qui avaient depuis disparu des setlists de leurs interprètes.
Aux Trinitaires, le ton est donné dès Sticky Hair-Pin. Si tu n’as jamais acheté un compact-disc floqué du logo Labels de ta vie, passe ton chemin. Si, par contre, tu as été fan de Zelda & Flesh, si tu as commandé par correspondance le coffret The Most Dangerous Game pour la reprise de Transmission, si tu as pris avec un appareil photo jetable des photos de paparazzi du concert au passage du Nord-Ouest, il est par contre possible que, à un moment de la soirée, ton corps soit traversé de frissons.
La première surprise de la soirée, c’est celle de réentendre les chansons des deux premiers albums de Diabologum (et même la reprise de Too Much Sleep de Bongwater). Au début des années 90, avant l’éléctro-choc #3, Diabologum, piratant Glen Baxter et citant Michel Journiac, piétinait les plates bandes du rock français. Longtemps indisponibles (si ce n’est dans le cœur des amoureux de Zelda et Flesh), ces enregistrements ont été compilés par le label Ici d’ailleurs sous le titre La jeunesse est un art. Mais ça ne s’arrête pas là. Car suivent les chansons du premier album de Françoiz Breut : La femme sans histoire, Ma colère… Et les chansons du premier album de Mendelson. “Je me souviens de lui, si je peux me permettre, j’avais cet ami on était pas vieux, il habitait la zone industrielle, comme moi ça fait qu’on était deux.” Ca y est, je sens les larmes monter. C’est parti.
L’autre miracle, c’est qu’il se produit ce soir quelque chose qui ne s’est jamais produit dans toute l’histoire du label Lithium. A savoir que les musiciens jouent ensemble, et pas les uns après les autres. Le backing band est formé par Julien Ruffié (batterie), Pierre Capot (basse), Michel Cloup (guitare) et Pascal Bouaziz (guitare). Ils enchaînent les tubes de poche. L’énergie qui habite les deux guitaristes est impressionnante : elle m’avait déjà emporté quand, lors de la soirée Generation X (ou autre chose), les deux fines gâchettes avaient épaulé Eric Deleporte pendant le set de Perio. La complicité entre les musiciens, peaufinée par une semaine de résidence à Colmar, est évidente. Leur plaisir à être là, sans enjeu autre que celui de communiquer leur bonheur de se retrouver, est palpable.
Les membres du groupe Sinaïve, qui ont assuré la première partie de la soirée, rejoignent le super-groupe Lithium. Françoiz chante pour la première fois en public L’Echo de Dominique A. Pascal Bouaziz reprend – en français dans le texte – Careering de Public Image Limited (exploit tiré de son album de 2015 Sciences politiques). Et c’est l’heure du final sur Speeding Motorcycle de Daniel Johnston. Un morceau que reprenait, il y a 25 ans, le Squad Femelle, super-groupe éphémère formé par Dominique A., Françoiz Breut et le duo Perio.
Le lendemain, assis à la place 45, voiture 18, je reprends le carnet de voyage de Noël Herpe que j’ai commencé à l’aller. A la page 88, je lis la phrase suivante : “Je reprends mon train, un peu égaré dans l’abîme du temps.”