Domenique Dumont / Photo : Ansis Starksavec le fanzine Langue Pendue
Difficile d’imaginer un groupe aussi étrange et mystérieux que Domenique Dumont. Leur musique sautillante, légèrement psychédélique, à la douceur aquatique, envahit immédiatement l’espace tout en posant des énigmes : cette voix féminine chante en français mais un français sur lequel le voile des sens est posé. On y distingue des expressions, des mots très jolis, très chauds, qui semblent nous appeler du fond d’un tunnel. Une musique de fond, voilà, c’est ça, une toile qui protège de la lumière, et qui nous empêche de saisir ce qui se passe dans la réalité, qui nous isole. Continuer la lecture de « Domenique Dumont : “On préfère que les gens interprètent ce qu’ils entendent” »
C’était en décembre 2016, au Nouveau Casino, que nous les avions vu à Paris pour la dernière fois. Le quintet de Brighton, propulsé en 2011 par The Horrors, venait de nous gratifier d’un troisième LP, Clear Shot, leur plus riche en date, confirmant une audace qui n’allait pas tarder à les placer au-dessus de leurs aînés. C’est désormais chose faîte avec Happy in the Hollow, attendu le 25 janvier chez Tough Love Records – Ulrika Spacek, Part Time ou Girls Names complétant l’écurie du label londonien au bon goût difficile à égaler. Un ouvrage frappant par la variété des influences qui le composent. L’esprit krautrock, évidemment, dicte toujours la conduite : rythmiques hypnotiques et abondance de synthétiseurs portent la voix rassurante de Tom Dougall. Ce sont ces incursions nouvelles du côté de l’acid folk et de la surf qui, en occasionnant les plus belles réussites de l’album (The Willo, You Make Me Forget Myself), le hissent sur un autre palier. J’ai retrouvé Tom Dougall, chevelure ombrageuse et regard fuyant, accompagné de Max Oscarnold, bassiste de The Proper Ornaments dernièrement recruté, dans un bar du XIIe. Derrière la timidité du leader s’est très vite dévoilée une verve de passionné. Ensemble, ils se sont livrés sur leurs aspirations et leur quête ultime en tant que musiciens : la recherche de leur identité propre.
Grandir sans renoncer tout à fait à être soi. Pas facile, tout particulièrement lorsque l’on a connu la reconnaissance publique avant même d’atteindre sa majorité et que l’on a publié ses meilleurs albums – Meltdown, 2004 et Twilight Of The Innocents, 2007 – alors que fans et critiques les accueillaient avec une indifférence croissante. Il a fallu presque huit ans pour que Tim Wheeler et Ash parviennent enfin à inventer la meilleure manière de vieillir sans se laisser flotter sur l’air du temps. Huit ans de tâtonnements plus ou moins approximatifs – une flopée de singles numérique inégaux enregistrés en 2010 puis, en 2014, pour le chanteur, un album solo à la Tchao Pantin, ambitieux mais inabouti consacré au décès de son père – avant de renaître, presque à l’identique. Brutalement interrompue en 2007, pour ce qui concerne les albums, la discographie du trio irlandais a donc fini par retrouver une nouvelle jeunesse, sonique et fougueuse, avec le détonnant, Kablammo ! (2015) suivi cette année par l’excellent Islands. Désormais exilé aux USA, Ash semble avoir accepté son identité en enregistrant encore une fois un LP qui ressemble à s’y méprendre au rêve le plus fou de ses admirateurs : un condensé de power pop ultra-efficace, regorgeant de mélodies imparables et de refrains bébêtes à souhait, et où les guitares métalliques – Flying V en tête – rivalisent d’intensité. Mais c’est encore sur scène que le groupe sait le mieux nous faire partager sa joie insouciante du jeu collectif. Et réapparaître, pour notre grand bonheur, sous les traits inaltérables de l’éternel adolescent qu’il n’aurait jamais du cesser d’être. Continuer la lecture de « Les (bons) coups de Ash »
Les mille et une pochettes de « Felk Moon » (Bisou Records)
À l’heure où Felk Moon – son huitième et meilleur album à ce jour – paraît sur Bisou Records, force est de constater que Red ne fait décidément rien comme tout le monde… Réenregistrer son disque une seconde fois pour cause de découverte d’une nouvelle pédale d’effet, illustrer cinq-cents pochettes l’une après l’autre, proposer le principe d’une interview par messageries interposées où, pour une fois, l’Artiste posera les questions tandis que le plumitif tentera comme il peut d’y répondre. Pour finir par constater qu’assurément, cet hiver sera rouge ou ne sera pas.
Joachim Trier et Nicolas Plommée / Photo : Hannah Molin Delafosse
La quarantaine juvénile, le réalisateur norvégien Joachim Trier s’enflamme comme au premier jour à l’évocation de sa découverte 35 ans plus tôt du Planet Rockd’Afrika Bambaataa & Soulsonic Force. Sa passion de la musique, et plus précisément de celle à l’honneur dans Section26, n’est évidemment pas exclusive parmi les cinéastes contemporains. Mais votre serviteur avait beau avoir retenu le “bon goût” évident de la B.O. d’Oslo, 31 août, le film qui l’a fait connaître en France en 2012, c’est bien la vision ultérieure du précédent Reprise, rebaptisé ici Nouvelle Donne, son premier long-métrage, qui mettait la puce à l’oreille. Tant de signaux aussi ostensibles ne sauraient être innocents : il ne s’agit plus de (se) donner un genre et adopter une pose “rock”. Joachim Trier sait de quoi il retourne, et ses personnages en train de courir en t-shirt Joy Division dans un parc, en train d’échanger dans un salon où peuvent être distinguées pochettes des Smiths comme des Cramps et capables de reprendre en chœur un refrain obscène en norvégien lors de concerts “pour de faux” paradoxalement plus vrais que nature, sont faits du même bois que vous et moi. Norvegian Wood indeed. Continuer la lecture de « Trier sélectif »
À l’échelle de notre petit monde, la nouvelle a presque fait figure d’événement : onze ans après avoir mis un premier terme à leur fructueuse collaboration, Sam Genders et Mike Lindsay sont enfin parvenus à se rabibocher et à publier conjointement le premier album de Tunng arborant leur double signature depuis l’inusable Good Arrows (2007). Et même si les deux compères avaient su, tout au long de leurs années divergentes, développer chacun de leur côté deux carrières également passionnantes, la sortie en fin d’été de Songs You Make At Night(2018) est venu nous rappeler à quel point leur apport demeure essentiel dans un registre qu’ils ont plus que largement contribué à défricher, et où les structures folk traditionnelles se mêlent harmonieusement aux explorations électroniques contemporaines. À la veille d’un concert parisien scellant cette réconciliation longtemps espérée, on leur a demandé de revisiter les souvenirs, parfois aigres-doux, des cinq jalons discographiques de leur union musicale. Continuer la lecture de « Tunng – Secondes noces »
Assurément, Dialectique de la pop est un livre important. Tant par son caractère inédit et novateur que par l’ampleur de son propos : élaborer une théorie de la pop, qu’il faut ici comprendre non pas de manière étroite comme un genre particulier, mais dans son acception générale de « musique populaire enregistrée ». Car il s’agit pour Agnès Gayraud ‒ que nous connaissons aussi par son projet musical La Féline ‒ de penser l’objet « pop » en tant que philosophe. C’est-à-dire d’en définir le statut et la portée esthétiques, de tenter de cerner sa « singularité en tant qu’art », de cerner ses formes et ses conditions de production-diffusion. Autrement dit, s’attacher à prendre toute la mesure de ce qui s’est imposé comme l’une des formes culturelles majeures de ces soixante dernières années, de ses expressions les plus mainstream au plus pointues. Une entreprise importante, répétons-le, qui mérite donc bien de revenir avec l’auteure sur certaines de ses grandes thématiques. Entretien. Continuer la lecture de « Agnès Gayraud : « La dialectique que je décris, je l’ai constamment trouvée formulée dans la critique rock. » »
Multi-instrumentiste, producteur et dessinateur de talent, Matt Adams incarne cet idéal de l’artiste complet, totalement indépendant, qui n’a attendu ni d’être suivi par des labels ni d’être adoubé par la scène psychédélique de la côte Ouest pour tracer son chemin. En quinze ans de carrière et bientôt autant d’albums, le Californien pure souche s’est imposé avec son projet The Blank Tapes comme un incontournable pour les amateurs de folk-rock et les nostalgiques des sixties. Rencontre avec un homme à l’enthousiasme grisant le 28 septembre dernier au Levitation France, à Angers.