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Le plus simple appareil, Instant chaviré (Scum Yr Earth)

«  La présence des autres rend tout facile, nous nous sourions entre deux rires, le brouhaha berce nos rêves et nous voulons être seuls, mais l’absence des autres rend tout fragile, nous nous évitons entre deux rires, le silence disperse nos rêves et tu voudrais rester seule »

Mesurer l’importance d’un groupe est compliqué : dans le cas d’un groupe aussi furtif que Le plus simple appareil, ça devient même un véritable casse-tête. Géographiquement, le trio, récemment ramené à son noyau familial, deux frères, est isolé. Pas simplement par le fait qu’il ne développe aucun contact avec quelque scène que ce soit, au niveau national, ni dans sa ville, Strasbourg, dont il est pourtant l’un des plus constants et fervents habitants. Isolé, L+SA l’est aussi à plus grande échelle, absent des circuits souterrains, des fanzines, de la presse. Invisible. Il fut bien question dans les années 1990 d’une rumeur de rapprochement vers un label en vue, mais le temps a passé, le label a disparu et personne n’est vraiment plus là pour témoigner. Isolée, l’entité l’est aussi du public, si ce n’est une série de concerts mémorables en appartements au tournant des années 2000, dans une époque où personne n’était vraiment équipé pour immortaliser ces moments. Isolé et réticent jusqu’à l’obsession à se voir figé à jamais sur un support qui lui échapperait, le groupe, presque malheureux, doit bien se rendre à l’évidence que ses chansons lui échappent et circulent sous le manteau. Continuer la lecture de « Le plus simple appareil, Instant chaviré (Scum Yr Earth) »

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Kevin Tihista, Home Demons Vol. 2 (Bandcamp)

Quelques jours de réclusion se sont à peine écoulés qu’il faut déjà faire face au temps qui s’effiloche. Il n’en aura pas fallu davantage pour que se dissipe cette fiction selon laquelle le temps possèderait un déroulement linéaire, autonome, et qu’il pourrait se prolonger indéfiniment dans un avenir que nous serions en mesure de plier à la seule force de notre volonté, à coup de projets. Ce devenir désormais confus où s’entremêlent les heures et les fonctions est particulièrement peu propice au surgissement de l’événement, cette rupture stimulante qui vient briser l’écoulement du devenir mollasson et impose de faire face à l’instant. De la semaine écoulée, je n’en ai retenu qu’un seul : j’ai découvert le 21 mars quatorze nouvelles chansons de Kevin Tihista. Continuer la lecture de « Kevin Tihista, Home Demons Vol. 2 (Bandcamp) »

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Fange, Pudeur (Throatruiner)

« On m’a connu raseur de murs, lécheur d’ordures, gicleur impur. Fuyant les fastes comme la peste. Traître à ma caste. Cafard céleste. »

Si les temps obscurs que nous traversons pouvaient trouver une bande-son à leur mesure, parions qu’ils se pencheraient avec mansuétude sur l’œuvre de ce groupe de Rennes, Fange. J’ai croisé leur route à Molodoi à Strasbourg, l’année dernière, alors qu’ils se lançaient, minuit passé, dans un concert impressionnant de tension et de maîtrise. J’ai pris le train en marche (et un peu dans la figure) avec leur album Punir sorti aussi en 2019. Pudeur, son successeur, sort en ce moment (en vinyle le mois prochain, si on est pas tous morts d’ici là) et possède ce même pouvoir à absorber la lumière, l’espoir et les sentiments, et à les réduire à de simples et douloureux stimuli corporels, des coups d’électricité dans la nuque, des palpitations du tympan, des vibrations dans le ventre, des remugles dans les intestins. Continuer la lecture de « Fange, Pudeur (Throatruiner) »

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Kevin Krauter, Full Hand (Bayonet/Differ-Ant)

Sans que l’on parvienne réellement à en identifier les causes, Toss Up (2018), le premier album solo de Kevin Krauter, s’était insinué dans la densité du quotidien jusqu’à figurer en bonne place dans l’intimité arbitraire des palmarès de fin d’année. Deux ans plus tard, le bassiste de Hoops reprend le fil de son discours musical là où il l’avait provisoirement interrompu. «  It’s embedded in my brain/That things will never change/The way it is, is the way things are/So deal with it«  annonce-t-il d’emblée sur Patience. On se le tient donc pour dit : l’inertie est ici de mise. Pour l’affronter, les instruments ne constituent qu’un recours insuffisant : quelques pistes de guitares et autant de claviers archaïques suffisent à tracer les contours des chansons que surligne la métronomie robotique d’une boîte à rythmes. Ils suffisent pourtant à nourrir une série de méditations contemplatives, entre une introspection dépourvue de complaisance et immersion rêveuse dans les paysages entraperçus depuis le refuge autarcique du home studio. Continuer la lecture de « Kevin Krauter, Full Hand (Bayonet/Differ-Ant) »

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Andrea Laszlo de Simone, Immensità (42 Records)

Échappant plutôt par le haut au narratif du renouveau de la pop italienne coincé entre San Remo et Sorrentino, Andrea Laszlo de Simone est suivi par quelques-uns de ce côté des Alpes depuis son Uomo Donna, album ample, gras et pourtant merveilleux qui s’imposait comme neuf malgré l’évidence de son ambition anachronique. Plutôt que de ciseler, potentialiser et photocopier son talent mélodique, le chanteur turinois délayait, aérait et laissait filer, entre les chansons, des longues plages de vie aux accents pastoraux. Je fus ainsi surpris un jour par le mode aléatoire qui fit se superposer Questo non è amore et Heart of the Country de Paul et Linda McCartney comme une naturelle association d’idées, un raccord cinématographique. Il y avait un romantisme archaïque dans Uoma Donna qui faisait revenir des images du Heureux comme Lazzaro d’Alice Rohrwacher (2018), des prolétaires des premiers Visconti, ou encore, plus récemment, du cinéma de Pietro Marcello. Une filiation paysanne et romantique qui, par son contre-point anachronique, rend le monde plus vrai. Continuer la lecture de « Andrea Laszlo de Simone, Immensità (42 Records) »

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Dropkick, The Scenic Route (Sound Asleep/Bobo Integral)

C’est sans doute Nick Hornby qui l’a exprimé de la manière la plus claire et la plus pertinente en évoquant, dans les pages de 31 Songs (2003), son attachement passionnel, au-delà de toute considération esthétique, à Thunder Road de Springsteen. Il arrive parfois – rarement – que nous croisions le chemin d’un artiste ou d’une œuvre – une simple chanson peut suffire – qui exprime intégralement et parfaitement ce que nous sommes. Il ne s’agit pas d’une identification ponctuelle aux sentiments évoqués, aux situations décrites ni même aux personnages mais d’une adhésion plus complexe et plus complète aux moindres inflexions mélodiques, de cette conviction profonde, renforcée à chaque écoute, de partager avec l’auteur chacune de ses décisions artistiques et de saisir avec la puissance inégalée de l’intuition ce qu’il exprime par une voix qui semble se confondre avec la nôtre. Continuer la lecture de « Dropkick, The Scenic Route (Sound Asleep/Bobo Integral) »

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V/A, Born Bad Record Shop – 20 years Anniversary (Les Disques Les Mauvais Garçons)

En 2019, le disquaire Born Bad fêtait ses vingt ans d’existence, une petite performance en soi compte tenu du contexte économique difficile de la musique sur support physique. Pour marquer le coup, le disquaire a organisé des concerts en septembre dernier et sort ces derniers jours une compilation vinyle uniquement disponible rue Saint Sabin à Paris et chez quelques collègues émérites (Total Heaven, Dangerhouse etc.). Nous avons rarement l’occasion de mettre en avant ici les disquaires, ils sont pourtant un maillon important de la musique que nous aimons. Born Bad fait partie de ces endroits de vie, point névralgique de scènes qu’il faut chérir et valoriser. Continuer la lecture de « V/A, Born Bad Record Shop – 20 years Anniversary (Les Disques Les Mauvais Garçons) »

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Cornershop, England Is A Garden (Ample Play)

De leurs débuts tonitruants dans les années 90 où ils brûlaient une effigie de Morrissey devant sa maison de disques – et devant les photographes des tabloïds anglais, à leur adoubement par le roi de l’Oasis, Noël Gallagher, en passant par le coup d’accélérateur donné à leur carrière par Fatboy Slim qui signait un remix de Brimful Of Asha, on pouvait aisément ne retenir qu’un énorme nuage de fumée épaisse, de la poudre de perlimpinpin pour un gogo indie (comme moi), des cônes d’encens pour touristes musicaux (comme moi). Cornershop, c’était et c’est évidemment beaucoup d’autres choses qui valent bien mieux que ce parcours en pointillé. Continuer la lecture de « Cornershop, England Is A Garden (Ample Play) »