Ricky Hollywood, Le sens du sens (La Modeste Association, FVTVR records)

Montre moi la matière noire
Celle qui se loge dans ton regard

Sur les blogs, dans les journaux en ligne, dans les quotidiens, à la télévision (ah non) ou sur Twitch (tiens, why not), on pourrait gloser des heures sur le fait qu’un type de musique fuselé pour les hit parades se retrouve scotché dans un monde plutôt souterrain, ou du moins perdu « au milieu », où les ventes se comptent sur les doigts d’une main et où les artistes vivent plus souvent de leur intermittence à l’arrache que de leur bingo de sociétaire à la SACEM. Si ces honnêtes personnes ont acquis, à force de travail et de talent, les codes sacrés du tube pop français, s’ils les ont modelés amoureusement selon leur personnalité, à coup imparable de paroles positives et mélancoliques, de couplets brillants, de refrains calibrés et même de ponts (d’or), voire de chorus de saxophones, il faudra bien se résoudre à leur dire que des tops et des charts, ça n’existe plus vraiment. Que les singles et les albums vendus par brouette, que pouic. Ou presque. Du coup, les places sont comptées, car on sait le rap tranquille, assis son trône, sans partage. Il n’en reste pas moins que cette musique existe, qu’elle est plus profonde qu’on ne le pense, malgré son absence de « raison d’être » évidente. Ricky Hollywood en est un des précurseurs, puisqu’à peine apparu sur les radars du cirque médiatique, il arrivait avec une cassette sur Clapping Music (quand ça n’était pas encore tout à fait le truc cool du moment) et pas dupe, la nommait Mes meilleurs succès d’estime, déjà bourrée de chansons précisément ciselées et arrangées. Derrière ce son de synthé années 80, s’affirmait en fait une synchronisation parfaite avec son époque (2002-2010) : virtuosité de l’utilisation du home studio, optimisation des peu de moyens en jeu, et personnalité adaptée à l’époque, entre le clown triste et le copain de canapé, le poète de lycée et l’étudiant en lettres un peu paumé. Encore mieux, Ricky Hollywood est, chose rare dans nos contrées, peu valorisé, un musicien de sessions, un petit requin, quinquin, doublé d’un musicien obsessionnel. On avait admiré cette personnalité souple et affirmée au travail, lors d’un atelier captivant, filmé pour le Confort Moderne, Ricky et les Dix-iples (2016), où il entreprenait d’enregistrer des chansons avec des musiciens amateurs de différentes provenances, réunis pour l’occasion. Précis, sévère, ferme, lunaire parfois, mais affable et psychologue, Ricky Hollywood apparaît tel quel sur son album paru là, en plein confinement, Le sens du sens. Il délivre une dizaine de chansons parfaites aux arrangements parfois complexes, fasciné comme une partie des musiciens de sa génération par les formes d’une variété pop imaginaire qui n’existe de par chez nous qu’entre Katerine (l’aspect comico) et Daho (l’aspect mélancolo). Membre d’une famille qui, pour résumer, trouverait refuge dans la très belle émission Sooo Pop, initiée autour de la figure de Cléa Vincent, avec comme aïeul(le)s, Lio et Christophe. Il en porte quelques stigmates : apparence d’innocence, côté lisse, penchant brésilien, dérives jazzy, décontraction un peu forcée. Sauf que comme on le disait plus haut, les côtés les plus intéressants sont dans la maîtrise de leur matière sonore : cette house-disco, dont le pays a hérité les rênes depuis la French Touch et les chefs d’œuvre fondateurs de Daft Punk, a infusé les rêves des enfants du siècle et sert de base de composition. Ricky Hollywood la creuse avec persévérance et ingéniosité, sens du détail (les passages synthé orientaux de Tu Verras, l’autotune qui apparaît pour porter les fins de phrases poussées et délicates (quelle magnifique idée !) sur Dispo). Il est de notoriété que l’album de Paradis (Recto verso, 2016) en est une sorte de Bible, que la préciosité d’Alain Chamfort (Manureva comme alpha de cette pop océane) ou même le détachement ultramarin de Laurent Voulzy (superbement évoqué récemment chez Musique Journal) pourraient en être les points d’ancrage. Ceux de cette histoire que Ricky Hollywood explore en solitaire, navigant au milieu d’un vaste océan pop.

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