Une brève histoire du Shoegaze

Shoegaze

Le terme Shoegaze vient d’une pique de journaliste constatant que les groupes d’alors regardaient plus l’étrange ballet de leur pieds sur leurs pédales d’effet que leur public. Ou comment en plusieurs décennies, on est passé de la science des effets à l’effet de mode d’un revival constant. Il y a les incontournables (My Bloody Valentine, Ride, Slowdive) et puis il y a les autres, ceux de l’époque dont l’histoire a vaguement retenu les qualités (Swervedriver, Lush) ou qu’elle a préféré jeter, souvent à raison, aux oubliettes (Chapterhouse, Catherine Wheel, Adorable). Et puis il y a ceux qu’il faut en toute subjectivité, redécouvrir.

Les racines

Plus qu’un véritable mouvement, le Shoegaze est donc d’abord une affaire de traitement du son des guitares. Ce sont d’ailleurs les grands stylistes de la new wave qui auront, mine de rien, désenclavé l’usage de l’instrument à l’aide de chorus, écho, flangler, delay et autre trémolo qui peuvent être mentionnés comme les inventeurs du genre. De John Mc Geoch (Siouxsie, PIL, Magazine) à Keith Levene (PIL) en passant par Vini Reilly (The Durutti Column) et sans oublier la figure tutélaire de Robert Smith (The Cure, Siouxsie), on arrive à Robin Guthrie dont les frondaisons stellaires et brumeuses au sein des Cocteau Twins établirent les véritables fondamentaux qui allaient donner naissance à cette scène et refaire le lien avec la figure incontournable de Brian Eno, sans oublier Robert Fripp qui avec ses recherches sur les bandes et les boucles sous le nom de Frippertronics n’en était déjà pas si loin. La distorsion est parfois déjà présente (Pornography, 1982 de Cure reste de fait, un album pré-shoegaze de référence) mais elle viendra d’ailleurs en ce qui concerne My Bloody Valentine, tout comme pour les frères Reid au sein de The Jesus And Mary Chain. De l’influence fondamentale de l’usage de la fuzz et de la réverbération chez The Cramps (Poison Ivy et Bryan Gregory) puis du travail de sape au même niveau de Rowland S. Howard chez The Birthday Party. C’est pourtant d’Amérique que viendra la lumière pour Kevin Shields, lorsque qu’un certain Bob Mould au sein d’Hüsker Dü élargira le seuil de résistance du hardcore en couplant distorsion, delay et chorus. L’Irlandais n’avait alors plus qu’à déconstruire cette chappe de plomb à coup de réverbération inversée et un usage unique du vibrato de sa Fender Jazzmaster (arme de prédilection chez Sonic Youth et Dinosaur Jr., dont on ne peut pas ne pas faire mention) pour armer le déclencheur. Alors, coupler les brumes arty de la new wave à la distorsion au napalm de Jesus And Mary Chain, n’aura été qu’un simple raccourci avant l’offensive. Sans même parler de ferveur dans la répétition, c’est à dire sans jamais omettre l’apport biblique et essentiel des Spacemen 3, voire de Galaxie 500.

Pale Saints
Pale Saints

Les molécules oubliées

Difficile d’oublier les phénoménaux Pale Saints, qui en dépit d’un succès d’estime dans notre pays ne dépassera pas ses promesses. En mariant la vélocité pop de Mc Carthy, la puissance mélodique de New Order et les salves bruyantes de Jesus And Mary Chain, le groupe commettra le chef d’œuvre oublié de l’époque The Comfort Of Madness (1990) avant de passer à des textures plus feutrées sur In Ribbons (1992). De prime abord on associe d’avantage les liverpuldiens Boo Radleys à leur succès massif de l’ère Britpop, mais la manière dont le groupe transcenda ses influences (de Dinosaur Jr. à Love en passant par le dub) sur Everything’s Alright Forever (1992) puis le bien nommé Giant Steps (1993) figurent parmi les plus belles réussites de l’époque.

On trouvera aussi des oubliés dans le giron de Sarah Records avec Eternal, dont l’unique single Breathe (1990) fait figure de pépite ultime et dont le guitariste Christian Savill ne tardera d’ailleurs pas à rejoindre les rangs de Slowdive. Sans oublier Secret Shine qui avec Untouched (1993) puis Greater Than God (1994) donnera sa propre version du genre. Tout comme de l’autre côté de l’atlantique où les trépidants Swirlies (Blonder Tongue Audio Baton, 1993) firent la jonction entre MBV et la vague Lo-Fi ou même en France ou l’entité underground KG influencera jusqu’à M83 à ses débuts. Une dernière pensée pour Moose, marotte indestructible de cette publication, qui avant de devenir le groupe respectable que l’on sait, s’affilia momentanément au mouvement pour ses premiers maxis réunis sur la compilation Sonny & Sam (1991).

Lift To Experience
Lift To Experience

Les héritiers

La réédition du Texas Jerusalem Crossroads (2001) de Lift To Experience ne sera pas passée sous silence, car s’il faut admettre un véritable chef d’oeuvre post-Shoegaze c’est bien de cette somme qu’il faut parler. Du même état les expérimentations minimalistes de Stars Of The Lid (The Tired Sounds of…, 2001) valent aussi le détour. En Angleterre, une fois le soufflé retombé, on ira chercher du coté de l’autre scène de Bristol (Third Eye Foundation, Movietone, Flying Saucer Attack, Crescent) une véritable descendance, avant de tomber sur les incontournables Mogwai, dont le goût immodéré pour l’assaut sonique et les effets en boucle(s) perpétuèrent largement le genre, même si certains préférèrent les affubler d’un terme qui trouve aussi une partie de ses racines dans le terreau d’Albion, le post-rock (A.R. Kane, Moonshake, Main, Bark Psychosis, Disco Inferno, Hood). Qui dans sa déclinaisons américaine, du Slowcore de Low au entrelacs savants et glacés d’un Labradford, perpétuera l’idiome tout en le faisant évoluer ou non (Deerhunter).

De nos jours, le Shoegaze est mis à toute les sauces (Chill-wave, Nu-gaze, Dreampop) dès qu’un groupe met un peu plus de bruit ou de vide que la normale dans sa potion (A Place To Bury Strangers, Crocodiles, M83, Temples, DIIV, Beach House, Team Ghost, Toy), il n’en reste pas moins le bourdonnement plus ou moins avisé d’une continuation psychédélique notable.

NDLR : Cet article date de 2017.
A écouter aussi : Transmission#26 spéciale Shoegaze, émission du 2 novembre 2019 présentée par Thomas Schwoerer et Etienne Greib, avec Thierry Jourdain, auteur de Slowdive : Catch The Breeze (Editions Camion Blanc)

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