This is Telex

Telex
Telex : Dan Lacksman, Marc Moulin et Michel Moers (de gauche à droite)


Telex
tient une place particulière dans le cœur des amoureux de pop synthétique. Trio formé en 1978 à Bruxelles par Dan Lacksman, Michel Moers et Marc Moulin, la formation fait le trait d’union entre l’Allemagne de Kraftwerk, l’Angleterre d’Human League et toute la musique électronique à venir : Italo Disco, House, New Beat. À l’occasion de la campagne de rééditions orchestrée par Mute, nous avons eu l’honneur de nous entretenir au téléphone avec Michel (chant) et Dan (machines). 

Avant Telex

Dan Lacksman : « J’ai commencé assez tôt, après mes études secondaires. J’ai toujours été intéressé par la composition et le studio. J’ai monté mon premier home studio à l’âge de 13 ans chez mes parents : pour la Saint Nicolas, j’avais demandé un enregistreur. Mon oncle qui était mélomane et clarinettiste m’a également offert une guitare. J’ai reçu les deux le même jour et écrit immédiatement une petite chanson. Tout mon argent de poche y passait. J’avais envie de devenir ingénieur son. Après mes études secondaires, je me suis inscrit dans une école mais je me suis vite rendu compte que j’étais impatient. Ma mère m’a alors suggéré d’aller chercher du travail dans un studio comme assistant. À cette époque, j’avais déjà placé des chansons, j’habitais pas loin d’EMI Belgique. J’avais été trouver un producteur, Jef De Boeck, pour obtenir l’adresse des studios. Le second de la liste avait besoin d’un assistant, le leur venait de partir au service militaire ; j’ai été engagé tout de suite. Très vite, par l’intermédiaire d’un vendeur de matériel professionnel jeune et dynamique, j’ai pu récupérer le mode d’emploi de l’un des premiers synthés : le VCS3 d’EMS. Nous étions à la fin des années soixante. Je me suis débrouillé pour avoir les fonds à travers ma famille et je me suis acheté un des premiers VCS3 de Belgique. En le recevant, je l’ai ramené dans la cuisine de ma mère et j’ai fait mes premiers sons avec. Ces nouveaux sons électroniques me fascinaient. »

Dan Lacksman
Dan Lacksman

Michel Moers :  « Je suis architecte de formation et je fais de la musique depuis l’âge de 14-15 ans. J’étais un garçon docile, et pour faire plaisir à mes parents, j’ai fait des études d’architecture. En parallèle, je faisais de la musique de manière sérieuse, pas un comme un peintre du dimanche. En Belgique, nous sommes un petit pays, il est nécessaire de faire des activité connexes. J’ai eu la chance d’être quasiment dès le départ d’une ville nouvelle : Louvain La Neuve. Il y avait à l’époque des problèmes entre francophones et flamands. L’université de Louvain comportait les deux régimes. Avec les événements de 1968, la faculté francophone a du déménager. Après être sorti de l’école en 1970, J’ai rejoins le projet l’année suivante. Ce travail était génial. C’était comme un grand jeu, j’avais un marqueur et une grande table. Nous devions réfléchir sur l’organisation et le plan de la ville. C’était passionnant mais l’architecture, assez classique, choisie par le chef de projet (un archéologue) était moins intéressante. J’ai continuer d’exercer ce métier en parallèle pendant des années car nous ne faisions pas de concerts avec Telex. « 

Dan Lacksman : «  Je suis devenu ingénieur freelance, pendant mes jours libres, je bidouillais des morceaux chez moi. Après un premier album chanté, j’ai fait un album autour du titre Popcorn sous le nom d’Electronic System. Grâce au succès d’un des morceaux, Coconut, j’ai pu m’acheter un modulaire Moog avec les droits.  J’investissais au fur et à mesure dans du matériel. Assez rapidement, j’étais devenu programmeur de synthétiseurs : on m’appelait pour ajouter du synthé dans les productions belges ainsi qu’à l’étranger, notamment en Hollande. J’ai pu ainsi suivre l’évolution technologique et acheté un des premiers Polymoog, ainsi qu’un vocoder. J’ai continué de faire des albums sous le nom d’Electronic System avec le même principe : une rythmique conventionnelle (basse / batterie / guitare) et les synthétiseurs pour les mélodies arrangements. Vers 76-77, j’ai fait le dernier album d’Electronic System sur mon 8 pistes. Je faisais tout au modulaire, notamment les sons de batteries. »

La rencontre avec Marc Moulin et la naissance de Telex

Marc Moulin

Marc Moulin était un phare de la scène belge. Musicien chevronné, ayant joué notamment dans le groupe culte de jazz Placebo, il était aussi animateur à la radio et véritable tête chercheuse de l’underground du plat pays.

Michel Moers : « J’ai rencontré Marc à l’époque de mon précédent groupe Nuit Câline à la Villa Mon Rêve. Nous faisions un mélange de folk rock et jazz. Nous nous croisions au cours de réunions de musiciens alternatifs. Il avait entendu le travail que je faisais seul avec mon enregistreur, les sujets que j’abordais et qui m’intéressaient. Un morceau avait, en particulier, retenu son attention : Ma mère est Propre, un prélude sur la classe moyenne. Nous étions assez proches d’un point de vue opinion.« 

Dan Lacksman : « Je croisais souvent Marc dans les studios. Nous avions notamment enregistré trois albums dans mon home studio ensemble pour le label Kamikaze. Il avait reçu un budget des disques Vogue de la part d’un directeur du label, et avait envie de montrer qu’il pouvait faire des choses plus pointues. Marc connaissait beaucoup de monde grâce à ses émissions de radio. Certains de ces disques sont devenus cultes, notamment le premier album des Tueurs de la Lune de Miel et Noises, une compilation d’artistes belges dans laquelle apparaît Michel.« 

Michel Moers : « Juste après l’enregistrement du disque, Nuit Câline à la Villa Mon Rêve a splitté. Deux semaines plus tard, Marc me proposait de faire partie de Telex.  Je suppose qu’il aurait pu trouver mieux comme chanteur mais ce qui intéressait Marc c’était que j’avais un peu de tête. »

Dan Lacksman : « Pendant l’enregistrement de synthétiseurs pour un disque de Placebo, aux studios Morgan, Marc me propose de faire un groupe 100 % électronique à la cafétéria pendant une pause. Il suggère le nom de Michel, quelque jours plus tard nous nous réunissions dans mon home studio. »

Twist à St Tropez

Le premier single de Telex est une reprise de Twist à St Tropez des Chats Sauvages

Dan Lacksman : « L’idée était de faire quelque chose de minimaliste. Nous avons ralenti le morceau au maximum et Michel l’a chanté de la manière la plus neutre possible. Nous avons fait un rough mix sur cassette que Marc a passé au label RKM. »

Michel Moers : « La voix détachée était un point de départ dans Telex. L’électronique était réputé froide et nous voulions jouer avec cette idée. Nous avions aussi l’envie de refuser les guitares et les sentiments étalés sur la table devant tout le monde. Telex ne voulait pas faire de la variété française où l’on surjoue.« 

Dan Lacksman : «  Après la présentation au label, le lendemain, nous avions un un contrat sans même avoir de face B ! Nous avons ajouté quelques percussions et des roulements sur la maquette et avons pris une journée de studio pour l’autre face (Le Fond De l’Air).« 

Michel Moers : « Elle est inspirée d’un fait divers, repris presque intégralement d’un journal. C’était intéressant de relier Telex à ce qui passait dans la société.« 

En studio avec Telex 

Marc Moulin, Michel Moers, Dan Lacksman

Après ce galop d’essai, le groupe est envoyé par son label très rapidement en studio et pose ainsi les bases de son fonctionnement interne.

Michel Moers : « Chacun avait son mot a dire. Les décisions étaient prises à trois à la majorité. Pour le premier album, j’ai enregistré deux-trois chansons à la guitare en démo. Elles sont ensuite passées au travers des mains de Marc et Dan. Je composais aussi en ping pong avec Marc, cependant chacun intervenait dans tout. Certains morceaux étaient préparés en amont du studio tandis que d’autres naissaient du hasard.« 

Dan Lacksman : « C’était très interactif. Nous nous réunissions dans mon home studio, Michel et Marc venaient avec des idées certains titres naissaient parfois pendant nos sessions. Je tournais les boutons et je trouvais le bon réglage et j’entendais derrière moi Marc ou Michel me dire : c’est super ! Par exemple pour Moskow Diskow nous étions partis de l’idée d’un wagon discothèque d’un train allant à Moscou. Nous avons tout de suite pensé à faire la vapeur de train avec un synthé. »

Michel Moers : « Même si nous étions inspirés par Kraftwerk, nous ne faisions pas de la musique comme des robots. Marc était un excellent musicien de jazz : il groovait. Nous voulions que notre musique groove et garde cette sensation de musique soul/funk. »  

Dan Lacksman : « Avec Telex nous ne calculions jamais les tempos. Nous tournions le potentiomètre du séquenceur. Nous ne refaisions jamais un titre parce que nous le trouvions trop lent ou trop rapide. Chaque piste était enregistrée une par une. Tout était spontané et intuitif. Nous étions trois et nous travaillions à trois : cela nous donnait la direction , cette symbiose des trois. Nous ne calculions rien même si nous ne pouvons nier avoir un recette. »

Michel Moers : « Nous essayions de faire de la musique avec du fond avec Telex. L’électronique faisait partie l’identité de l’Europe continentale, nous voulions nous éloigner de la musique anglaise et américaine. Il n’ y avait pas grand monde avant Telex à faire de la musique électronique rythmique en dehors de Kraftwerk. C’était surtout de la musique planante comme Tangerine Dream. L’idée c’était de trouver un angle à nous, de trouver des inspirations autres. Nous on était nourris de bande dessinée, Tintin et d’humour belge. La Belgique est un peu le centre de l’Europe a donc été traversée par tout le monde : Romains, Français, Hollandais. Avoir du recul sur nous-mêmes était donc essentiel pour notre survie. Nous sommes francophones, c’est la langue dans laquelle je sais écrire. Notre humour a un peu du mal à passer en anglais. Les traductions perdent parfois ainsi un peu de leur profondeur, même si Jacques Duvall a fait un travail remarquable.« 

L’aventure de l’Eurovision

Eu-ro-vi-sion !

En 1980, Telex participe à l’Eurovision. Leur participation reste un des moments les plus fascinants de cet événement au charme suranné. Le groupe finit avant-dernier mais la chanson est encore régulièrement utilisée pour illustrer des vignettes sur le thème ou faire des rétrospectives.

Dan Lacksman : « L’Eurovision était une proposition de notre label ou notre manager. Cette année là le représentant de la Belgique était choisi à une sélection à la télévision pour laquelle nous pouvions postuler. Nous avons été très étonnés de recevoir le plus de suffrage et remporter. Peut-être était-ce parce que les autres prétendants étaient plus conventionnels et que nous sortions du lot.  » 

Michel Moers : « La position de la Belgique vis à vis de l’Eurovision était ambiguë. Elle avait envie de se montrer progressiste mais nous nous interrogions sur son envie de gagner le concours (et de devoir l’organiser ensuite). Notre entourage nous a trouvé fous et très éloigné de ce genre de de musique, pourtant la base de Telex était pop. Marc et moi souhaitions sortir de notre créneau alternatif. L’Eurovision représentait le sommet de la variété, nous l’avons cependant fait à  notre manière avec une chanson sur le concours lui même.« 

Dan Lacksman : « Nous avons été le premier groupe électronique à passer à l’Eurovision. À l’époque, il y avait encore un orchestre mais aussi la possibilité d’utiliser des playbacks et de chanter en direct. Il fallait que tous les instruments que nous entendions sur le morceau soient présents sur scène. Tout avait été fait au modulaire, Polymoog et OBX. Le chef d’orchestre n’arrivait pas à comprendre que la batterie puisse être faite grâce au modulaire et voulait voir le synthétiseur bouger !  Michel n’a eu aucune répétition. Les deux demi-heures ont servi à discuter avec le chef d’orchestre. « 

Michel Moers :  « Je ne sais pas si c’était du sabotage, mais je n’arrivais pas à m’entendre dans les retours. Nous passions quasiment les derniers, la pression avait eu le temps monter malgré mes exercices de respirations de Yoga. Notre prestation avait quelque chose d’internationale situationniste. En Angleterre, ils pariaient sur nous mais je pense que le jury s’est senti un peu offensé par notre approche. Le public a applaudi mais avec un temps de retard. Je ne voyais pas grand chose avec l’éclairage, juste les premières chaises de l’orchestre. Le futur gagnant irlandais est cependant venu nous féliciter ! »

Le ralentissement et la suite

L’aventure Telex est particulièrement intense pendant trois ans, une période où le groupe publie trois albums (Looking for St Tropez en 79, Neurovision en 80 et Sex en 81). Le groupe ne faisant pas de concerts, les uns et les autres vaquent à leurs occupations en parallèle. Celles-ci finissent par prendre le dessus sur la carrière du groupe. Les trois musiciens prennent cependant toujours du plaisir à se revoir et refaire régulièrement des albums jusqu’à la disparition tragique de Marc Moulin en 2008.

Michel Moers : « Nous n’avions pas de contact avec le monde extérieur, à part le courrier et les articles de presse. Nous avons jamais travaillé les relations publiques et déclinions les invitations aux fêtes. Au départ, nous pensions que le groupe ne durerait que six mois ou un an. Nous aurions pu déménager à Londres ou être plus présents mais nous étions un peu plus âgés que les autres groupes et avions déjà nos vies respectives. » 

Dan Lacksman : « Il y a eu un changement de maison de disques. J’étais toujours en studio et je travaillais avec d’autres artistes, parfois uniquement comme ingénieur son (avec Alain Chamfort notamment) . Avec Marc, nous avons notamment monté un label qui s’appelait Danmarc. On a par exemple produit Alec Mansion.« 

Michel Moers : « En 1990, j’ai enregistré un album qui va être réédité. La relation de collaboration avec Marc me manquait, il était plus professionnel que moi, j’étais un peu touche-à-tout. Je fonctionne pendant des périodes d’une douzaine d’années. À un moment donné, j’ai fait des pochettes de disques, j’ai beaucoup travaillé en publicité. De 1985 à 1995, j’ai fait de la musique pour ce support, notamment pour Kiabi. Elle tournait dans tous les magasins et remplissait le frigo !« 

Dan Lacksman : « En 1990, je me retrouve impliqué dans la production de l’album de Deep Forest. À cette époque, je m’intéressais aux boucles de batterie. Le premier producteur du projet avait laissé tomber. À partir des maquettes, j’ai repris la production, pendant les journées libres du studio avec les deux musiciens français Eric Mouquet et Michel Sanchez. Nous sommes allés au Midem où personne n’en voulait. Finalement, nous arrivons à conclure un deal avec Sony France qui le propose alors, sans succès à la branche américaine. Puis un jour, ça démarre en Australie. Un gars part monter un disquaire à Los Angeles et le fait connaître là-bas. C’est remonté jusqu’à New York et la maison mère a mis le paquet avec un nouveau clip. Je me suis retrouvé à boire un verre avec le patron d’Epic, dans son bureau trônait des photos avec Michael Jackson. » 

La signature chez Mute et la campagne de réédition

Mute (distribué en France par PIAS) réédite l’ensemble du catalogue de Telex ainsi qu’une compilation This Is Telex, véritable rétrospective de la carrière du groupe. 

Dan Lacksman : « Notre back catalogue nous appartenait de nouveau. Nous nous sommes posés la question avec Michel du label Idéal pour ressortir nos disques. Je travaillais avec Florian Schneider qui connaissait bien Daniel Miller. Ils nous a mis en relation et nous avons eu tout de suite une réponse positive de la part de Mute.« .

Michel Moers : « Quand nous avons signé le contrat, nous avons tout réécouté. Nous ne pouvions pas sortir les disques ainsi, certains étaient beaucoup trop agressifs. Nous avons décidé avec Dan de les remixer à deux. J’avais quelques appréhensions à travailler sans Marc, mais ça s’est bien passé et nous sommes tombés d’accord sur presque tout. » 

Dan Lacksman : « Nous avons remixé soixante titres, soit pratiquement la moitié. Nous avons commencé pendant le confinement et sommes restés très fidèles à l’esprit des mixes originaux. Nous avons enlevé quelques pistes qui nous semblaient inutiles et rendus les chansons encore plus Telex. Au mastering, nous ne distinguions plus les nouveaux des anciens mixes.« 

Michel Moers

Michel Moers : « Nous avons réfléchi à la manière d’améliorer les sons en particulier en enlevant des éléments rythmiques. Sex a particulièrement gagné en profondeur. Je ne pouvais plus écouter cet album car je n’aimais pas la manière dont ressortait mon chant, si agressive. En le remixant, les sons sont devenus plus intéressants, il en est de même pour le dernier album.« 

Dan Lacksman : « Pour le mastering, je n’aime pas le laisser à quelqu’un d’autre. J’ai peur que la personne écrase le son. Nous avons donc contrôlé avec Michel l’ensemble des étapes. Nous avons fini récemment et tout envoyer à Paul Taylor de Mute. C’était la première personne en dehors de nous deux à écouter ces nouveaux mixages. Nous avons réfléchi au mastering en fonction de chaque contexte d’écoute.« 

Michel Moers : « Cette sortie chez Mute est à la fois très positive et étrange. C’est génial pour nous mais il est difficile de se réjouir car la culture est tellement affectée parce qu’il se passe. « 

 

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