Trois points de Mellotron et une cascade, que dis-je, une myriade d’arpèges spleenétiques, ce petit motif imparable, cette chanson de rupture, de renonciation, de colère rentrée, de cœur en morceaux. All My Bastards Children, en ouverture de Once, premier album de The Tyde paru en l’an 2000 sur Track & Field. Il ne s’en est pas fallu beaucoup plus pour que le grand* Darren Rademaker devienne immédiatement un ami. Et infuse par la suite des évènements que ce soit sous l’alias matrimonial Frausdots ou une proximité de fait (de Felt ?) avec les faux jeunes de Girls, une présence discrète mais effective dans les grands moments de la RPM. The Tyde, en outre, fera à maintes occasions une sorte d’unanimité écrasante dans nos cœurs, d’une façon rarement aussi unanime, une trop rare collégialité rédactionnelle.
Jusqu’à venir illuminer une soirée de 20 (j’avais cassé mes lunettes la veille, je m’en souviens très bien, de la veille, moins, j’avais du coup des lunettes de soleil — à ma vue — j’étais d’équerre et au taquet et je n’étais pas le seul dans mon souvenir**) dans une cave de la rue Amelot (pas le Pop In, mais juste à côté) d’un DJ (Monochrome) Set endiablé (Cherry Red / Sarah / Grand Ole Opry) partagé avec votre serviteur mais surtout d’un concert effectué avec la nonchalance californienne qui fait la magie du bonhomme preuve déjà d’une une passion incontestable, increvable, terminale et toujours en vigueur après toutes ces années. Darren étant le genre de type parfaitement capable de faire coïncider une visite hexagonale avec la venue d’un certain Lawrence dans la capitale. Passons donc rapidement sur l’atelier créatif du tressage de lauriers pour The Tyde, qui pourrait prendre une vie et dont son frère Brent s’échappa pour se concentrer sur une autre source aurifère du génie américain, Beachwood Sparks (dont le retour serait également imminent) et qui nous valut, et je ne suis toujours pas sur que nous en soyons digne, une autre pépite, Blood Brothers sur l’album Twice paru chez Rough Trade en 2003. Chaque disque, faisant un clin d’œil entendu à la numérotation, nous en sommes donc après le référent Scott Walker Darren 4, arrivés à la Season 5. Comme on ne se parle pas tous les jours au téléphone on suit (et c’est réciproque) les aventures de Darren, qui comme un retraité au cœur brisé passe son temps à siroter de cocktails en Floride, d’un air nonchalant. Pour la retraite créative en revanche, il faudra repasser.
Season 5 est un disque non pas impeccable, même s’il l’est souvent, mais d’une franchise souveraine. Aux noces inavouables de Jimmy Buffett, Lou Reed et Roddy Frame (Aztec Camera) on jouera probablement Heal Thyself, ouverture soft country grandiose. Il y pleut un torrent de larmes sur le sable souillé de chaleur, autant sur la banquise foulée par Ian McCulloch et ses Bunnymen s’ils étaient nés dans un pays de sports de plage plutôt qu’à Liverpool. Tropical Madness dans le genre, et toute honte bue, enfonce le clou. Imaginez un instant Lawrence de Felt (ou plutôt le Lawrence de Denim et après) parachuté contre son gré dans les dorures désuètes du Bambu de Dennis Wilson. Ridicule et glorieux, il s’adapte. Version Bamba triste des plus hauts sommets de Me And A Monkey On The Moon, ça peut paraître ridicule mais c’est pourtant excessivement assumé. Un air de famille ? Glades en a un autre. Celui du New Order badin et rieur d’Every Little Counts. Loulou y es-tu ? Il est visiblement resté en after avec Barney & Co’s. Legend Of The Lost Art, intermède instrumental, tel un inédit de Technique enregistré à Miami pendant une tempête de rires en est une preuve tangible. Autre tentation vulgaire qui tombe à l’eau sur une planche de surf (pour la vulgarité, par pour la chanson, quoique) Streetwise, belle uchronie où Darlin’ donc Daft Punk serait resté un groupe de Rock en incluant non pas un mais tous les membres de Phoenix. Tout cela n’est qu’une modeste introduction à l’incroyable Use Them, meilleure chanson de New Order de l’année, de la décennie, du siècle même. Comme un inédit de Power, Corruption & Lies enregistré sur une serviette de plage. Et malgré ses lourds référents (il faudrait peut-être voir ça comme une mise en scène en fait) l’une des meilleures chansons de The Tyde, toutes époques confondues.
Un chef d’œuvre chancelant pour clore l’affaire ? Pas de problème, Darren a ça en stock et Let Me Hear The Music fait exactement cela. Street Hassle sur la digue, tu y es ivre mort et tu as paumé tes tongs depuis longtemps, c’est précisément le moment où Dieu (ou Lou Reed, ou Lawrence, ou Laurent Thibault tant qu’on y est) se rappelle à ton bon souvenir. Là, clairement, tu voles une paire de Vans à un jeune et tu vas de ce pas engueuler Iggy Pop, incapable d’arriver à une telle maestria pour sortir un morceau digne pour cette fin du monde qui nous pend au nez. Darren, si, les doigts dans le nez. Des vieux gars, le cœur brisé mais rien à foutre de rien hurlent de rire en faisant semblant de s’envoyer des chiquenaudes adolescentes sur cette maudite éminence côtière. C’est effectivement d’un niveau Casavettien. La pochette est signée Matt Fishbeck, ce qui ne gâche rien.
Season 5 par The Tyde est sorti sur le label Spiritual Pajamas.
* pas loin de 2 mètres ** Bises éternelles à Dame Chardac, elle sait pourquoi.
Merci pour cette critique !